Chapitre I-1

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Encore une fois, j'expérimentais cette sensation familière, ce sentiment d'être « avant ». Avant un moment important, dont je ne pouvais prédire l'issue. En l'occurrence, je ne pouvais même pas anticiper de façon satisfaisante mon propre comportement ni les actes qui seraient les miens dans quelques dizaines de minutes. Je profitais de ces instants où rien n'était encore déterminé, essayant de goûter une partie du bonheur que je serais peut-être bientôt capable de m'offrir.

Les conditions étaient propices pour savourer ce moment. Sylvain était concentré sur la route. La musique, suffisamment forte pour que nous puissions nous abstenir de parler. Je profitais de l'air chaud de cet après-midi de juillet qui rentrait dans l'habitacle par la fenêtre à moitié ouverte, m'offrant cette sensation de légère caresse.

Je me demandais à quoi ressemblerait le « moi » qui reviendrait de ce week-end. Serait-il une version un peu plus triste de ce que j'étais déjà ? Ou bien un jeune homme qui se révèlerait enfin ?

Bizarrement, je pressentais comme une fatalité que rien ne changerait vraiment. En réalité, je ne me sentais pas la force de changer. Pourtant j'en rêvais ! Devenir celui qui l'aurait séduite. Avoir le droit de la serrer contre moi, de l'embrasser. Y penser me donnait déjà tant de plaisir ! Dans ces moments, je me mettais à y croire, vraiment. Elle resterait avec moi près du feu alors que les autres seraient partis se coucher. Je nous roulerais un petit pétard, rien que pour nous deux. On discuterait, on rigolerait. Et puis finalement, après lui avoir raconté une petite histoire que je ne prenais même pas la peine d'imaginer : elle me regarde, elle me sourit. Nous sommes assis... suffisamment proches l'un de l'autre pour n'avoir qu'à la regarder en retour, et m'attarder, et approcher doucement, de ses yeux, de ses lèvres...

Mais c'était là que la réalité me rattrapait. Je ne suis pas cet homme-là ! Même si jamais elle restait, même si elle me regardait... Jamais je ne serais capable de soutenir son regard.

C'était une étrange manie que d'avoir sans cesse besoin de revenir à ce que j'étais réellement, tel un besoin irrépressible de pratiquer une autocritique aussi lucide que destructrice. Pourtant j'adorais fantasmer sur ce que je pourrais être, et pourrais faire, mais jamais bien longtemps. Non, il fallait que je me rappelle à moi-même l'être impuissant que j'incarnais. Intelligent, certes. J'étais d'accord avec Sylvain sur ce point-là, bien que je ne fusse pas un génie non plus. Mais surtout un garçon qui n'avait pas la force de faire face à l'objet de son désir. Elle me terrifiait !

— Ça va ?

Bien sûr, le silence ne durait jamais autant que je le voulais.

— Oui, oui, dans mes pensées... Où est-ce qu'on en est ?

— On devrait pas trop tarder.

— C'est bien paumé comme coin !

— Et encore, t'as rien vu ! T'inquiète, même avec les percus je pense qu'on viendra pas nous faire chier.

— C'est quand même cool que le père de Tom lui laisse le 4x4 pour le week-end.

— Heureusement mec ! Sinon je peux te dire qu'on aurait bien galéré pour aller aussi loin dans la forêt, surtout avec tout le matos qu'on a !

— Ah, ça y est ! Je crois que c'est eux.

— Ouais, c'est ça ! Allez, n'oublie pas, te prends pas la tête et profite !

— On va faire ça.

La voiture ralentit, puis s'arrêta. À partir de ce moment, c'était à moi de jouer.

Ce week-end peut te rendre plus heureux que tu ne l'as jamais été, alors vas-y David, assure !

ACCROCHE-TOI À MOIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant