XX. Le Diable

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R.L.

L'hôtel particulier était étrangement silencieux, en cette fin de journée. Huit heures et demie avaient déjà sonné. Son père n'était toujours pas rentré du travail. Rose était seule depuis quelques jours. Discrète et calme, elle n'était qu'une ombre au cœur de cette imposante bâtisse. Elle était surtout l'ombre d'elle-même. Son moral était au plus bas. Une épave à l'abandon, un phare éteint au beau milieu de l'océan.

Rose venait tout juste de se faire couler un bain dans la grande baignoire en marbre, à pieds dorés. L'eau brûlante fumait abondamment lorsqu'elle s'y glissa entièrement nue. La température ne la gêna pas, au contraire. La chaleur ne l'effrayait plus. À cause de... Combien de fois avait-elle approché le feu de trop près ? Elle ne saurait le dire, tellement il y en avait eu. Une inflammation de son épiderme lui faisait du bien, aujourd'hui, comme une caresse glacée et intense, elle entamait sa peau, puis... parfois, le sang venait. Cela était un soulagement, une libération. Souffrir pour mieux guérir. Douleur devenue douceur.

Sa peau rougit à vue d'œil, mais elle n'en avait cure. Ses muscles se détendirent enfin, après une longue et dure journée de labeur.

Cela faisait désormais une semaine qu'ils étaient venus au magasin, pourtant, Rose avait l'impression que c'était la veille, qu'elle avait croisé son regard. Cependant, elle ne voulait pas y songer, ni dépendre de lui car, malheureusement, elle se sentait déjà... enchaînée, liée à Thomas Shelby.

Elle saisit un morceau de savon à la lavande et à l'amande douce que lui avait offert son père pour Noël dernier, et commença à se laver les bras. Elle se sentait bien, là, seule, dans son bain chaud. Quelques bougies autour d'elle donnaient à la pièce une ambiance apaisante. La jeune femme huma avec plaisir le parfum des fleurs qu'avait disposé l'une de leurs domestiques dans un haut vase en verre blanc.

La française débarrassa son esprit de toute pensée, se concentrant uniquement sur les clapotis de l'eau, les fragrances naturelles et la tranquillité. Or, quand ses yeux noirs tombèrent sur l'une de ses nombreuses cicatrices au poignet gauche, elle fut submergée par une vague de nausée. Une vague de...

Rose lança un coup de pied rageur sous l'eau, mais s'écrasa les orteils contre la paroi. Elle voulait être forte. Elle voulait aller de l'avant. Depuis sa « séance » avec Polly, beaucoup de choses avaient changé, à commencer par la réappropriation de son propre corps. Désormais, elle n'avait plus peur de s'observer dans un miroir et les marques du passé étaient plus faciles à accepter. À oublier, dans un certain sens. Son sommeil n'était plus le même. Elle pouvait dormir à présent plusieurs heures d'affilée, sans se réveiller en sursaut, couverte de sueur, prise de tremblements et de peurs abyssales. La gitane l'avait véritablement aidée. Elle lui en serait éternellement reconnaissante.

En poursuivant sa toilette, Rose visualisa le sourire et le regard rassurants de sa guérisseuse. Elle n'oublierait jamais la promesse que cette dernière lui avait faite. Jamais elle ne dirait à qui que ce fût ce qu'il s'était produit pour elle – entre elles. Même pas à lui. La jeune femme, fidèle à sa personnalité, n'avait pu s'empêcher de serrer la grande dame contre son cœur.

Bien qu'elle fût totalement horrifiée et dégoûtée par le contact avec les hommes – sauf avec son père et lui –, les échanges avec les femmes étaient au contraire, pour Rose, absolument rassurants. Salvateurs. Être dans les bras d'une femme, c'était un peu comme retrouver sa mère. Sa mère qui était désormais partie loin d'elle, loin de ce monde. Loin de tout. Loin de la Vie.

Elle sortit de son bain, attrapa une grande et moelleuse serviette rose pastel sur laquelle était brodé « Jacqueline », le prénom de sa grand-mère paternelle, en élégantes lettres bleues. Un dernier souvenir de ce petit bout de femme, la douceur et la générosité incarnées. Rose sécha ses cheveux légèrement humides, sa peau brillant avec les gouttes d'eau qui s'apparentaient à des perles transparentes, puis suivit l'un des conseils que lui avait livrés la tante de Thomas. Affronter son reflet dans la glace.

Ashes | PEAKY BLINDERSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant