Chapitre 34 : Reine

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12 mars 3019, T-A., village de Tol. 

S'envolant vers le ciel infini du monde des rêves, une douce colombe chantonnait gaiement. Le soleil perçait, comme s'il agissait pour la dernière fois sur un monde en paix. Le monde s'éveillait doucement, et offrait à ce petit village une douce paix méritée, demandée depuis si longtemps et pourtant éphémère. Le monde savait. Il savait qu'il vivait très certainement sa dernière aube en ce temps de guerre.

Sortant de sa chambre, Eilianiel referma délicatement la porte afin de n'éveiller aucun des occupants en cette heure si matinale. Elle descendit sur la pointe des pieds avant de sortir afin de sentir l'air frais sur la pointe de ses oreilles. Elle se prit la tête dans les mains, perdue et déboussolée. Elle n'avait jamais parlé à personne de son grade et surtout de sa position au trône.

Héritière ... héritière du trône ...

" Quel trône ? Diriger un royaume inhabité et veiller sur une pauvre poignée d'elfes ? marmonna-t-elle. "

La question ne se posait pas ... elle préférait une vie éternelle d'errance avec un statut de reine déchue plutôt qu'un trône que même son père n'avait jamais connu ... Si toutefois ils survivaient à cette guerre.

" Songeuse ? la fit sursauter une voix qu'elle identifia comme celle d'Elrohir.

- Vous m'avez fait peur ! "

Elle le foudroya du regard mais son sourire en coin en disait long sur sa véritable pensée. Le fils d'Elrond regarda furtivement par dessus l'épaule d'Eilianiel avant de la regarder de nouveau.

" Prête à diriger ma chère ? "

Elle fronça les sourcils, avant de se tourner en le voyant regarder en souriant derrière elle. En se retournant, elle resta les yeux écarquillés.

Une armée d'elfes. D'elfes portant leur blason : un cheval doré. Celui de la maison Habriston, celui-là même qui était dans l'Histoire de leur famille, un cheval aux sabot d'or offert par les Valar eux-mêmes. Ils étaient en rang ordonnés, portant vaillamment ce blason qui était leur et qui resterait jusqu'à leur mort très certainement. Ils se tenaient là, près de trois-cents elfes aux cheveux de toutes teintes possibles et aux yeux d'ors, à attendre qu'elle ne daigne brandir l'épée de la famille en criant la guerre.

Ils attendaient sagement que leur chef de guerre, leur Reine, ne daigne prendre l'arme familiale, qui se dessinait en une magnifique arme au fer doré, utilisée durant des centaines d'années d'échanges entre les différents Roi qu'elle avait servis jusqu'aujourd'hui. Ils attendaient que leur Reine bouge, qu'elle ouvre la bouche pour laisser échapper le fameux signal qui leur signifierait qu'ils ne rentreraient peut-être pas ce soir.

Mais elle n'en fit rien. Elle était trop interdite pour cela. Ni aucun mot, ni aucun son ne pouvant s'échapper de la fine ligne de sa bouche. Un elfe plus démarqué des autres par sa tenue vert impérial et or s'approcha d'elle en boitant. Il la salua respectueusement, avant de lui tendre la tenue qu'il tenait dans ses mains. Elle la prit délicatement, observant avec stupeur cette tenue qui était désormais sienne.

" Eilianiel. Par tous les Valar, est-ce bien la même personne que j'ai devant moi ? Permettez-moi d'en doutez mes Dieux ... ne te souviens-tu point de moi ? s'empressa-t-il de demander devant l'incompréhension de l'elleth.

- Je n'ai aucun souvenir de votre visage ...

- Oh ... Je vois. Ce n'est rien, laes ... "

Relevant la tête de la tenue qu'elle s'était mise à contempler, Eilianiel laissa sa bouche s'entrouvrir lentement, bloquant sa respiration et serrant les poings à s'en couper les paumes. Elle sera, attendant que son sang n'aille s'écraser sur la terre meuble à ses pieds. Le sang glissa entre les jointures de ses doigts serrés pour finalement couler le long de sa main lentement. Un long frisson descendit le long de son dos couvert de sueurs froides. La douleur qui parut à ses paumes n'était qu'une infime sensation face à celles qu'elle ressentait à ce moment-là. Celles qui assaillaient son coeur meurtri par une vie dépravée, de meurtres et de trahisons, de repenti et de rédemption, de gloire et de déroute. Il l'avait appelé laes ... Il avait utilisé le surnom qu'il lui donnait quand elle était petite et qu'elle jouait encore à la princesse dans les arbres de sa chère foret. Il l'avait appelé ainsi, comme personne ne l'avait jamais appelée depuis. Et cette même personne se tenait devant elle, et osait lui apporter cette tenue, celle-là même qui allait faire d'elle une Reine. Celle-là même qui allait la mener à la gloire ou à la déroute si jamais elle osait l'enfiler et se proclamer dirigeante du royaume des elfes aux yeux d'or ...

" Veryan ... "

L'elfe lui sourit avant d'hocher la tête, le regard rempli du lourds poids des années de séparation.

" Je suis de retour, et saches que désormais je te suivrai ma soeur ... Je vous suivrai, Ma Reine. "

Une larme perla au coin de l'oeil d'Eilianiel. Elle était si émue, si euphorique qu'elle se retenait de se jeter dans les bras de son grand frère pour rester collée à lui pour l'éternité, juste pour sentir ces bras puissants la serrer de nouveau, ressentir leur réconfort.

Mais elle n'en fit point. Elle restait là, à laisser ces larmes qu'elle tentait de refouler depuis tant d'années couler en silence le long de ses joues creusées par le dur voyage et la fatigue qui pesait sur ses épaules devenues trop lourdes à supporter. Une douce main se posa sur son épaule, et la fit pivoter avec fermeté. Elrond se tenait devant elle, accompagné par Glorfindel et ses fils.

" Ma chère amie, cette tenue vous siéra. "

Elle releva la tête, son frère l'avait rejointe et lui souriait désormais par encouragement. Ce fut le plus proche conseiller d'Elrond qui prit alors la parole.

" Il vous faut enfiler au plus vite cette tenue, afin de diriger vos propres troupes ... le Gondor a besoin de vous, et ce de toute urgence. "

Elle releva ses yeux encore humides vers l'elfe blond, avant de se tourner vers son frère qui l'encourageait d'un regard complice. Cependant une question demeurait sans réponse, et cela la titilla jusqu'à ce qu'elle ose la poser après quelques silences d'une mûre réflexion.

" Veryan, explique donc moi pourquoi n'est-ce pas toi qui porte nos couleurs en tant que Roi. "

L'elfe l'observa, et un voile passa devant ses yeux le temps d'un battement de cils. Un voile indéchiffrable, indéfinissable.

De la nostalgie ?

De la rancoeur peut-être même ...

Alors, dans un geste bien trop doux pour signifier quelque chose de positif, le Prince de la maison Habriston releva son bas de pantalon, laissant découvrir une jambe gauche mutilée par des brûlures toutes plus graves les unes que les autres ainsi qu'une jambe droite inexistante ... Il portait un appareillage fait d'acier et de bois, articulé et confectionné par certainement médecins et forgerons. Il abaissa rapidement son pantalon afin d'éviter les regards trop curieux des passants qui se promenaient dans le village à cette heure matinale.

" Ce n'était tout simplement pas à moi de récupérer ce trône ... murmura-t-il. Je ne suis qu'un potentiel successeur à celui qui portera notre couronne. "

Eilianiel releva ses yeux humidifiés vers son frère, qui l'observait avec un regard rempli d'amour. Il lui sourit doucement, avant de venir poser ses lèvres contre le front de sa cadette qui se revoyait fuir le combat, laissant maison et famille brûler sous les rires gras des Orcs. La main de Veryan s'entrelaça à la sienne, et imposa la tenue qu'elle avait dans ses mains contre sa poitrine.

" Porte cette tenue ma soeur, et conduit donc ton peuple à la victoire ... "


Z'inquiétez pas, le chapitre 35 arrive !! 

Pour l'Amour et la Haine - Affronter sa DestinéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant