Chapitre V-27

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Je ne voyais plus que son pied arrière, il devait donc y être presque. Oui, je perçus l'amorce d'un mouvement de recul. Toujours très lentement, il revenait, ramenant la porte avec lui. Il avait dû parcourir la moitié du trajet quand les charnières nous ont trahis. Le grincement caractéristique, finalement trop propice à une situation aussi horrible, vint fendre le silence. Max marqua un temps d'arrêt en réaction. Il n'aurait pas dû. Trop conditionné à réaliser sa tâche avec douceur, il n'a pas su s'adapter à la vitesse de la charge. J'ai vu la main s'engouffrer dans l'espace libre et prendre appui juste au-dessus de la sienne, qui tenait présentement la poignée. Celle de l'autre était pâle et fripée, et ses ongles pour beaucoup déchirés laissaient apparaître cette peau qu'ils sont censés cacher. Max a dû essayer de forcer, car il a commencé à se faire emporter. Mais j'étais là et j'avais prévu ça. Instantanément, ma main gauche, qui tenait le bas de ma barre comme elle l'aurait fait sur la poignée d'un sabre, passa au-dessus de la droite en prise inversée. J'enfonçai ainsi mon arme horizontalement entre mon ami et la bête, et tirai jusqu'à sentir que j'arrachais au danger le corps de celui que je devais sauver. Pour la porte, de toute façon, c'était trop tard, nous l'avions perdue. Sous mon impulsion, nous fîmes quelques pas en arrière. Je vis alors l'affreuse carcasse apparaître en entier. Il était au moins aussi laid et abîmé que les autres. Dès qu'il a passé le seuil, il s'est rétracté comme un ressort, laissant présager une attaque explosive. Mais Sylvain se tenait prêt lui aussi. Et au moment où notre assaillant allait se redéployer pour libérer sa violence, la barre toute puissante de mon ami s'abattit sur sa tête. Elle en écrasa le sommet. Dans d'autres circonstances, s'il avait été question d'une buche, nul doute qu'elle aurait été fendue. L'amplitude du geste avait été parfaite. Je remerciais par ailleurs l'architecte qui avait dessiné ces plafonds assez haut pour permettre de tels mouvements. Mais le temps n'était déjà plus au compliment des absents. Le corps du premier en train de s'effondrer laissait apparaître un autre rebut affamé. J'étais debout, face à lui. C'était mon tour. Ma main aveugle retrouva naturellement sa position de combat. Cette fois-ci j'étais moins surpris, plus en possession de mes moyens. Mon corps se souvenait des entraînements, et cela suffisait. Car oui, il faut le dire, ce n'est jamais l'arme qui bouge, c'est le corps, tout entier. L'objet, lui, ne fait que suivre. Mes bras ont poussé comme ils le devaient, montant cette pointe carrée vers un ciel invisible. Et, au moment opportun, alors que la distance était parfaite, j'ai donné l'ordre. À mes bras de frapper, à mon buste de se tasser, à mes jambes de se plier. L'énergie produite par mes muscles et ma masse fut démultipliée par la longueur de mon arme. Elle s'est ensuite concentrée en un seul point et a percuté. Le coup avait été précis. J'ai pu sentir la jonction des fontanelles céder sous l'impact. L'armure naturelle de cette cervelle putride venait de se briser. Ce qui se trouvait dessous avait été broyé. L'élan qui le mouvait a finalement fait tomber le monstre à mes pieds.

J'étais satisfait de ma performance. Satisfait également de reconnaître ma victime. Comme je l'avais imaginé, la moitié de sa gorge lui manquait. Cette simple énigme, au moins, je l'avais résolue et j'en retirais de la fierté.

Nous méritions une pause. Nous méritions même de nous sauter dans les bras, de faire claquer virilement nos mains, de rire et de crier, d'expulser aussi la tension et de partager ce succès. Mais sans parler du fait qu'il nous fallait rester concentrés, ni même de ces sons que nous ne pouvions nous autoriser, une nouvelle injure se présentait, nous interdisant tout ce qui ne consistait pas à s'y adapter.

Elle ne se trouvait pas devant nous cette fois. Sylvain, d'ailleurs, venait de refermer l'accès à ce nid maudit. Il n'avait pas pris son temps pour le faire. De toute façon, il semblait que notre furtivité ne puisse plus s'imposer. J'ai d'abord entendu un bruit, relativement discret. Je l'identifiai rapidement grâce aux paramètres sur lesquels était conditionnée ma perception. Un processus évidemment inconscient, vestige d'un passé où l'homme ne se trouvait pas au sommet de la chaîne alimentaire. Nous pouvions nous estimer heureux que ce genre de capacités n'ait pas été évacué au cours d'une évolution qui continuait dans des conditions plus confortables. Je reconnus ainsi le son de l'air qui s'extrait d'une cage thoracique, traverse une gorge et s'échappe par la bouche. L'aspect peu harmonieux des ondes qui me parvenaient ne me laissait pas de doute sur ce qui pouvait les émettre. Les cordes vocales n'avaient pas vibré, pas encore du moins. Je tournai prioritairement la tête vers l'origine de ce râle menaçant. Mes yeux confirmèrent non seulement la présence, mais également la distance de la source. Cette dernière était suffisante pour prendre le temps de contrôler l'autre côté, celui dont nous venions. Rien dans cette direction. Il fallait faire un choix, et agir en conséquence. C'est ce que je fis. Je suis parti vite d'abord, sans prévenir. Puis, au fur et à mesure que je me rapprochais, j'ai ralenti. J'avais cassé la distance, la cible était presque à ma portée. Le moment était venu d'amorcer la rotation du bassin, c'était d'elle que viendrait la puissance. J'y étais presque quand j'entendis le grognement indécent annoncer l'imminence de sa propre mutation vers un cri sauvage. Je m'étais tellement tourné qu'à cet instant je lui présentais mon dos. Je venais d'atteindre le point critique. C'est alors que l'influx nerveux se propagea, délivrant ma colonne vertébrale de la torsion à laquelle je l'avais soumise. En un éclair, tout mon poids fut transféré de mon pied arrière vers mon pied avant. L'extrémité de mon arme quant à elle voyagea à grande vitesse, en décrivant un demi-cercle dont j'étais le centre. À l'arrivée, ce fut brutal. Le choc avorta le hurlement démentiel qui se préparait à naître. Puis la tête continua la trajectoire sur laquelle je l'avais lancé, sans pouvoir échapper à la destination qu'incarnait le mur d'à côté. Le bruit fut sourd, mais le rebond fut faible. Le zombie tomba sur un genou, apparemment sonné. Et encore une fois, Max arriva pour finir le travail. Il préféra la répétition à la puissance. Assenant trois coups pour le prix d'un, chacun ayant une sonorité propre. Le spectacle, lui, fut par contre assez sale.

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