Elle disait sans cesse qu'elle était détruite, que la vie l'avait cassé en morceaux. Moi j'ai toujours préféré dire qu'elle était abîmée ou amochée. Je refusais d'employer l'adjectif «détruite» pour parler d'elle. Parce que quelque chose de détruit est irréparable. Je ne voulais pas accepter l'idée qu'elle puisse être irréparable. En revanche, quelque chose d'abimé, ça se répare. On me dira que quelque chose d'intact a bien plus de valeur mais je n'y crois pas. Elle ne s'aimait pas, elle me disait qu'elle était dans un bien trop mauvais état pour ressembler à quoi que ce soit de beau. Mais moi, j'aimais sa voix, car j'entendais à son timbre qu'elle n'avait plus confiance en rien, que sa confiance en l'être humain et elle même, elle l'avait offerte à des personnes qui l'avait lâchement emporté avec eux. Ce que j'aimais le plus, c'était son regard. J'y voyais son désespoir, son envie de partir quelque part, en solitaire, vers un endroit où elle pourrait se réparer sans risquer de s'écrouler à chaque pas. Le regard parle beaucoup, il ne fait que ça en fait. Il ne dit que la vérité. On peut porter des masques, dire qu'il faut sourire et ne pas souffrir, le regard lui n'en portera jamais. Dans son regard, on la voyait Elle, à l'état pur et dur. Cela peut paraître étonnant mais je chérissais sa souffrance et sa douleur. Car elle avait besoin qu'une âme accepte d'aimer ses morceaux brisés. Alors je l'ai fais. Je voulais la sauver. Je voulais lui tenir la main quand elle était à deux doigts de tomber dans un ravin sans fin. Je voulais être son accroche à notre monde quand la tornade dans sa tête menaçait de l'emporter loin, vers un ciel sans soleil.