Chapitre IV-20

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Nous étions tous concentrés et silencieux. Sylvain entrebâilla doucement la porte. Derrière lui, je me tenais prêt à réagir au moindre mouvement. Tous mes sens étaient en alerte. Mais jusqu'ici, rien ne semblait bouger. Il avança sa main gauche vers la fente qu'il venait de créer et actionna plusieurs fois l'interrupteur de la lampe empruntée à Lola. Pas bête. Ces signaux lumineux allaient-ils provoquer une réaction ? Toujours rien ! Il retendit la lampe en arrière pour qu'on l'en débarrasse. Un petit signe de sa part fit comprendre à nos deux gardiens qu'ils devaient ouvrir un peu plus. Et finalement, les deux mains sur son bâton d'acier, il s'engouffra discrètement de l'autre côté. Je lui laissai quelques secondes au cas où il devrait rebrousser chemin. Mais, l'ayant perdu de vue et n'entendant rien, je décidai de foncer à mon tour dans cet univers inconnu.

J'avais glissé aussi vite que possible dans cette nouvelle pièce. Sans doute préférais-je surprendre que d'être surpris. La première chose qui m'importa fut de retrouver le contact visuel avec Sylvain. Il était là, sur ma gauche, avançant doucement. Ne constatant rien d'anormal dans son comportement, je déduisis qu'il n'avait détecté aucun danger immédiat. Mais tout de suite je respirai, et captai des effluves abominables. La puissante odeur organique, témoignage évident d'une putréfaction avancée, rendait le repérage de ces lieux plus difficile que je ne l'aurais souhaité. Je tâchai de me focaliser sur ma vue et mon ouïe afin d'anticiper une éventuelle agression, mais la puanteur vicieuse qui s'infiltrait dans ma gorge me déstabilisait fortement. Un premier réflexe vomitif tenta de me faire rendre un repas digéré depuis trop longtemps. Je devais me ressaisir.

Ici, il faisait bel et bien nuit. Aucune ampoule de secours n'éclairait cet endroit. Seuls nos deux faisceaux de lumière artificielle balayaient la pièce, suivant le déplacement de nos regards respectifs. Je compris en quelques mouvements de tête que nous nous trouvions dans une  réserve de nourriture. Peut-être que cela expliquait le parfum nauséabond qui m'enveloppait tout entier en cet instant. Là encore, de nombreuses étagères, bien qu'elles fussent différentes de celles dont nous venions de nous servir. Elles étaient notamment d'une taille largement supérieure, et plus massives que les précédentes. Leurs plateaux en bois supportaient une multitude de boîtes de conserve. Bien que classées par taille et étiquette, un simple panorama me permettait de juger de la multitude de denrées alimentaires entreposées ici. L'agencement de ces meubles de rangement, additionné à l'obscurité environnante, rendait l'orientation difficile. Je manquais de repères visuels et ne me trouvais pas encore capable d'estimer correctement les dimensions de ce que j'étais enclin à nommer « cellier ». Instinctivement, nous suivions l'étagère sur notre gauche. Elle commençait au niveau du mur près de la porte et formait un couloir naturel de circulation dans cette organisation architecturale optimisée.

Accroché à mon arme improvisée comme à ma vie, je suivais toujours Sylvain en projetant nerveusement ma lumière par saccades. Je tentais vainement de dissiper la noirceur mystérieuse qui s'acharnait à engloutir les alentours que je ne braquais pas directement. Mon ami, quant à lui, éclairait droit devant. Il avançait lentement de côté et tenait sa barre comme un batteur de base-ball s'apprêtant à réaliser le « homerun » de sa vie. Jusqu'ici, notre allure ne nous avait permis que de parcourir quelques mètres. Mais chaque pas rendait l'air plus lourd, chargé indéniablement de particules pestilentielles. Une nouvelle contraction abdominale m'infligea une violente douleur à l'estomac. Une brûlure acide parcourut alors mon œsophage jusqu'à ma gorge, laissant dans ma bouche un goût de bile ô combien désagréable. Ces relents putrides, plus que de m'incommoder, commençaient sérieusement à m'inquiéter. Car je savais qu'en ces lieux la mort nous désirait, et qu'afin de mieux nous imposer sa main, elle s'était puissamment incarnée dans la matière et le mouvement. Or, mon nez doutait moins sa présence que mon esprit ne s'autorisait à le faire. Restait à savoir où et quand nous aurions l'occasion de la rencontrer à nouveau.

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