8. Manigance

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Le vendredi matin, Clémentine arriva en avance à la salle, déterminée à reprendre le cours de sa vie comme si les deux derniers jours n'avaient pas existé.
— Salut !
Cette fille est toujours de bonne humeur, pensa Clémentine en saluant Marina à son tour.
— Tout s'est bien passé, hier ? demanda-t-elle.
— Comme sur des roulettes ! C'était plutôt calme dans l'ensemble. Éric a assuré.
— Je n'en doutais pas, je sais que je peux compter sur vous !
— Il y a juste un mec qui est passé, c'était trop bizarre !
— Que veux-tu dire, « bizarre » ?
— Je n'ai pas réussi à savoir ce qu'il voulait ! Au début j'ai pensé qu'une séance d'essai l'intéresserait, mais il était nerveux à mort, alors je me suis dit qu'il devait plutôt venir pour le poste à pourvoir et stressait de présenter sa candidature. Mais quand je lui ai demandé il a flippé et pris ses jambes à son cou ! (Comme la veille, elle montra l'annonce derrière elle, et comme Maxime la veille, Clémentine vit en premier la photo où on ne pouvait pas ne pas la remarquer.) C'est tellement dommage, si tu l'avais vu, il était trop craquant !
— Craquant comment ? demanda Clémentine, soudainement captivée.
— Le genre hyper mignon ! Vingt-cinq ans je dirais, les cheveux châtains en bataille, une petite barbe de trois jours et puis un corps à tomber, musclé juste comme il faut !
Le portrait dressé par Marina pouvait correspondre à n'importe qui mais le cœur de Clémentine s'accéléra.
— Et tu n'as pas pris ses coordonnées pour que je puisse le rappeler ?
— Euh... non, je n'y ai pas pensé. Et puis, il est parti trop vite de toute façon. Mais s'il angoisse comme ça je ne suis pas sûre qu'il ait le profil idéal pour coacher nos clients, si ?
— Non, tu as sûrement raison.
Clémentine s'enferma dans son bureau, songeuse. Le jeune homme qu'avait décrit Marina, ça ne pouvait-être que Maxime, non ? Mais alors, ça voulait dire que lui aussi cherchait à la revoir ? Ou alors au contraire, il est entré par hasard et s'est enfui en me voyant, raisonna-t-elle. Elle ne savait plus que penser, mais faire comme si de rien était s'avérerait bien plus compliqué que prévu. Rien qu'imaginer qu'il ait foulé le sol de sa salle... Clémentine eut l'impression qu'il avait une nouvelle fois partagé un peu de son intimité. L'idée qu'il soit peut-être venu ici était à la fois excitante, et prodigieusement agaçante, alors que pendant ce temps elle était chez elle à se morfondre en réfléchissant à un moyen de le joindre.
Son travail fut sa planche de salut. Pendant quelques heures, la passion reprit le dessus et occupa pleinement son esprit. A midi trente, elle était absorbée par la lecture d'un document que Victor venait de lui adresser quand elle reçut un texto de Sophie lui demandant si elles partageraient leur déjeuner. Clémentine hésita, elle n'avait pas vraiment envie d'échanger avec qui que ce soit, mais en même temps, elle avait une faim de loup. OK, viens, mais je te préviens, je n'ai pas beaucoup de temps ! proposa-t-elle sans entrain.
Sophie rigola, elle savait que Clémentine lui ferait cette réponse. Elle n'avait jamais le temps de déjeuner ! Soit elle avait des rendez-vous avec des clients qui profitaient de l'heure de midi pour s'exercer, soit elle avait des coups de fil à passer. Bref, Sophie devait souvent lui rappeler qu'il fallait qu'elle mange, alors elle s'invitait à la salle avec des salades ou des sandwiches achetés dans sa boulangerie favorite, qu'elles dévoraient sur le pouce en échangeant des potins, parfois en compagnie d'Éric ou de Marina. Enfin, en règle générale Sophie déballait la vie de ses clientes et des habitants du quartier – qu'elle semblait tous connaître personnellement – tandis que Clémentine se contentait d'acquiescer, ponctuant de temps en temps la conversation de quelques hochements de tête. La faculté de la coiffeuse à alimenter un flot de parole continu tout en avalant son repas ne cessait d'impressionner Clémentine.
Ce jour-là Sophie se rendit rapidement compte qu'elle faisait la conversation toute seule, encore plus que d'habitude. Clémentine l'écoutait d'une oreille distraite et lui parut carrément de mauvaise humeur.
— Clem, tout va bien ? s'inquiéta-t-elle, un brin vexée tout de même. Déjà mercredi je t'ai trouvée préoccupée. C'est à cause de la semaine dernière ? Tu m'en veux pour ce que je t'ai dit à propos de Maël ?
— Mais non, voyons. Désolée de te de décevoir, mais je ne pense pas H-24 à Maël, s'agaça Clémentine. J'ai bien compris ce que tu m'as dit, et je sais qu'un jour ou l'autre il faudra que j'aie une conversation franche avec lui, mais ça nous regarde, OK ? Maintenant si tu veux bien, il va falloir que j'y retourne.
Sophie la regarda avec stupeur, visiblement elle était congédiée. Peu désireuse de jeter de l'huile sur le feu elle ne dit rien, mais nota mentalement de tirer les vers du nez de son amie quand celle-ci serait dans de meilleures dispositions, car clairement quelque chose ne tournait pas rond chez elle. Elle prit son temps pour terminer sa tartelette aux framboises et rassembler ses affaires avant de quitter la salle de pause ; Clémentine était déjà partie.
En sortant, elle croisa Éric et l'interpella avec un air de conspiratrice :
— Dis-moi, tu ne trouves pas que Clem est bizarre ces derniers jours ?
— Bizarre ? Je ne sais pas. On a passé une chouette soirée pour son anniversaire vendredi, non ? Maintenant, c'est vrai que je ne l'ai pas beaucoup vue cette semaine, avec nos plannings on s'est surtout croisés. Hier elle n'est pas venue... Ce n'était pas prévu, mais de là à trouver ça bizarre !
— Pourquoi a-t-elle pris sa journée ?
Éric rigola et haussa les épaules.
— Qu'est-ce que j'en sais, moi ! Depuis que je travaille ici je peux compter sur les doigts d'une main les jours où elle n'a pas travaillé, si tu veux mon avis elle devrait prendre plus souvent des jours de repos !
Sophie rejoignit son salon de coiffure mais y pensa tout l'après-midi. Ça ne ressemblait pas à Clémentine de s'absenter sans raison, c'était bien la preuve qu'elle manigançait quelque chose !

Effet boomerang  (Demain nous appartient - Clemax - ROMAN)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant