XXXXI. Chez John

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R. L.

Les portes du magasin allaient ouvrir dans quelques minutes. La tension était à son comble. Rose avait les mains moites et son cœur battait à tout rompre.

Elle n'avait pas dormi de la nuit. En vérité, cela faisait deux mois qu'elle ne trouvait plus le sommeil. Depuis qu'Albert était parti, et depuis qu'elle lui avait dit au revoir. À Thomas Shelby.

L'hôtel particulier lui semblait bien vide, maintenant. Mort. Elle n'avait toujours pas osé entrer dans la chambre de son père. Ses affaires n'avaient pas bougé. Rose n'avait pas eu le courage de demander à ses domestiques de s'en occuper. C'était trop douloureux. Elle avait besoin de temps. Vivre seule était de plus en plus lourd, chaque jour. Elle n'avait même plus la force d'aller se coucher dans son propre lit. Alors, elle s'allongeait simplement sur le canapé du salon, une couverture jetée négligemment sur ses épaules. Elle s'assoupissait à peine devant la cheminée, son regard perdu dans les flammes orangées et dansantes.

Rose ne rêvait donc plus. Seules les images de ses adieux à son père défilaient dans sa tête. Sans cesse. Cette croix la meurtrissait, encore et encore. Elle avait envie de la revoir et, en même temps, elle n'était pas prête. Car affronter Thomas Shelby n'était pas dans ses priorités.

En ce fameux jour de la réouverture de la boutique, cela faisait pile deux mois que son père était décédé.

Deux mois.

Qu'elle avançait sans lui. Qu'elle vivait seule.

Mais c'était son choix. Elle avait voulu reprendre sa vie en main – ou plutôt, continuer à vivre. Solidement accrochée à ses objectifs, Rose s'était pleinement investie pour le magasin. Comme elle l'avait pressenti, Dudley, le bras droit de John Moray, avait pris sa place, non sans inquiétude. Il était parfois rongé par le doute, ce pourquoi Rose avait une place capitale au sein de la boutique. Elle était devenue naturellement son adjointe et, pour une fois, personne n'avait contesté.

Rose avait enfin retrouvé Pauline. Elles passaient beaucoup de temps ensemble, en dehors de leurs heures de travail. Sa collègue s'était installée avec Sam, son compagnon du comptoir des étoffes, dans un petit appartement de quartier. Plus d'une fois, Pauline avait proposé à Rose d'y passer la nuit pour se changer les idées, mais elle avait toujours refusé. Elle préférait faire son deuil en solitaire. Certains jours, elle était en pleine forme et rayonnante ; d'autres, elle était sans force, sans joie – sans vie.

Souvent, au moment où elle s'y attendait le moins, son visage apparaissait devant elle. Ses yeux si clairs, si profonds, et ses longs cils noirs. Son fascinant regard. Ses hautes pommettes, son sourire renversant qui creusait de magnifiques fossettes dans ses joues, tellement douces. Et ses lèvres pleines, qu'elle vénérait éperdument.

Thomas Shelby lui manquait.

Rose n'en revenait toujours pas de sa déclaration. Le lendemain du décès de son père, elle avait avoué à Thomas ses sentiments – sous la pluie, au pied de sa demeure, avant de repartir pour Londres.

Elle était amoureuse de Thomas. Sans doute depuis leur première rencontre, dans ce bar miteux. Où leurs regards s'étaient croisés. L'intensité de leur contact visuel l'avait chamboulée. Véritablement.

Thomas était apparu dans l'obscurité de son existence, l'éblouissant de son aura sublime.

Rose l'aimait, malgré tout ce qu'il représentait, tout ce qu'il était.

Un homme de pouvoir. Un gangster. Un être dangereux.

Jamais elle ne s'était sentie aussi bien que dans son manoir à la campagne, loin des tumultes de la ville. Lorsqu'elle avait dormi avec lui, surtout. Sous les draps, elle n'était plus seule. Thomas était là, tout près d'elle, respectant ses doutes et ses peurs. Pas une fois il n'avait eu de geste déplacé, pas une. Bien qu'elle sût pertinemment de quoi il était capable, Rose lui avait cédé.

Ashes | PEAKY BLINDERSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant