Chapitre VII-34

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Je n'en revenais pas. J'éprouvais le sentiment d'un accomplissement incroyable. Je venais de sauver l'être vers lequel tout mon amour était dirigé et avait enfin pu lui avouer la nature de l'affection que je lui portais. Et elle ne m'avait pas rejeté. Au contraire, je m'étais vu offrir le privilège fabuleux d'une tendresse sensuelle dont je n'avais jamais osé rêver trop longtemps. Nos lèvres se sont séparées au même moment, naturellement, sans que j'aie l'impression qu'elle ne m'ait quitté plus tôt que je ne l'aurais souhaité, ni d'avoir de mon côté interrompu prématurément la magie de cet instant. Puis, comme si nous avions encore besoin de profiter des bénéfices fabuleux de cette étreinte salvatrice, nos joues se sont collées l'une contre l'autre pendant encore un peu de temps. Finalement, le contexte terrifiant dont nous étions toujours captifs se rappela à nous. Nous nous sommes donc décollés, mais ce faisant j'ai laissé glisser la main que j'avais intuitivement posée sur sa hanche pour attraper la sienne. Je ne voulais plus la lâcher. Elle me donna son accord par le biais d'une pression vigoureuse sur les doigts. Nous avons échangé un dernier regard avant de retourner dans le monde qui continuait d'exister autour de nous. Il fut différent de tous ceux qui l'avaient précédé. Assuré, profond, complice et surtout, aimant. Quelque chose avait manifestement changé entre nous, et je m'en trouvais plus qu'heureux. Nous formions à présent une équipe soudée, renforcée d'une énergie qui m'apparaissait mystique.

Je me suis retourné vers les autres. Max était toujours le plus proche de nous. Il avait détourné la tête de façon pudique et semblait attendre que mon attention se porte à nouveau sur la situation. Je ne pus m'empêcher de lire une certaine jalousie dans son attitude, vainement camouflée par l'expression silencieuse d'une impatience légèrement exaspérée. J'ai avancé dans sa direction, tâchant d'exprimer l'humilité nécessaire afin qu'il accepte la situation telle qu'elle l'était. Quand je suis arrivé à son niveau, je me trouvai conforté dans l'idée de ne pas afficher la joie débridée d'une victoire conquérante. Car même si nous venions de vaincre ensemble, il ne semblait pas d'humeur à célébrer l'exploit auquel il avait participé. J'ai donc préféré coincer ma barre sous l'aisselle du bras qui me reliait à Léa, pour pouvoir lui tendre une main libre et ouverte, accompagnée d'un regard à la fois respectueux et reconnaissant. Il chassa ses ressentiments pour la saisir d'un air sérieux, manifestement étrange au regard des évènements. Je me sentis dans l'obligation d'ajouter quelques mots pour briser la glace :

— Je n'y serais jamais arrivé sans toi Max. Merci, d'être intervenu.

— T'avais déjà fait le gros du boulot, comme depuis le début d'ailleurs. T'inquiète, tu peux compter sur moi si tu as besoin.

J'ai compris au son de sa voix qu'il était déçu, mais sincère. Léa l'a également remercié, avec la douceur qu'elle savait si bien évoquer, mais en s'abstenant d'un contact qui pouvait potentiellement faire plus de mal que de bien. Tom nous a rejoints d'un pas rapide, excité et cachant mal un sourire qui s'adressait à moi.

— Là tu m'impressionnes mon gars, comment tu les as défoncés !

J'ai passé quelques réponses potentielles en revue avant de choisir :

— J'étais motivé.

Je n'ai pas vraiment pu retenir l'expression malicieuse qui s'imprimait sur la commissure de mes lèvres, ce qui a fait pétiller un peu plus ses yeux, trahissant la joie qu'il ressentait pour moi, et aussi celle d'avoir vu le mal qui nous menaçait se faire détruire de la sorte.

— Et toi Léa ? Ça va ? rajouta-t-il avec une sollicitude non feinte.

— Ça va maintenant, dit-elle sans effort.

Je sentais que sa main ne tremblait plus, ce qui donnait plus de poids à ses mots.

Le calme régnait à présent dans notre couloir. Je n'étais plus vraiment inquiet. Après le raffut qu'avait généré cette bataille, si d'autres zombies avaient voulu attaquer, cela aurait déjà eu lieu. J'étais par contre désireux de reformer notre groupe, et surtout, voulais poser quelques questions. Près de la barrière, maintenant ouverte sur son côté, les trois filles nous attendaient. Johan quant à lui s'était réfugié derrière. Heureusement, il n'avait pas refermé le passage qu'il venait de dégager. La perspective étrange de l'imaginer nous empêcher de le rejoindre me fit ressentir un certain malaise. Peut-être que cette idée était stupide, mais le comportement énigmatique qui avait été le sien m'amenait à envisager différentes options. Son attitude ne me paraissait pas agressive. Je n'ai donc rien dit en arrivant à son niveau et ai fait passer tout le monde comme si de rien n'était. Une fois de l'autre côté, j'ai tout de même fait sentir à Léa que j'avais besoin de mes deux mains. J'ai pris ma barre dans la gauche de telle façon qu'elle n'ait rien de menaçant. Cependant, la façon dont je la tenais me permettait d'y avoir accès comme si mon sabre était dans son fourreau. Je savais pouvoir frapper vite et fort à partir de cette position. Tout cela n'était que pure précaution, car je désirais que les choses se passent paisiblement. Mais je voulais également comprendre le comportement étrange du soldat qui avait failli nous faire tuer, d'abord par son inconscience, puis par son absence de réaction.

— Qu'est-ce qui s'est passé Johan ? Pourquoi t'es-tu mis à courir comme ça et à vouloir ouvrir ? ai-je demandé calmement.

— J'ai entendu un bruit, il fallait se mettre à l'abri.

Malgré l'équipement guerrier dont il était vêtu, l'homme manquait de contenance.

— Non, c'est faux, y'a eu aucun bruit ! intervint Lola avec colère.

— Je dis que j'ai entendu un bruit, et après il y avait plein de zombies, je devais ouvrir un accès pour nous mettre à l'abri, contra-t-il.

— Non, c'est toi qui n'as pas respecté le plan, qui les as attirés en jetant la chaise, continua Lola excédée. Et quand on t'a dit d'aider Léa, tu n'as rien fait !

De mon point de vue, j'étais en accord avec elle. Mais la rage qu'elle manifestait à l'encontre de Johan me laissait craindre une surenchère défensive de sa part ; or cela risquait d'envenimer la situation. D'un autre côté, je ne me voyais pas lui demander de se taire ni la faire s'éloigner de la scène, car sa réaction pouvait en devenir plus vindicative encore. Étant donné les indices que m'apportaient l'attitude du coupable, je comprenais que ce dernier n'avait pas cherché à nous nuire. J'ai donc préféré lui offrir une porte de sortie.

— OK, peut-être que l'épuisement physique et moral t'ont joué un mauvais tour, et que tu as cru entendre quelque chose, ce qui t'a amené à agir.

— Je... c'est possible. Avec la faim, la fatigue, la solitude. Dans cette maudite lumière. Je ne suis plus sûr de rien. Ça fait trop longtemps que je suis enfermé ici tout seul. J'ai peut-être un peu paniqué, je suis désolé. Mais je voulais vous protéger, je le jure. S'ils nous bloquaient, personne n'allait survivre.

Je me rendais compte que j'avais commis une grave erreur. J'avais surestimé l'homme que nous avions trouvé. Ce dernier était largement diminué par les conditions extrêmes auxquelles il avait été soumis. Les conséquences auraient pu être dramatiques. Mais finalement, nous nous en étions bien sortis. Très bien, même ! ai-je pensé en me tournant vers Léa. Johan n'avait pas voulu nous trahir, il avait seulement été victime d'une crise d'angoisse. J'ai donc hoché la tête de façon compréhensive, avant de regarder les autres, surtout Lola, en montrant mon approbation à ce que nous venions d'entendre.

— Bon, le plus important c'est que tout le monde aille bien. On s'en est bien tirés, ai-je conclu avant de rajouter : Maintenant, il faut qu'on contrôle cette partie, je veux être sûr que rien ne se cache nulle part avant de refermer le barrage. Normalement, avec le bordel qu'on a foutu, ça fait longtemps que les décharnés auraient dû se manifester. Mais on ne doit prendre aucun risque ! Je propose qu'on check cette première pièce, juste là. Ensuite, les filles y restent avec Tom, et nous trois on s'assure que le reste est bien « clean ».

Léa est revenue me prendre la main, même si elle savait que cela ne pouvait pas durer. Je l'ai embrassée à nouveau, profitant du peu de temps disponible avant de retourner à mes responsabilités. J'aurais tellement aimé pouvoir vivre ce début de relation de façon normale, en passant tout notre temps l'un contre l'autre, dans une fusion passionnelle. Mais pour l'instant, nous n'avions pas ce luxe. Et si je voulais que cela puisse advenir, il me fallait nous garder tous en vie. Quand je lui ai fait comprendre que j'allais devoir y retourner, elle n'a pas pu s'empêcher de me dire : « fais bien attention à toi ». Je l'ai rassurée, bien sûr, tout en savourant l'intention magnifiquement sincère véhiculée par sa phrase, grâce aux charmantes ondulations de son timbre de voix. Jamais je n'avais eu le plaisir de me sentir si cher aux yeux d'une personne. Si ce n'est de la part de mes parents, forcément, mais bizarrement cela n'avait pas pour moi la même importance. Elle a ensuite rejoint le groupe avec la résignation rationnelle qu'elle se devait d'adopter.

Johan s'est rapproché de moi pendant que les autres se tassaient près de l'ouverture dans la barricade, prêts à repasser de l'autre côté en cas de problème.

— Je vais me rattraper, je te le jure. Tu ouvres, je rentre et tu me suis avec Max. On contrôle tous les angles. Si on voit un corps inerte, on n'y touche pas sans être sûr que les deux autres ont vu ce qu'on est en train de faire.

Max s'était placé à nos côtés et avait compris la stratégie. J'ai donc posé ma main sur la poignée.

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