2. Que la fête commence

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A dix-neuf heures le vendredi suivant, Sophie se présenta chez son amie. A quarante-quatre ans, ce petit bout de femme énergique aux cheveux courts et rouges tenait un salon de coiffure dans la rue où Clémentine et Victor avaient installé leur première salle. Par praticité, c'est tout naturellement que Clémentine s'y était rendue au hasard alors qu'elle venait tout juste de déménager à Montpellier et ne connaissait aucune adresse. Sophie avait suivi avec attention le déroulement des travaux plus bas dans la rue en essayant de deviner ce qui allait ouvrir, aussi elle n'avait pas masqué sa curiosité lorsqu'elle comprit qu'elles allaient être voisines et elle avait pressé sa cliente de questions. Clémentine, qui naturellement avait les cheveux bouclés mais préférait les porter lisses, avait été enchantée des soins prodigués par Sophie ; tous les coiffeurs ne savaient pas correctement accommoder les boucles. Elle trouva sa coupe et sa couleur parfaites, si bien qu'elle continua de s'y rendre aussi souvent que nécessaire.
Elle invita Sophie et les autres commerçants du quartier le jour de l'inauguration de la salle, et de fil en aiguille elles se lièrent d'amitié. Sophie n'était pas sportive du tout, un léger surpoids pouvait en témoigner, mais avec Clémentine elle essayait de faire des efforts et s'était inscrite à la salle. Elle s'y rendait assidûment chaque année au mois de janvier après avoir pris la résolution de s'y mettre sérieusement, et au printemps, quand elle décomptait avec dépit le nombre de kilos superflus accumulés pendant l'hiver. Mais peu importe sa motivation, ça ne durait jamais très longtemps et finalement elle se satisfaisait parfaitement de son embonpoint qu'elle portait bien, même si elle était admirative du corps de sportive de son amie, qui affichait une silhouette parfaite qu'elle-même n'avait jamais eu, même à vingt ans.
— La flemme de repasser à la maison, je suis venue directement du salon. Ça te dérange si je suis plus tôt ? demanda Sophie lorsque Clémentine lui ouvrit.
— Non ! rigola Clémentine.
Elle se voyait mal mettre son amie à la porte, même si elle venait tout juste d'arriver elle aussi et n'était pas du tout prête. Elle avait convié quelques amis – à vingt heures – pour souffler ses bougies mais n'avait encore rien préparé. Au moins Sophie pourrait l'aider. D'ailleurs celle-ci faisait déjà comme chez elle. Dans le salon, elle connecta son téléphone à l'enceinte sans fil de Clémentine et lança une playlist festive parfaite pour les mettre dans l'ambiance. Elle augmenta le volume et se dirigea vers la cuisine en se dandinant. Toujours de bonne humeur, Sophie voyait la vie en musique. Il n'était pas rare qu'elle pousse la chansonnette en coupant les cheveux de ses clientes, quand elle ne dansait pas en balayant les mèches coupées, se servant du manche du balai comme d'un micro. Elle sortit une bouteille de rosé du sac qu'elle avait apporté avec elle et la rangea dans la porte du frigo, d'où elle sortit deux bières blondes. Puis, elle ouvrit le tiroir à couverts où elle dénicha un décapsuleur, referma le tiroir d'un coup de hanche, et, sans demander son avis à Clémentine, lui tendit une bouteille.
— A la tienne !
Les deux femmes trinquèrent et s'installèrent autour de l'îlot central de la cuisine. Clémentine aimait cuisiner, et la pièce, en partie ouverte sur le séjour, avait été refaite à neuf juste avant qu'elle achète l'appartement, ce qui l'avait séduite. Elle était dotée de dimensions généreuses et contenait tout l'équipement dont on pouvait rêver.
Elle avait commandé un gâteau à la pâtisserie – une forêt noire, son préféré –, mais sinon elle proposerait un apéro dînatoire à ses amis, à la bonne franquette. Elle attrapa un sachet de toasts et divers bocaux : rillettes de thon et de saumon, caviar d'aubergines, tomates séchées, et chargea Sophie de confectionner des tartines. Pendant ce temps, elle déballa différentes variétés de fromages pour constituer un plateau appétissant, ne résistant pas à l'envie de grignoter quelques morceaux.
— Alors, il y aura qui ? s'enquit Sophie.
— Vous, précisa Clémentine inutilement (Daniel, le mari de Sophie, arriverait à l'heure prévue avec leurs deux adolescents), Éric (un des premiers coachs que Clémentine avait embauché) et sa nouvelle copine, Nicolas, je ne sais plus si tu l'as déjà rencontré ? Tu sais, mon ostéo ?
Sophie hocha la tête. Elle n'avait pas encore eu l'occasion de rencontrer le praticien mais Clémentine lui en avait souvent parlé. Il faut dire qu'elle était une cliente assidue, à cause d'un mal de dos chronique qui l'obligeait à régulièrement se faire manipuler. Comme elle était satisfaite sur le plan personnel des massages qu'il prodiguait, elle lui avait proposé de consulter à sa salle de temps en temps auprès de ses clients, et c'est ainsi qu'ils étaient devenus amis.
— Marina aussi, poursuivait Clémentine, qui nous rejoindra après la fermeture, et Maël.
— Oh ! Il est rentré ? Je ne pensais pas qu'il était dans le coin !
Maël, un ami de Daniel initialement mais devenu proche de Sophie aussi puis de Clémentine, habitait comme elles à Montpellier mais était commercial itinérant pour la grande distribution, si bien qu'il était souvent en déplacement. Célibataire, il avait quarante-cinq ans, était sportif, dynamique, très beau, avait une moto avec laquelle il sillonnait les routes de la région le week-end, et affichait parfois un air mélancolique qui le rendait mystérieux. En somme c'était Clémentine au masculin. Quand Sophie s'en était aperçue, elle avait tout fait pour les rapprocher, persuadée qu'elle assisterait à un coup de foudre digne des comédies les plus romantiques d'Hollywood. Son plan avait à demi fonctionné, puisque Maël était rapidement tombé sous le charme de la jolie brune. Malheureusement, le pauvre enchaînait les déconvenues et n'était toujours pas parvenu à la séduire, malgré une persévérance à tout épreuve.
Sophie observa son amie du coin de l'œil, pendant qu'elle découpait des bâtonnets de carottes et de concombres. Elle était belle au naturel, mais Sophie désespérait parfois de la voir si peu se mettre en valeur. Sa chevelure au moins était impeccable – bien qu'actuellement retenue à la va-vite par un simple élastique – et son teint toujours lumineux grâce à une hygiène de vie irréprochable – déprimante, pensa Sophie –, mais elle aimerait voir plus souvent son amie découvrir ses jambes fuselées interminables, c'était presque un crime de toujours les dissimuler dans des jeans ou des vêtements de sport. Une touche de rouge sur ses lèvres charnues ou un trait d'eye-liner autour de ses yeux noisette seraient bienvenus également, elle ferait des ravages dans les cœurs des hommes, celui de Maël en premier.
— Allez, les autres ne vont pas tarder, va t'habiller, je vais finir ! proposa-t-elle. Et n'oublie pas que c'est ton anniversaire, je veux du sexy !

