XXIV. Ada

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R. L.

En cette fin de semaine, c'était la cohue au marché aux légumes. Entre les dizaines d'étals, les centaines de londoniens et tout un tas d'animaux errants, Rose ne savait plus où donner de la tête. Malgré son statut et les moyens que possédait son père, elle tenait à faire elle-même les emplettes une fois par semaine. Être dans le vrai monde. Vivre en communauté. En souvenir à sa mère.

Partie de rien et issue d'une famille extrêmement modeste, elle était parvenue à obtenir un poste d'infirmière important au sein d'un hôpital de la ville de Lyon. Elle s'était toujours battue, tout au long de sa courte vie et quand elle avait fait la connaissance de son futur époux, son univers avait basculé. Rencontré lors d'un dîner, le coup de foudre avait été immédiat. Elle l'avait trouvé très bel homme et lui n'avait pu se détacher de ses beaux yeux sombres – dont avait hérité Rose.

Si la jeune femme mettait un point d'honneur à conserver un quotidien ordinaire, avoir un travail et prendre soin de son logis, c'était pour ne jamais oublier d'où elle venait. Pour ressembler à sa mère, qu'elle aimait de tout son cœur. Elle lui manquait terriblement. Cela faisait exactement six mois qu'elle était morte, emportée par la maladie. Les médecins avaient tout essayé, mais en vain. Josette Lavoisier s'était éteinte à quarante-neuf ans, laissant derrière elle un passé magnifique, aux mille et un souvenirs avec sa fille unique et son mari. Désormais veuf, Albert Lavoisier continuait son chemin aux côtés de sa fille, toujours présente et bienveillante. Leur famille était passé d'un trio extraordinaire à un solide duo. Ils avaient connu la perte, le chagrin et la douleur. Mais Rose et son père s'étaient endurcis. Ils s'étaient rapprochés, malgré les ténèbres, et pouvaient compter l'un sur l'autre.

Après avoir acheté une botte de radis, une de carottes, deux salades, une livre de pommes de terre et un peu de jambon blanc, Rose s'accorda une pause non loin d'un café où nombre de clients étaient installés. Elle ne leur prêta aucune attention mais lorsqu'elle reconnut un béret noir parmi eux, son cœur s'arrêta. C'était l'un d'entre eux. Discrètement, l'homme blond la surveillait, une cigarette entre les lèvres. Il ne fit aucun mouvement quand leurs regards se croisèrent. Il resta bien droit dans ses souliers parfaitement cirés, un verre d'alcool fort à la main. Rose ne comprenait pas comment faisaient les gens pour s'infliger cela, boire du whisky de bon matin.

Constatant qu'il ne ferait rien de plus que garder un œil sur elle, Rose rompit leur contact visuel et repartit affronter les secousses de la foule bruyante. Il lui fallait encore trouver des œufs, des pommes, du fromage et des herbes pour accompagner les plats que les domestiques prépareraient. La française se faufila parmi les hommes, les femmes et les enfants en essayant d'en bousculer le moins possible. Son joli panier en osier commençait à peser lourd. Savourant le fumet du poulet rôti du boucher et les doux parfums des plantes du fleuriste, elle poursuivit son avancée au cœur du marché. Les innombrables couleurs qui se présentaient à elle la ravissaient, l'emplissant d'un sentiment de joie. C'était une mer de teintes, qui montait vers elle puis regagnait le pavé sale, entre le vert des choux, le rose des navets, le blanc des gousses d'ail, le rouge de la viande fraîche et tendre, le gris des poissons alléchants, le jaune des patates et les infinies variétés de touches qui venaient s'ajouter à ce splendide tableau vivant.

Une fois arrivée près d'un maraîcher dont elle appréciait particulièrement les produits, elle lui commanda ce dont elle avait besoin, souriante et chaleureuse. Le vendeur lui rendit son sourire, lui faisant même cadeau de quelques fruits supplémentaires. Touchée, Rose le remercia et continua ses courses. Le poids des pommes faisait ployer son dos. Son panier était décidément trop lourd, mais elle tint bon et elle alla chercher un peu de thym, de la sauge et du romarin, ce qui n'était pas toujours évident à trouver, ici. Les anglais ne cuisinaient pas comme les français, Rose s'en était vite rendue compte, ce pourquoi elle s'était permise de donner quelques recettes à leurs domestiques, tout droit sorties du précieux livre de recettes de sa mère, qui avait été une excellente cuisinière.

Ashes | PEAKY BLINDERSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant