Chapitre V-24

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Johan avait finalement jugé utile de nous donner quelques consignes sur la façon d'utiliser les différentes armes à feu que nous étions susceptibles de trouver dans la base. Ce serait selon lui en dernier recours, car il avait bien insisté sur le fait qu'un cours oral donné à distance sur un tel sujet comportait une dimension ridicule évidente. Mais si jamais il existait la plus petite chance que cela nous sauve la vie, alors il ne faudrait pas s'en priver. Tant mieux, car la concentration que me demanda son exposé me permit d'échapper un peu à mes réflexions morbides. J'appris donc en quelques minutes comment trouver la sécurité, ainsi que l'enclencher ou la désenclencher, sur des fusils à pompe, armes automatiques de calibre neuf millimètres, fusils d'assaut et bien sûr, armes de poing. Mais également comment voir si l'arme était chargée, comment l'armer, la recharger et même comment sélectionner le mode de tir sur celles qui le permettaient. Plus un petit chapitre sur les munitions. Enfin, le b.a.-ba du chasseur de zombies en herbe qui a mis la main sur des flingues. Ce qui pour l'instant, n'était pas vraiment notre cas. Je dois dire que j'y pris quand même un peu de plaisir. Il nous offrait une connaissance qui, bien qu'il en relativisait beaucoup l'usage, me paraissait assez incroyable. Et m'imaginer en train d'exploser du zombie à coup de ce que je savais maintenant pouvoir être du calibre 5.56 OTAN me redonnait un peu d'espoir. En plus, il nous avait garanti que son ami Leny s'était surtout débarrassé des monstres qu'il avait croisés grâce à un pied de bureau en fer. Pour lui, il s'agissait sans conteste de la meilleure façon de procéder. Beaucoup de discrétion et un maximum d'efficacité à l'impact. Voilà qu'elles étaient les directives principales de notre nouveau donneur d'ordre en ce qui concernait le combat rapproché. Aussi, Sylvain lui avait décrit plus tôt les barres en acier que nous avions confectionnées. Cela n'avait pas manqué de l'enthousiasmer et il en avait même profité pour nous congratuler. L'entendre vanter notre intelligence et notre capacité d'adaptation ne manquait pas de me flatter. Car, bien que je me sois gardé de souffler un seul mot à ce sujet, je ne manquais pas non plus de me rappeler que c'était mon idée, et j'avais l'espoir que personne ici ne l'avait oublié.

Nous étions donc quasiment prêts. Il ne nous restait plus qu'à savoir comment nous allions nous organiser. Ce qui en venait à se poser une question pour le moins importante : qui irait ?

Tout le monde était d'accord pour dire que les filles devaient rester ici. Dans une situation comme celle-ci, la notion d'égalité des sexes se voyait reléguée à plus tard. Elles-mêmes, dignes représentantes de leur génération, héritières légitimes de victoires idéologiques, n'osaient remettre en question une telle position. Et donc, il s'en suivit rapidement qu'un garçon devrait demeurer également afin d'assurer une protection, aussi précaire soit-elle. Qui serait celui-là ? Pour ma part, je trouvais presque dommage que nous ayons à se poser la question. Cela ne faisait que compliquer les choses. J'étais à mon sens assez bien placé pour le savoir, car je me serais moi-même laissé tenter par le rôle de gardien. Cependant, je ne me faisais aucune illusion à ce sujet et ne faisait donc que subir cette impossible possibilité comme une torture supplémentaire. Il se trouva quand même que quelques mots vinrent m'offrir un réconfort inespéré, sans pour autant que la torture évoquée n'en soit balayée.

— Peut-être que David peut rester... Il est déjà parti tout à l'heure, tenta très discrètement Léa.

La faiblesse de son argumentation fut paradoxalement l'un des éléments qui m'apporta le plus de plaisir. Sylvain était bien évidemment avec moi dans la quête que nous avions entreprise plus tôt, et pourtant c'est de moi qu'elle parlait, exclusivement. Je ne pouvais m'empêcher de trouver dans son manque de discernement les esquisses d'une affection peu rationnelle dont je rêvais d'être l'objet. La proximité de son corps au moment où elle avait laissé échapper ces mots, additionnée à la distance à laquelle elle avait avancé son visage vers le groupe, ne me permettant pas de croiser son regard, imprégnait son attitude d'une tentative de neutralité feinte qui m'était tout à fait charmante.

Mais malgré les conséquences que cela avait pour moi, je remerciais intérieurement Sylvain de ne pas relever l'absence illégitime de son propre prénom dans la bouche de celle qui venait de s'exprimer. Il se contenta de s'appuyer sur des raisons plus tangibles pour me disqualifier.

— Désolé, mais on va avoir besoin de lui pour ce que l'on va avoir à faire. On ne peut pas se passer de quelqu'un qui a une certaine expérience dans les arts martiaux et qui s'est déjà entraîné à la pratique du sabre.

— Du sabre ? répéta Alice avec un étonnement respectueux.

— Principalement le katana, le sabre traditionnel japonais. Mais je suis loin d'être un samouraï.

— Ouais, enfin, là on a besoin de mettre toutes les chances de notre côté. Et ça je considère que c'en est une ! rajouta mon ami.

— Je viens. De toute façon, je ne pensais pas autrement. Ce serait plutôt à Tom de rester, je crois.

Je vis les yeux de Max se fermer lentement, emportant légèrement son visage vers le bas dans leur élan. Il venait de comprendre, par élimination, que sa présence serait requise. La perspective de prendre les risques dont nous parlions ne semblait pas l'enchanter. Moi-même, j'aurais réellement aimé déléguer cette tâche à n'importe qui d'autre. Mais nos choix étant à ce point limités par la force des choses, notre destin décidait pour nous. Ainsi, soit notre inertie nous tuerait lentement et certainement, soit notre dynamique nous amènerait à découvrir rapidement un futur incertain. Comme beaucoup d'êtres humains, j'avais pu penser qu'il était facile d'être courageux, surtout lorsqu'on n'en avait pas le choix. Mais le temps était venu de renier ces idées présomptueuses. Ce n'était pas facile !

Nul besoin de débat. Tom resterait. Sylvain, Max et moi allions prendre les choses en main, pour le meilleur et pour le pire. Deux détails furent tout de même réglés avant notre départ : un ravitaillement en eau et en nourriture, et une pause pipi. Les deux se passèrent dans la réserve voisine, sans autre problème que l'odeur. Johan était affamé et nous avait demandé si nous pouvions lui ramener de quoi boire et manger. Ce fut l'occasion pour nous de retarder légèrement notre ballade pour se mettre quelques petits gâteaux industriels sous la dent. Malheureusement, le stress rendait inaccessible l'éventuel plaisir que nous aurions pu associer à cette collation. Celle-ci ne nous offrit qu'un peu plus de temps pour nous préparer à quelques insignifiants détails techniques, comme le fait de communiquer en silence.

Ensuite, après des encouragements empreints de bienveillance, où l'espoir contenait les larmes d'un adieu plus que probable, nous nous sommes mis en marche. Et c'est alors que la scène est repassée dans mon esprit, me donnant pourtant l'impression de la vivre pour la première fois. Comme tous les autres, Léa m'avait serré dans ses bras. Mais à ce moment-là, j'étais ailleurs. Trop préoccupé par ce qui nous attendait, aliéné par la peur viscérale de l'action engagée, je n'avais pas su réagir. Elle ne m'avait pas serré plus fort qu'Alice, Sophie ou Lola ne l'avaient fait. Elle n'avait même rien dit à cet instant. Mais moi non plus je n'avais rien dit, ni rien fait. J'aurais pu, j'aurais dû lui dire : je t'aime, et ce que je fais, je le fais pour toi plus que pour n'importe qui d'autre. Mais j'avais raté cette occasion. Peut-être la dernière occasion...

— Bon, vous êtes concentrés ?

La voix de Sylvain était à peine audible, mais elle avait suffi à balayer toutes les représentations mentales qui m'obsédaient. D'une façon incroyable, que je n'avais jamais expérimentée, je me retrouvais soudainement projeté dans le présent. Plus de passé, plus de futur, juste maintenant.

Oui, j'étais concentré !

— Parce que là, il faut qu'on assure ! reprit-il. On ne se lâche pas, on protège nos arrières et notre de ligne de fuite. Si on doit battre en retraite, on bat en retraite ! Rappelez-vous, Leny a fait ça tout seul. Nous, on est trois ! On va y arriver !

Ce petit discours avait eu lieu à mi-parcours, au milieu de la réserve. Et bien qu'il ne nous apprenne pas grand-chose de nouveau, il n'avait rien de ridicule. Bien au contraire, il était nécessaire.

Max et moi avons hoché la tête, déterminés.

Comme convenu plus tôt, le talkie était éteint. Il ne serait rallumé qu'en cas d'urgence. Les quelques mètres qui nous séparaient de la porte de la cuisine furent parcourus en silence. Une fois arrivés à ce premier objectif, nous avons stoppé. Le point de départ de l'action la plus incroyable à laquelle j'allais avoir l'occasion de participer se trouvait devant moi. J'avais essayé de penser à tout. À ce qui devait être fait, à ce qui devait être pensé. Je n'avais pas réussi.

ACCROCHE-TOI À MOIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant