Ashes | PEAKY BLINDERS

VI. L'Opéra

R. L.

L'opéra était bondé. Rose était émerveillée par la décoration. Toute de rouge vêtue, elle était au bras d'un associé de son père dont elle avait oublié le nom. Il lui avait été proposé de venir accompagnée et son père ne lui avait guère laissé le choix. Si cela n'avait tenu qu'à elle, elle ne serait pas venue à cette pièce de Mozart.

La française n'avait pas envie de sortir. Elle avait peur de tomber sur l'un d'eux, car elle était persuadée qu'à de nombreuses reprises, elle avait été et était suivie. Elle était absolument convaincue que tout cela n'était le fait que d'un individu. Lui.

Son père était installé juste derrière elle, dans l'une des loges prestigieuses et privilégiées de l'opéra. Rose ne se sentait pas à son aise. Son voisin avait beau être charmant, courtois et très serviable, elle ne parvenait pas à être détendue, apaisée. L'unique chose qui la rassurait, c'était la présence de son père. Et encore, elle savait pertinemment que s'ils débarquaient à l'improviste, il ne pourrait rien faire. Rien du tout. Ils étaient tous en danger. Tous.

Le spectacle n'allait pas tarder à débuter. Son éventail émeraude, à la dentelle blanche dans la main droite, Rose tentait de se rafraîchir pour lutter contre la température étouffante qui régnait dans la loge. Elle ne prêtait pas attention à son voisin même si, elle le sentait de manière imperceptible, tentait de rapprocher lentement, très lentement ses doigts fins et blancs de sa main, ornée d'un bracelet en or.

Les musiciens s'agitaient, en bas. Les festivités commençaient et les éclairages s'éteignaient peu à peu, afin de laisser le public dans une atmosphère tamisée, presque mystérieuse. Rose détacha son regard curieux de la scène élégamment décorée, et s'autorisa à observer discrètement la foule des spectateurs. De nombreux notables l'entouraient et, tout en haut, des gens moins aisés suivaient la représentation avec joie. Le temps était suspendu. Toutes et tous étaient accrochés aux lèvres de la cantatrice, vêtue d'une robe absolument renversante. Ses prunelles foncées redescendirent sur les loges principales et elle manqua de faire tomber son éventail. Tapi dans l'ombre, au fond de la loge qui faisait face à la sienne, un homme la fixait intensément. Elle n'eut aucun doute. Une paire d'yeux clairs et glacials se détachaient de l'obscurité comme un phare au cœur des ténèbres de la nuit. Ses yeux.

Rose déglutit avec difficulté et se détourna aussitôt, soudainement victime d'une bouffée de chaleur et d'un léger vertige. Après quelques minutes de répit, elle se décida enfin à se tourner de son côté. Son cœur loupa un battement. Il avait disparu.

T.S.

Thomas alluma une énième cigarette, nonchalamment. L'entracte venait à peine de commencer et comme bien souvent, il s'ennuyait, dans ce genre d'endroit. Bien sûr, il était sans cesse en plein travail, à observer, à parler, à calculer, à négocier mais ce n'était pas comme lorsqu'il était avec eux. Lorsqu'il se sentait fort et puissant à leurs côtés. Même s'il était parfois rongé par la peur, tel qu'il l'avait avoué à Grace, le jour de leur mariage. Qu'elle avait été belle, ce jour-là. Sa robe violette et ses beaux yeux avaient eu raison de lui. Ils avaient cédé à la tentation le soir-même de leur dîner de noces, alors que tous les convives les attendaient dans l'immense et somptueuse salle à manger. Mais tout cela, c'était avant – bien avant. C'était le passé. C'était derrière lui.

Les spectateurs gagnaient peu à peu la salle de réception, histoire de se désaltérer un peu avant la reprise de la seconde partie de l'opéra grandiose qui leur avait été offert. Lui ne s'y était guère intéressé. Il n'avait pas arrêté une minute d'examiner la foule, ce public si sérieux et si calme, mais il n'était pas dupe. Il savait que les pires ordures de la société étaient là et il les avait rapidement repérés, dans leurs loges où le champagne coulait à flot et les femmes ouvraient les cuisses au moindre de leurs gestes répugnants.