Chapitre I-5

72 30 10
                                    

Effectivement, cela n'avait plus rien à voir, et j'appréciais grandement la chance d'être assis à l'avant, ce qui me permettait de me tenir fermement à la poignée de ma portière. Bien sûr, Tom faisait son possible pour limiter les sensations désagréables dues à un tel parcours. Je pensais d'ailleurs à cet instant que nous pouvions nous estimer heureux de ne pas avoir Sylvain au volant. Sa témérité nous aurait sans doute amenés à subir la situation de façon bien plus violente. Pour autant, la nature du terrain nous obligeait à adopter une conduite assez brutale afin de réussir à traverser les différents obstacles qui, plus que de se trouver sur notre chemin, le constituaient entièrement. C'était en tout cas ce que je comprenais au fur et à mesure que Tom me décryptait ses stratégies de pilotage, ainsi que les caractéristiques des parties à franchir. Ses explications étaient rapides, tentant de profiter des quelques secondes de répit qui lui étaient permises, et il s'interrompait souvent, étant donné que sa concentration se retrouvait à nouveau entièrement mobilisée par la difficulté de la tâche qu'il accomplissait à cet instant. Nous ne dépassions plus le troisième rapport depuis un moment, et ma propre expérience de la conduite me faisait sentir à quel point il était difficile de garder un régime moteur performant dans ces conditions.

Ainsi, les flaques que nous rencontrions nous obligeaient à prendre de l'élan pour ne pas y rester embourbés, ce qui avait pour effet de projeter de grandes gerbes d'eau tout autour de nous. Les essuie-glaces tournaient d'ailleurs à plein régime, afin de débarrasser le parebrise de l'eau boueuse qui le recouvrait régulièrement. Les fameuses « flaques » dont parlait Tom me faisaient en réalité plus penser à des petites mares, du fait de leurs longueurs et de leurs profondeurs. Rien à voir avec les flaques dans lesquelles je sautais étant enfant. Il nous avait cependant rassurés en affirmant que même coincés au milieu de l'une d'elles, nous avions les moyens de nous en dégager. Pour autant, il fallait tout faire pour l'éviter. J'imaginais la galère que cela représenterait pour nous : de la boue jusqu'aux genoux, trempés et sales, à tenter d'utiliser les plaques de désensablements et le treuil. Heureusement, nous étions bien équipés, mais bien que je puisse être curieux de voir tout ceci à l'œuvre, j'appréciais aussi de ne pas avoir à subir trop de désagréments.

Une légère tension était tout de même palpable au sein du véhicule. Les silences de Tom, manifestement contagieux, me faisaient penser que mes appréhensions étaient partagées. Bien sûr, il aurait été dommage de commencer notre week-end en pleine gadoue, à douter du bienfondé de cette escapade. Heureusement, Sylvain était doué pour insuffler une bonne ambiance. En riant beaucoup et en poussant des cris qui nous faisaient nous croire à la fête foraine, il nous permettait de profiter de l'aventure dans laquelle nous nous étions lancés. Il faut dire que c'était une chance de pouvoir expérimenter un tel tour de manège, si l'on peut dire, et que cette seule introduction à notre petit périple nous donnait déjà matière à nous vanter auprès de ceux à qui nous le raconterions. Car, honnêteté oblige, ce que l'aventurier recherche plus que l'aventure, c'est le public à qui il pourra la raconter. Aussi, je cultivais la conscience de ne pas déroger à la règle, tout en essayant d'en tirer quelques leçons.

Bientôt, alors que nous venions de traverser un terrain qui contrastait magnifiquement avec la notion même de plane, et qui m'avait permis d'observer le gyroscope dont notre engin était équipé, se balancer dans tous les sens, m'indiquant les degrés de pente auxquels nous étions contraints, nous fîmes face à une montée conséquente. Longue seulement d'une vingtaine de mètres, mais impressionnante ! Elle était en effet bien plus aigüe que ce que par quoi nous étions passés jusqu'alors, et elle avait clairement canalisé les pluies récentes, la laissant détrempée et pour le moins accidentée. Le véhicule stoppa.

— Bon déjà est-ce que tout le monde va bien ? demanda Tom avec l'intonation d'un présentateur qui chauffe son public.

— Ouiiii, s'exclama la petite troupe en cœur.

ACCROCHE-TOI À MOIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant