XXXXIII. La Vie en rose

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R. L.

Les cloches d'une église sonnèrent au loin. Sept heures du soir.

Dans son immense hôtel particulier, Rose était seule dans la grande salle à manger. Face à un haut miroir au cadre doré, elle était songeuse. Et terriblement tiraillée. Dans ses mains, il y avait une enveloppe.

Une lettre de Thomas Shelby.

Le matin même, Chez John avait ouvert ses portes, révélant à Londres le lieu incontournable de la mode. Rose, Dudley et tous les autres employés du grand magasin avaient œuvré de toutes leurs forces, si bien que cela avait été une grande réussite. Les ventes avaient été fructueuses et les recettes exceptionnelles – rares avaient été les journées d'une telle envergure lorsque John Moray était encore de ce monde.

Rose avait été comblée. L'un de ses rêves s'était réalisé – et se réalisait. Ce jour-là, tout avait été parfait mais, quand son regard avait croisé une casquette noire, tout avait basculé.

Elle soupira et se tourna vers l'une des hautes fenêtres de la pièce, encadrées de lourds rideaux en velours clair. Malgré elle, des images s'imposèrent à elle. Une scène lui revint en mémoire. Mémorable.

Le Destin était venu frapper à sa porte. Et il avait frappé fort.

Le discours de Dudley se termine. Rose applaudit, avec un grand sourire. Plein de fierté. La foule éclate, elle aussi. Puis, les portiers laissent le passage libre.

Et c'est la cohue.

Rose se met sur le côté, pour de se protéger. Juste à temps.

La foule est une mer déchaînée. Les gens entrent par vagues. Folles.

Dudley a disparu. Rose est seule, dans sa magnifique tenue. Sourire, même si elle étouffe. Sourire, même si elle a le tournis. Sourire, même si elle ne perçoit plus grand chose.

La masse a eu raison d'elle. Rose est à l'intérieur, maintenant. À nouveau. Dans le flot humain perpétuel. Alors, elle le traverse. Une barque à contre-courant. Le cœur battant, les oreilles bourdonnantes. Elle cherche une île. Un peu de calme. Un peu d'obscurité. Loin des regards. Loin des voix.

Parce qu'elle n'est pas prête. À le revoir, lui. Cette casquette sombre la hante. Où est-elle, à présent ? Est-ce lui ?

Noyée dans l'océan des corps, elle se dirige vers l'escalier. Pour rejoindre « la Galerie des Glaces ». Là où il n'y a personne. Car tout le monde est au « Paradis », sous la grande verrière. Et admire la Beauté, à l'état pur.

Elle est presque devant les marches. Il y a du mouvement, à bâbord, à tribord. Partout. Ça joue des coudes, ça joue des pieds. Rose prend sur elle, et garde le cap. Même si tout est trop bruyant. Trop intense.

Enfin, elle arrive à bon port. Elle s'apprête à monter, mais elle est bousculée. Brusquement.

Rose se retourne. Ses yeux s'ouvrent en grand. Au milieu de la marée de visages, une femme se dresse devant elle. Sublime. Cheveux d'or. Prunelles noires. Lèvres griotte.

- Excusez-moi, madame...

Et l'inconnue disparaît. Emportée par la foule.

Rose gravit alors les marches. Pas à pas.

Arrivée en haut, elle se retourne. Pas de jolie blonde, à l'horizon.

Ashes | PEAKY BLINDERSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant