VII. La Commande

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R.L.

Les portes du magasin avaient ouvert depuis peu mais c'était déjà la folie, en rayons. Toutes les vendeuses se pressaient de part et d'autre du vaste hall et les billets coulaient à flots. C'était une merveilleuse journée ensoleillée, cela était tout particulièrement un avantage pour l'immense boutique, qui possédait une grande verrière, illuminant ainsi l'espace d'une lueur sans égal, dorée et chaude comme un pain tout droit sorti du jour.

Rose achevait une vente avec une cliente française singulièrement distinguée, dont la chevelure blonde et soyeuse donnait une grâce, un charme certains à son petit visage pâle aux joues roses. Cette dernière partit avec une somptueuse robe bleu turquoise, aux discrets motifs dorés, semblables à des arabesques orientales.

- Rose ! l'appela leur première vendeuse, Miss Audrey, d'un ton autoritaire.

Saluant une dernière fois la gracieuse cliente, elle se rendit à gauche du vaste lieu, pour retrouver sa supérieure – et ses nombreux défauts et directives. Cette dame d'un certain âge avait toutefois conservé tout le charme de sa jeunesse, et Rose était à chaque fois impressionnée par son élégance et sa paire d'yeux vert émeraude, toujours aussi bien maquillés. Elle était intimidante.

- Oui, madame ? demanda-t-elle avec politesse.

Beaucoup de ses collègues la trouvaient amère, sévère et redoutable mais, avec Rose, elle n'était pas ainsi. Elle était juste et droite. Professionnelle. Sans doute parce que Rose était la meilleure vendeuse de toutes ; elle avait très vite fait ses preuves. Cela avait entraîné – malheureusement mais sans étonnement – de nombreuses jalousies, et Rose ne pouvait compter que sur Pauline, ce qui la satisfaisait pleinement. Avec les semaines, elle avait appris à ne plus prêter attention aux remarques et aux regards envieux. Elle poursuivait son parcours, tout en restant fidèle à elle-même, c'est-à-dire une passionnée extrêmement travailleuse et rigoureuse. Ses nombreuses qualités n'avaient échappé à personne, et surtout pas au patron du magasin. Parti de rien, cet homme avait réussi à fonder un empire de la mode par son caractère unique. Personne ne savait lui résister. Ils et elles finissaient toujours par lui céder. Que ce fût en affaires ou autres histoires personnelles. Toutes les femmes de Londres étaient à ses pieds. Toutes. Sauf Rose. Forcément, ce Moray l'avait senti. Il l'avait remarquée dès le début, lorsqu'elle était entrée dans son magasin si polie, si timide. Mais derrière cette attitude si respectueuse et discrète, il avait flairé quelque chose. Le feu. Rose était une femme de caractère, ambitieuse et il n'avait pu être aveugle. Elle était une pierre précieuse, un joyau dans ce monde sombre et chaotique. Une perle rare.

Rose était toujours méfiante, avec les gens. Plus spécifiquement avec les hommes, depuis que le pire était arrivé. Face aux hommes, elle était froide et distante. Afin de se protéger, de rester en sécurité. Toutefois, elle avait failli. Avec cet homme – ce gangster, ce bandit, ce malfrat. Ce meurtrier. Elle s'en voulait terriblement, et s'en voulait encore plus depuis le jour où le patron l'avait vue regarder à la fenêtre. Le regarder lui. Elle avait très bien remarqué son expression sévère. Parce que Moray savait qui était cet homme. Tout le monde le savait. Lorsqu'il arrivait avec son béret reconnaissable entre mille, le monde semblait ne plus exister, le temps s'arrêter. Car il était là.

Depuis cet événement, quelque chose avait changé chez son patron. Rose l'éprouvait malgré elle, à chacune de ses apparitions, qui étaient de plus en plus fréquentes. Que ce fût sur ses heures de travail ou sur les temps de repas, il passait toujours, de loin, comme pour la surveiller. Ou vérifier qu'elle était toujours là, en vie. Nul n'ignorait qui il était et que quiconque croisait son chemin pouvait s'attendre au pire. Vraiment au pire.

Ashes | PEAKY BLINDERSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant