Chapitre III-15

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Portés par la perspective réjouissante de retrouver notre liberté le plus vite possible, nous nous mîmes en chemin. Instinctivement, nous choisissions de progresser lentement, la perception du danger de la situation nous y poussait. Malgré quelques hésitations, je pris la tête du cortège, et je sentis que l'on me la laissait bien volontiers.

Nous avions évidemment tous conscience qu'il fallait à tout prix garder notre calme, ou au minimum, tenter de gérer notre stress. On nous l'avait assez répété au cours de chaque exercice consistant à simuler une situation d'urgence. De l'incendie à l'attaque terroriste, la règle était toujours la même : « garder votre calme. » Et finalement, j'étais surpris de voir que jusqu'ici nous y arrivions relativement bien. Ces entraînements avaient-ils porté leurs fruits ou était-ce le fait d'être livrés à nous-mêmes, qui nous amenait à adopter une attitude aussi responsable ? Difficile à dire.

L'idée de demander à mes compagnons d'éteindre certaines de leurs lampes me vint à l'esprit. Économiser les batteries de ces dernières pourrait être une bonne stratégie si cette situation devait durer. Mais je décidai de me censurer pour l'instant. La lumière était plutôt rassurante et le moral de notre troupe m'apparaissait être une priorité. Et à vrai dire, j'espérais réellement trouver bientôt une sortie, prêt à accepter volontiers la leçon de cette mauvaise expérience.

Je m'engageai pour la deuxième fois sur cet escalier, mais cette fois-ci, avec un état d'esprit bien différent. Il ne descendait pas aussi profondément que j'aurais pu l'imaginer. Arrivé en bas, j'estimais que nous devions nous trouver à environ trois mètres de la surface. Je considérais que c'était plutôt une bonne nouvelle, étant donné que c'était cette même surface que nous cherchions à regagner le plus vite possible. Il fallait bien tenter de se rassurer, car l'environnement qui se présentait à nous ne m'inspirait que de l'angoisse. Le tunnel étroit dans lequel nous nous étions engagés semblait digérer rapidement la lumière émise par nos lampes. J'avais ainsi l'impression de me tenir à l'entrée d'un puits sans fond. Cette image contrastait de façon saisissante avec la veille, lors de notre arrivée sur la prairie, ne manquant pas de me rappeler l'erreur qui avait été la nôtre. Ici, l'ombre l'emportait sur la lumière. L'humidité avait oxydé les murs à un tel point, qu'ils en étaient devenus parfaitement noirs. En conséquence, leur capacité de réflexion s'avérait être quasi nulle. Il m'était donc pour l'instant impossible de juger de la distance que nous devrions parcourir dans ces conditions. Nous ne pouvions anticiper que d'une quinzaine de pas la réalité que camouflaient les ténèbres devant nous. Je regrettais profondément que notre matériel ne soit pas plus adapté aux circonstances auxquelles nous étions soumis alors. Mais à vrai dire, je regrettais tant de choses...

Déjà plusieurs minutes que nous progressions. Quand soudain, l'obscurité intangible se mua en une surface sombre. Un obstacle. Une porte. Une porte en métal. Fermée, mais dont la fonction était tout de même de s'ouvrir. Donnant tout à coup un aspect plus familier à l'espace inconnu que nous parcourions jusqu'alors, elle nous fit presser le pas. Que pouvait-il bien se cacher derrière ? Jamais de ma vie une porte n'avait été pour moi aussi mystérieuse. Occultant un univers dont dépendrait notre survie. Était-elle fermée à clef ? Pitié, pourvu que non. La perspective de rester coincé entre cette porte et le panneau de béton me souleva l'estomac. Je ne pus m'empêcher de nous imaginer définitivement piégés dans cet espace coupé du monde, à attendre de mourir de faim, à nous entredéchirer sans doute. Mais non, je n'avais pas le droit de me laisser aller à de telles idées. Il me fallait lutter à tout prix, dans les actes et les pensées, afin de ne jamais abandonner. Laissant de côté toute logique architecturale, j'imaginai qu'un escalier se tenait juste là, rendu simplement inaccessible à notre vue par ce morceau de métal.

Nous y étions. La porte en elle-même avait l'air solide. Composée de panneaux et renforcée par des traverses, elle abordait un aspect très industriel. À première vue, elle s'intégrait plutôt bien dans le décor. Métaux et béton font souvent bon ménage. Mais, progressivement, plusieurs détails vinrent me perturber. De façon inconsciente tout d'abord, ne faisant que renforcer l'incompréhension que ce lieu m'inspirait. Ainsi, aucune trace de rouille n'était visible, et la porte elle-même semblait être dans un excellent état général. Puis je me rendis compte que la poignée m'évoquait un style très moderne. Aucune serrure apparente sous celle-ci. Tout venait contraster avec la représentation temporelle que je pouvais avoir eu de cet endroit. Mais bientôt, un autre élément attira mon attention. Se trouvant dans l'espace que couvrait ma vision périphérique, je ne l'avais pas vu tout de suite. Pour autant, en dirigeant mon regard dessus, il me parut tout de suite évident qu'ici devait se porter toute notre attention.

Un boitier en métal brossé se trouvait collé au mur sur ma droite. Son apparence déteignait tellement avec tout ce que j'avais pu observer jusqu'ici, que sa simple vue me fit ressentir un vertige. Sur sa façade, un petit écran en verre noir. Sans pouvoir en affirmer exactement la nature, je n'avais alors aucun doute sur le fait qu'il s'agisse d'un objet technologique, totalement contemporain. Et il me parut évident que sa fonction devait être liée à l'ouverture de cette porte. À cet instant, tout était remis en question. Jusqu'ici de nombreux indices m'avaient amené à penser que cette installation était ancienne et abandonnée. Mais finalement, ce n'était peut-être pas le cas. Les nouvelles considérations auxquelles je devais faire face me laissaient perplexe. Le faisceau de ma lampe braqué sur cet objet insolite avait naturellement attiré le regard de mes compagnons d'infortune.

— What the fuck is that ? lâcha spontanément Sylvain.

— C'est le genre de truc qu'on est pas censés trouver dans un blockhaus, non ? répondit Sophie d'un ton empli d'angoisse.

— Ça veut peut-être dire qu'il y a du monde là-dedans ? ajoutai-je plein d'espoir en me voyant déjà frapper sur la porte en hurlant si celle-ci ne s'ouvrait pas.

Mais n'y tenant plus, Tom l'enfonça d'un coup sous nos yeux incrédules. Elle n'était pas verrouillée, quelle chance !

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