Chapitre VIII-40

29 22 0
                                    

Il nous avait donné un nouveau code pour descendre à son étage. Trop pressés de mettre un terme à tout ça pour perdre plus de temps, nous n'avions pas fait durer la conversation. Et pourtant, en me dirigeant vers la chambre où Johan et les filles étaient enfermés, je regrettais de ne pas avoir posé plus de questions sur ce qui pouvait pousser cet homme à vouloir mourir. « Je dois mourir ici », cette phrase me taraudait terriblement. Pour quelqu'un qui ne se pensait pas bête, je me rendais compte encore une fois que mon esprit manquait cruellement de spontanéité. Mais je me cherchais des excuses en me rappelant que j'avais décidé de lui faire confiance, inconditionnellement. C'était le but de la question naïve que je lui avais posée. Admettant mon impuissance face au dilemme, je m'en remettais à cet homme, quitte à ce que cela précipite notre chute. Si c'était le cas, au moins nous en finirions de ce cauchemar.

La fatigue et l'incertitude n'en finissaient pas de provoquer cette oscillation constante de ma volonté. La détermination à survivre alternait avec l'envie secrète d'en finir rapidement. Quoi qu'il en soit, si cet homme tentait de nous trahir de quelque façon que ce soit, je tenterais pour ma part de lui enfoncer ma barre en fer dans l'orbite. Donnant-donnant.

— Vous êtes prêts ? On fait ce qu'on a dit. Je veux ce fusil !

Je n'avais pas pris la peine de chuchoter. Les indices sonores de la rage se firent entendre. Malgré une certaine habitude du phénomène, je me trouvais surpris de ce que les organes vocaux de mes anciens amis se montraient maintenant capables de produire. Impossible dès lors pour moi de refouler l'image de mon propre visage déchiqueté, gueule béante, crachant tout l'air de mes poumons de la façon la plus bruyante et brutale que je pouvais imaginer. Tout ce que j'espérais si cela devait m'arriver, c'était que ma conscience devienne totalement étrangère au corps meurtri et meurtrier qui subsisterait alors. Au-delà de cette considération, je me fichais de savoir si celle-ci se diluerait dans le néant, ou s'éloignerait de cette réalité pour en rejoindre une autre. Un peu de paix, c'était tout ce à quoi j'aspirais.

La porte ne céda pas. Les coups de nos anciens compagnons ne suffisaient qu'à la faire trembler. Mon pied vint la frapper en son centre. À part la douleur ressentie dans les articulations de mon membre inférieur, aucun effet notable ne put être remarqué. Le chambranle étant opposé à la direction de la force que je dirigeais vers cette surface, l'espoir d'enfoncer cette structure devenait nul. Et le bruit que ma charge avait occasionné ne sembla pas donner l'énergie suffisante à nos amis perdus pour briser la serrure de l'intérieur. Pourtant ils y mettaient du leur, au point de me faire ressentir une angoisse que j'espérais ne plus subir. Mes succès précédents n'avaient apparemment pas suffi à m'immuniser totalement contre ce que m'évoquaient ces monstres voraces. Je me demandais si les guerriers, qu'ils soient antiques ou modernes, arrivaient à se débarrasser un jour de la peur de l'ennemi et du combat. Décidément, maintenant que je me retrouvais moi-même dans ce que je m'autorisais à comparer à une guerre, je comprenais à quel point le désir d'y participer était détestable.

Je lâchai un instant la porte du regard pour me tourner vers Max et Tom. Malgré la dispute qui m'avait opposé au premier, celui-ci n'avait pas été difficile à convaincre quand j'avais parlé de récupérer l'arme de Johan. Nous avions même évoqué, un peu malhonnêtement sans doute, le devoir de mettre un terme à l'état dont étaient victimes ceux qui nous accompagnaient il n'y a pas encore si longtemps.

— Je vais faire levier sur la poignée, couvrez-moi ! ordonnai-je.

Après avoir glissé ma barre en travers, de telle façon qu'elle prenne à la fois appui sur le mur et sur l'appendice métallique, je me mettais à tirer. La traction arriva vite à son maximum, provoquant quelques craquements. Je mis mon pied sur le mur afin d'utiliser les muscles plus puissants de ma jambe droite. Cela ne suffisait toujours pas. Je poussai de plus belle et optimisai encore l'effort en laissant le poids mon corps aller vers l'arrière. La prise lâcha sans prévenir, de façon plus soudaine que je ne l'avais imaginé. Ayant tout de même anticipé les conséquences possibles d'un tel déséquilibre, je réussis à amortir quelque peu la chute. Celle-ci fut malgré tout douloureuse, surtout au niveau du coccyx. Mais je ne pris pas le temps d'entamer un autodiagnostic sur une blessure potentielle. L'adrénaline et l'endorphine se mélangèrent en un superbe cocktail, qui me permit de me relever et de retrouver mes appuis pour le combat. Pourtant, une fois debout, je fus surpris de ce qui se trouvait devant moi. La porte, toujours fermée. Mes deux amis la regardaient avec déception. La poignée s'était brisée net, n'offrant plus la moindre prise.

ACCROCHE-TOI À MOIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant