Chapitre IX-41

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Ma tête tournait. J'avais mal au ventre et me sentais nauséeux. Le goût ferreux du sang était toujours présent dans ma gorge, sans doute capté par la rétro-olfaction puisque je ne pensais pas en avoir sur la langue. Décidément, j'avais poussé fort pendant cette fuite. Ou bien, ce n'était pas la fuite ? Mes poils se sont hérissés. Je me sentais de plus en plus mal.

— Les gars, écoutez-moi, dis-je d'une voix faible. Je me sens pas bien du tout. Tout à l'heure... un rat m'a sauté sur la jambe. Je... Je crois pas qu'il m'ait mordu, mais... j'ai senti ces griffes. Je veux dire... J'en sais rien... Juste, tenez-vous prêts, au cas où. Et éloignez les filles... Je veux juste pas prendre de risque.

La tête entre les genoux, les yeux fermés, un bourdonnement résonnait de plus en plus fort dans mes oreilles. Je me demandais si j'allais perdre conscience. Peut-être pour la dernière fois. Cela ne m'empêcha pas d'entendre la voie de ma douce se tordre douloureusement au fur et à mesure des mots qu'elle prononçait.

— Quoi ? Non, c'est pas possible ! Ça va aller, t'es juste épuisé... Tu... Tu peux pas me laisser !

Sentir les larmes noyer sa voix me déchirait le cœur. C'était insupportable. Si j'arrivais à la fin, je voulais la regarder encore une fois. Cette fille incroyable, que j'aimais et qui m'aimait en retour. Quelle chance que d'avoir eu droit à son amour... Même dans ces circonstances. Alors j'ai levé la tête.

— Arrête Max ! ordonna-t-elle. Qu'est-ce que tu fais ? Rends-moi ce fusil !

— C'est juste une précaution Léa, t'as vu comme il est blanc ? Je fais juste ce qu'il a dit. David a raison, il ne faut pas prendre de risque !

Alors qu'elle le menaçait et l'injuriait désespérément, je tentais de lutter contre l'angoisse mortelle qui m'assaillait en me montrant pragmatique.

— Je te remercie Max... C'est la bonne attitude. Cependant, je ne crois pas que tirer avec ce fusil dans un espace aussi restreint que celui-ci soit une bonne idée. Si tu fais ça, vos tympans risquent d'exploser avec la pression et vos chances de survie vont clairement en pâtir. Si je me transforme, il faudra faire ça autrement.

Prononcer ces mots fut difficile. Les vertiges provoquaient des chutes intérieures, froides et profondes, sans cesse renouvelées. J'arrivais malgré tout à éprouver une certaine fierté. Celle de savoir, enfin, si je faisais partie de ceux capables de souffrir et de se sacrifier pour les autres. Oui, j'en faisais partie. Car si j'avais choisi égoïstement, j'aurais pris la balle plutôt que le coup de barre, et même pire, n'aurais peut-être rien dit. Mais Tom ne semblait pas non plus prêt à accepter ma fuite.

— Tais-toi un peu. On va commencer par regarder ta jambe. La droite ou la gauche ?

— Le mollet droit.

Il m'aida à remonter la manche de mon pantalon jusqu'au genou avant de m'examiner soigneusement.

— Bon, tu n'as pas été mordu. Il n'y a que quelques minuscules points rouges sur ta peau.

— Que ce soit un virus ou une bactérie, ça pourrait tout à fait se trouver sur les griffes de ces bestioles. Si c'est rouge, c'est que ça a pu rentrer dans mon système sanguin.

— C'est pas impossible, mais pas nécessaire non plus, chuchota-t-il. En tout cas, je te laisserai pas tomber, peu importe ce que ça veut dire.

Je lui montrai ma reconnaissance grâce à un léger signe de tête, avant de tourner mon regard vers Léa.

— Je t'aime ma belle.

Elle bouscula Max et vînt s'agenouiller devant moi. Sans que je n'aie pu rien faire, elle venait de coller ses lèvres sur les miennes. Ce n'est qu'en sentant une particule de sa salive sur les muqueuses de ma bouche que j'eus enfin la présence d'esprit de mettre fin à ce baiser que je désirais tant.

— Non... Si je suis contaminé...

— Je préfère mourir par un baiser que par une morsure ! Et de toute façon, je refuse de sortir d'ici sans toi.

Je ne savais pas quoi répondre tellement j'étais bouleversé par ce qu'elle venait de dire et de faire. En y réfléchissant, j'aurais sans doute agi de la même façon à sa place. Mais ce qui me semblait évident de mon point de vue n'avait pas à l'être du sien. Je n'attendais pas d'elle qu'elle se sacrifie pour moi comme j'étais prêt à le faire pour elle. Au contraire, je voulais qu'elle vive. Comprenant malgré tout qu'elle n'aurait su m'empêcher de l'embrasser dans des circonstances similaires, j'acceptais avec reconnaissance cette preuve d'amour inconditionnelle. Mes doigts ont serré les siens et je l'ai prise contre moi. Une espèce d'euphorie me gagna. Plus tout à fait en possession de mes moyens, une idée m'inspira un sourire. L'absence de filtre due à mon état autorisa mon inconscient à contourner la censure auquel je le soumettais souvent.

— Hé, Tom, c'est dommage qu'on ait plus la machette, t'aurais pu me couper la...

Le voile noir m'a coupé la parole.

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