Chapitre XI-51

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Le retour à la surface fut déboussolant, tout autant qu'éblouissant. Il était peut-être encore un peu tôt pour profiter pleinement de ce retour au monde, car la vérité peinait à dissiper le subterfuge. Dans nos cœurs plus que dans nos yeux, les échos du mal régnaient toujours sur nous par vague. Heureusement, la beauté de la nature enlevait déjà un peu l'empreinte rougeoyante qui avait, de par une trop longue exposition, déteint en nous. Quelques pleurs furent libérés, et, proportionnellement à la profondeur du cauchemar dans lequel nous nous étions abîmés, mouillèrent nos yeux d'une façon supérieure à ce que pouvaient le faire les minuscules larmes du matin, celles qui lavent l'empreinte des rêves de nos nuits. De par les milieux que je fréquentais, j'avais été prévenu, les illusions mensongères, les ombres projetées, étaient puissantes quand elles gangrénaient le peu de raison qu'il y avait chez les hommes. Et il fallait du temps pour s'imprégner du vrai et se purger des vicieuses manigances des menteurs. Mais à la fois, je commençais à comprendre que les machinations de notre démiurge visaient étrangement de nobles desseins. Certes, il nous avait arraché au berceau du réel et nous avait emmenés loin dans la perfidie de ses artifices. Pourtant, l'exercice imposé devait, une fois terminé, donner accès à d'autres facettes de la réalité et nous offrir des yeux plus aiguisés, aptes à se réjouir de simples magnificences disséminées tout autour de nous. Cependant, ma préoccupation à cet instant n'était pas tant le cadeau que lui nous avait fait, mais bien celui que j'avais arraché à l'architecture de ses plans monstrueux. Car si presque tout avait été faux, là en bas, il y avait bien une chose dont je voulais qu'elle reste vraie en haut : l'amour.

J'ai pris Léa à part. Et quand j'ai senti l'hésitation qui était la mienne, debout, en face d'elle, ce doute qui m'empêcha de l'embrasser tout de suite, réveillant la mémoire d'une impuissance que j'avais subie trop longtemps, j'ai eu peur. Et quand j'ai perçu son malaise, ses mains maladroites qui ne venaient pas prendre les miennes et ses yeux brillant d'incertitude, j'ai su. Su que l'amour ne devait pas être la seule chose que je devais ramener des ténèbres. Su que mes actes, là-bas, avaient forgé le courage que j'avais depuis toujours dessiné en rêve. Alors j'ai pris ses mains, et la détermination de mon toucher effaça le reflet de mes inquiétudes dans son regard. Et, dans ce monde illuminé d'une lumière dont on croyait qu'elle ne brillait que pour nous, je l'ai embrassée. Ce baiser, nouveau, dénué de rage et de peur, exempt de la crainte d'une mort prochaine, fut celui de la conviction. Je l'aimais et je l'aimerais, autant que mon courage et ma détermination me le permettraient.

Des mots vinrent ensuite. Ils furent simples et magiques. Mais nul besoin de les répéter ici, car sans le charme qui les animait, leur sens serait inaccessible.

C'est donc ainsi que je l'avais aimée d'abord, comme souvent, sans trop savoir pourquoi. Tel le vestige d'une sagesse oubliée, j'avais reconnu en elle le guide, l'associé et le travail lui-même de ce que devait être ma vie. Dans l'admiration intuitive de sa beauté totale, que j'étais pourtant incapable de percevoir dans sa globalité, j'avais su voir le chemin et le but. Mais parce que ce n'était qu'un cadeau que je m'offrais sans le savoir, cette première étape serait la plus aisée. Juste se montrer capable de recevoir et d'apprécier. Ensuite viendrait le reste : donner beaucoup sans attendre de retour. Même si, à coup sûr, j'en serais toujours récompensé, tôt ou tard, et parfois plus tard que tôt. Ainsi s'amorçait donc la route qui me mènerait à la connaissance de moi-même. Et, oui, il me faudrait beaucoup marcher. Le sentier commençait de façon attrayante, ce qui aidait bien sûr à s'y engager.

Évidemment, il m'est souvent arrivé de regretter ces heures de survie et de combat, tant le défi d'une histoire d'amour est grand face à quelques coups de bâtons sur des êtres qui cherchent à vous dévorer. Et, si ce serait mentir que de dire que j'ai apprécié chaque minute avec elle, car il est des minutes dans une vie à deux qui sont longues et tristes, j'affirme sans le moindre doute qu'elle fut la plus belle chose qui ne me soit jamais arrivée, qu'elle fut celle qui donna tout son sens à ma vie !

Pour ce qui est du reste, je dirais que tout s'est bien passé. Ce jour-là, sur la prairie, nous avons débattu longtemps. Sylvain et moi, surtout, avons rapidement argumenté en faveur des soins qui nous étaient proposés : médicaux et autres. Dans la recherche de la vérité, la dialectique, la rhétorique et la logique nous conduisirent à considérer que nous avions plus à gagner en ce sens, et qu'il serait dommage de laisser notre ego et notre orgueil nous priver de bénéfices incompatibles avec eux-mêmes. Nous avions été victimes d'une mauvaise farce, cela ne faisait pas de doute. Mais les compensations annoncées pouvaient peut-être contrebalancer un préjudice qui de toute façon était passé. Au bout du compte, nous avons su faire miroiter à tous les opportunités qui nous attendaient. Pour ma part, il me suffisait de regarder Léa pour me dire que l'homme qui nous avait soumis à ses rêves m'avait trompé en bien. J'étais curieux de voir de combien je pouvais augmenter la mise. Et je ne fus pas déçu. Le chiffre, objet intellectuel sujet de bien des passions dans l'esprit des hommes, fut le fruit d'une négociation que nous n'avons pas remportée. Mais il fut suffisant pour nous convaincre d'une attitude pacifique et d'une signature concédant à la confidentialité. Le travail, quant à lui, fut plus visité par certains que par d'autres, mais il servit à tous, ne serait-ce qu'en tant que filet de sécurité. Je dois dire qu'à moi, il servit beaucoup. Me permettant après quelque temps d'exercer ma passion en tant que métier. C'est en effet grâce à cette rencontre inhabituelle que j'ai enfin pu vivre des mots, tout en continuant à en rêver. Car des mots, lui et d'autres en avaient besoin, et il s'est trouvé que les miens plaisaient à certains.

Mais ce n'est pas tout. Car je dois dire qu'au long de mon parcours, j'ai appris à mieux connaître le thaumaturge qui s'était joué de nos destins. Et j'ai compris que si l'homme aimait les méchants de l'irréel, ceux qui ont beaucoup à nous apporter, et qu'il savait les interpréter, il avait en réalité une grande estime du bien et cherchait à pratiquer. Or, ayant de mon côté tant d'admiration et d'espoir pour ce genre de chose, étant même adepte du cercle tautologique que l'on pourrait formaliser en ces mots : « Le bien est bon », qui, faute de mieux, suffisait à mon sens comme doctrine pour guider une vie, j'ai fini par lier une grande amitié avec sa personne. Et c'est justement en conjuguant différentes amitiés, et quelques verres d'alcool, que j'ai pu, bien plus tard, mettre enfin le mot fin à cette histoire. Car, comme à chaque fois que la vie désire nous conduire quelque part, il n'est pas nécessaire d'être aussi habile que Sherlock pour mettre un terme à une enquête que l'on croyait terminée depuis longtemps. Cette fin je vous la livre, à mon sens, comme je crois qu'elle doive être racontée.


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