Chapitre II-10

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Ça y était, nous y étions enfin !

Chacun une cannette à la main, nous discutions et rigolions. Et à ce moment, je profitais simplement de l'instant présent. Tous encore debout. Dispersés autour de ce feu qui grandissait au rythme des morceaux de bois que nous y ajoutions. L'ambiance était bonne, c'était un plaisir. Sylvain avait installé son enceinte. Ainsi nous avions la chance de pouvoir écouter de la musique, malgré la distance que nous avions mise entre la civilisation et nous. Notre époque nous permettait ce genre d'extravagances et nous ne nous en privions pas. D'autant plus que le 4x4 nous permettait d'en recharger les batteries. Mon ami pouvait enfin manufacturer le premier joint d'une longue série. Et il faut dire qu'aucun de nous ne voyait cela d'un mauvais œil. Nous étions donc plongés au cœur d'un apéro sauvage, aux sources d'ivresses multiples, comme je les aimais tant alors. Égayés et détendus, nous étions sur le chemin d'une désinhibition naturellement prisée par notre génération, comme d'autres avant elle avaient pu l'être.

Des discussions avaient lieu entre chacun d'entre nous, mais pour l'instant je me sentais un peu bloqué avec Max. Il me vendait son école de commerce comme s'il était intéressé aux bénéfices de celle-ci.

— Tu vois, avec le réseau d'entreprises auquel ils nous donnent accès, on est sûrs de trouver une super place !

Mais je me rappelais dans un même temps avoir entendu sensiblement les mêmes propos dans la bouche de mon ami Sylvain. Ce qui m'amenait à penser que pour le prix qu'ils investissaient dans leurs études, il valait mieux qu'ils soient convaincus, ou au moins, capables de se convaincre eux-mêmes, de la valeur de leur investissement. Et finalement, quel meilleur moyen de s'en convaincre que d'en convaincre les autres ! Malgré tout, je ne m'en trouvais pas convaincu.

Pour autant, je préférais ne pas partager mon scepticisme à ce sujet, dans la mesure où ce n'était pas deux, mais quatre étudiants de cette école qui se trouvaient là. « L'école des futurs maîtres du monde » comme je me plaisais à l'appeler ironiquement.

En effet, Léa et Sophie étaient dans la même classe que Sylvain et Max, et c'était pour cette raison que leur présence ici était possible. Merci l'ami !

Quant à moi, jeune étudiant en philosophie à l'avenir incertain, je me voyais mal trouver la légitimité de critiquer leur projet. Il faut dire que mon parcours semblait moins professionnalisant que le leur.

Tom, lui, entamait un cursus d'ingénieur en construction, alors que Lola et Alice, elles, étudiaient dans le social.

— Ceci dit, je me vois bien monter mon propre projet, reprit-il. Être mon propre patron, ça ça me botte.

— Ah, c'est cool ! Et t'as des idées ? lui demandais-je avec un enthousiasme mesuré.

— Rien de précis pour l'instant. Mais c'est justement ça qu'est génial, c'est de la gestion globale, tu peux t'attaquer à tout.

Sylvain nous rejoignit et tendit à Max l'objet que nos lois interdisaient encore.

— Tiens, goûte-moi ça mon pote !

Mon interlocuteur n'hésita pas une seconde et prit une grosse bouffée sur cet objet d'art qui venait d'avoir été confectionné. J'observais la scène en sentant une rage intérieure m'envahir. Ce genre de rage que la jalousie peut faire naître.

Putain, mais tu te fous de ma gueule ! avais-je envie de hurler.

Moi ! Ton meilleur ami ! Tu me fais passer après lui !

C'était la première fois qu'il me faisait un coup pareil. Nous avions fumé nos premiers joints ensemble et jamais il ne m'avait fait passer après quiconque. Et cette herbe-là, nous l'attendions depuis des semaines. J'encaissais mal, très mal, mais ne laissait rien transparaître. C'est heureusement une capacité que la nature avait cru bon de placer en les êtres sensibles et pensants que nous sommes.

— Vas-y mollo, elle est costaud, lui dit Sylvain rapidement.

— Pas de souci, j'ai l'habitude, répondit Max en soufflant la fumée.

— On est nombreux en plus. T'inquiète y'en aura d'autres, rajouta-t-il alors.

Cela suffit enfin à le faire lâcher.

— Ah, OK, pas de souci, dit-il en me tendant le joint.

Enfin, je recevais la source de ma convoitise, mais trop tard, j'étais blessé. Je fumais en silence, incapable d'apprécier la qualité tant attendue.

Mais Sylvain me laissa seulement tirer trois lattes avant de me dire :

— Hey, mon ami, y'a les filles qui en veulent aussi.

Il dit ces mots en me faisant un discret signe de tête vers Léa qui se trouvait un peu plus loin. Et le sourire qu'il me fit me permit enfin de comprendre. Je souris alors également en lâchant enfin :

— Elle est délicieuse !

— Je sais ! me dit-il complice.

Saisissant l'opportunité qu'il m'offrait, je pris donc mon courage à deux mains et partis à l'aventure en pensant :

Putain Sylvain, t'es pas croyable !

— De l'Orange Bud, ça t'intéresse ? pus-je dire en arrivant à la hauteur de Léa.

— Sans blague ? La dernière fois que j'en ai fumée, c'était à Amsterdam. J'adore ! me dit-elle avec ce sourire qui me touchait tant.

— Ah, trop cool, toi aussi t'as été à Dam ?

Merci l'ami ! pensai-je encore une fois.

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