Chapitre I-6

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Encore une fois, l'occasion d'une courte pause s'imposait.

Je dois dire que j'étais fasciné par ce que je voyais.

Devant nous se trouvait une rivière peu profonde, large de trois mètres, tout au plus. Le courant qui l'animait se matérialisait à notre vue par l'écume qu'il formait sur le sommet de petites roches, dispersées en son sein par les forces de la nature. L'eau qui y coulait, cristalline, nous offrait la beauté d'une pureté accessible seulement à ceux qui se donneraient la peine d'aller la chercher. Elle nous faisait en plus le cadeau de refléter par endroits, cette douce lumière dorée de fin d'après-midi, la rendant encore plus sublime, tel que l'auraient fait de somptueux bijoux ornant le corps d'une déesse. Ses berges étaient bordées des derniers arbres de la forêt que nous quittions, ceux-là mêmes qui constituaient la ceinture de la magnifique prairie qui s'offrait à nos yeux. Une prairie suffisamment grande pour inspirer une immense liberté, et petite à la fois pour faire naître le sentiment d'une intimité protectrice. Je pouvais, de là où je me tenais, en saisir presque l'ensemble. Et pourtant je la contemplais à travers la voûte naturelle que formaient troncs et feuillages, dont l'architecture superbe dessinait l'arche du portail symbolique, qui mène de l'ombre à la lumière. Un contraste saisissant s'opérait entre la couleur de ce ciel du soir, dont le bleu tirait vers le pourpre, et cette herbe si verte qui recouvrait le sol. Mais également entre la douce chaleur d'un soleil qui se prépare à mourir et la noirceur impénétrable d'une forêt qui s'étale à perte de vue, offrant une esthétique émouvante, celle d'un instant unique. Aussi, un chêne que je savais vieux en appréciant l'envergure qu'il déployait, mais dont l'apparence donnait l'illusion d'une jeunesse vigoureuse, se trouvait presque en son centre. Et à ses pieds, je devinais un étang, qui à cet instant du jour devenait miroir magique, brillant d'un feu solaire...

J'avais la sensation de me tenir devant un tableau mystique, composé avec les éléments alchimiques réunis en un parfait équilibre. Ainsi, l'air et l'eau, les feuilles et le bois, la terre et le feu, s'unissaient pour ne former qu'une chose : la beauté.

Et je n'y trouvais nulle part la trace de la main de l'homme, ce qui était à mes yeux un rare privilège.

Bien sûr, comme toujours quand de telles scènes sont peintes par la nature, les mots ne suffisent jamais pour décrire cet effet magique, dont est capable l'assemblage des couleurs présentes sur la palette divine.

Le présent que la nature nous faisait, en se montrant si belle, m'insufflait une forte émotion poétique, qui s'imposait sincèrement dans mon cœur, mais paraîtrait peut-être stupide à celui qui n'aurait pas la chance d'observer un tel spectacle.

Mais à y penser, je ne savais dire si la nature nous offrait réellement quoi que ce soit à cet instant, ou si c'était nous qui nous faisions tout simplement le cadeau de l'admirer. Cette réflexion m'inspirait alors le sujet d'une méditation intellectuelle, à laquelle je ne prendrais malheureusement jamais le temps de me consacrer suffisamment.

Résumant alors mon sentiment, afin de ne pas exposer naïvement ce qui paraîtrait à l'évidence comme une faiblesse, car la sensibilité de nos jours est vite considérée comme telle, je me contentai de lâcher dans un langage qui convenait à mon âge :

— Excellent !

Ce que j'ignorais alors, c'est que c'était un vrai petit paradis qui se tenait devant nous, et que, comme le dis ce fameux proverbe indien :

« À chaque homme est donnée une clef des portes du paradis. Mais la même clef ouvre également les portes de l'enfer. »

Or la curiosité pousse parfois à tenter d'ouvrir toutes les portes qui se présentent à nous.

Et comme j'aurais bientôt l'occasion de le découvrir, un enfer nous attendait, bien plus près que ce que je n'aurais jamais pu imaginer...


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