A vingt heures précises, Maël fut le premier à sonner. Sophie était persuadée qu'il avait compté les heures avant cette soirée, qui représentait pour lui une occasion en or de côtoyer Clémentine.
Elle regarda leur hôtesse accepter l'énorme bouquet de fleurs avec lequel il s'était présenté.
— Joyeux anniversaire ! fit-il.
Il osa une main sur la hanche de Clémentine pour lui faire la bise, elle répondit par un sourire éclatant. Sophie les trouva parfaitement assortis. Décidément, elle devait impérativement trouver un moyen d'ouvrir les yeux de son amie, c'était impardonnable de laisser un homme aussi charmant sur le bord du chemin !
Quand Clémentine se retourna pour aller chercher un vase dans la cuisine, Maël la reluqua sans gêne. Il faut dire que Clémentine avait suivi les consignes de Sophie et revêtu une robe moulante d'une seule pièce qui lui arrivait juste au-dessus des genoux. Le dos uni pouvait laisser croire à une robe stricte mais le décolleté à l'avant était outrageusement plongeant, surtout porté sur une poitrine aussi généreuse que celle de Clémentine.
Elle n'avait pas voulu que Sophie la coiffe, donc elle avait laissé ses cheveux retomber librement sur ses épaules et agrémenté ses oreilles de larges anneaux en argent. Elle refusait également de porter des talons dans son appartement et évoluait donc les pieds nus, ses ongles recouverts d'un rouge profond, comme ses lèvres. Pour ses yeux en revanche, elle s'était contentée d'un peu de mascara. Sophistiquée et incroyablement simple à la fois, elle ne se rendait pas compte du spectacle affriolant qu'elle offrait, une véritable diablesse.
— Fais gaffe, tu baves, souffla Sophie à Maël.
Il passa une main dans son abondante chevelure blonde en soupirant, et détacha son regard de Clémentine pour se ressaisir.
— Tu me remercieras plus tard, ajouta-t-elle en buvant une gorgée de sa bière.
— Pourquoi devrais-je te remercier ? s'étonna Maël.
— Pour la robe. Mon pauvre vieux si je n'avais pas été là elle se serait contentée d'un jean et n'aurait pas pris la peine de se maquiller. Cela dit, je ne m'attendais pas à ça non plus ! Ce décolleté, mazette ! Prends garde à ne pas tomber dedans !
— Oh, ça va ! Je sais me tenir quand même ! s'offusqua Maël.
— Ouais... c'est peut-être ça le problème, marmonna Sophie pour elle-même.
La patience de Maël était certes romantique, et sa timidité touchante, mais à ce rythme-là il n'y arriverait jamais, car ce n'est pas Clémentine qui ferait un pas vers lui. Quel gâchis ! déplora Sophie.
Nicolas arriva sur ces entrefaites, et Sophie s'amusa de la différence de réaction entre les deux hommes à la découverte de la mise de Clémentine.
— Wouah ! Clem ! Caliente ! Vieillir te va bien on dirait, t'es canon dans cette robe !
— Euh... c'est un compliment ? demanda Clémentine, amusée.
Après avoir embrassé le père elle s'accroupit pour déposer un bisou sonore sur la joue d'Ethan, le fils de sept ans de Nicolas dont il avait la garde cette semaine-là. Maël ne perdit pas une miette de la vue qu'elle proposa alors inconsciemment, et rougit aussitôt, coupable.

Effet boomerang  (Demain nous appartient - Clemax - ROMAN)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant