36. Table rase

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Quand la porte d'entrée chez les Delcourt s'ouvrit, Maxime tenait solidement la main de Clémentine, dont la respiration courte et rapide trahissait la nervosité, malgré ce qu'elle prétendait et le sourire qu'elle affichait. Il la pressa pour lui renouveler son soutien, et ne la lâcha que quand une tornade de boucles blondes sauta dans ses bras.
— Papa !
— Bonjour ma princesse ! Tu as bien dormi ? Tu es sage avec Mamé ?
— Comme une image ! répondit Chloé en embrassant son fils.
Elle s'écarta pour le laisser entrer, et se retrouva face à Clémentine.
— Bonjour.
— Salut Chloé, merci de me recevoir.
Les anciennes collègues échangèrent une bise polie. Les deux femmes cherchaient quoi dire en pareilles circonstances. C'est Clémence qui brisa le silence gênant qui s'installait.
— Clémentiiiine ! s'écria-t-elle, pleine de joie. Viens voir, j'ai fait un dessin pour toi !
Sans se poser de questions, elle attrapa la main libre de Clémentine et l'entraîna vers la véranda qui jouxtait la cuisine sur laquelle s'ouvrait l'entrée de la chaleureuse maison de Chloé et Alex.
Chloé remarqua avec surprise la béquille dans l'autre main de Clémentine, mais s'abstint de tout commentaire. Maxime ne leur avait pas dit qu'elle était souffrante. Elle observa la façon dont son fils, l'air de rien, soutenait sa compagne. Il était attentif, prévenant, et tira une chaise pour qu'elle puisse rapidement s'asseoir.
— Clémence, ma chérie, dit-elle en les suivant, on va ramasser, maintenant, pour pouvoir mettre le couvert.
La petite fille avait sorti tous ses crayons de couleurs de leur trousse, et ils s'entassaient pêle-mêle sur la table comme un jeu de mikado coloré. Chloé lui avait donné un énorme paquet de feuilles blanches sur lesquelles laisser libre court à son imagination, et visiblement Clémence n'en manquait pas, de multiples dessins et coloriages, plus ou moins aboutis, étaient éparpillés partout, certaines feuilles ayant volé jusqu'au sol.
Clémentine regardait avec une affection non feinte l'œuvre que la fillette lui avait attribué. Un trait de ciel bleu barbouillait le haut de la feuille, tandis qu'en son centre, avec de fins rayons disproportionnés, brillait un soleil si jaune qu'il était visible que le feutre avait failli traverser le papier. En-dessous, un simple bonhomme, avec de longs bras et de longues jambes comme des bâtons, tendues sous un corps rond et rouge, flottait sans toucher le sol. Une masse noire – et verte ? – que Clémentine ne se risqua pas à interpréter ni comme un chapeau ni comme une chevelure, couvrait une grosse tête souriante, ronde elle aussi. Elle ne demanda pas non plus si le personnage était censé la représenter.
— Il est magnifique ! Tu as mis plein de couleurs, j'aime beaucoup ! dit-elle avec ravissement, et obtint en retour un sourire empli de fierté.
En revanche Clémence resta sourde à l'injonction de sa grand-mère qu'elle fit mine de ne pas avoir entendue et entama une nouvelle composition pour son père.
— Bon, fit Chloé de guerre lasse en tendant une poignée de feutres à Maxime, vous vous occupez de mettre la table tous les deux, nous on va discuter dans la cuisine.
Elle proposa à Clémentine de la suivre, et, puisque c'était une sommation plutôt qu'une invitation, celle-ci s'exécuta sans broncher, gardant son cadeau à la main. Maxime les regarda s'éloigner d'un œil curieux, mais fut bien vite accaparé par sa bouillonnante progéniture.
Chloé montra le dessin que tenait Clémentine :
— Elle m'a parlé de toi, tu sais.
— C'est vrai ? s'enorgueillit Clémentine. Pourtant nous n'avons pas encore eu beaucoup d'occasions d'apprendre à nous connaître.
Elle s'assit à la table de la cuisine, Chloé avait commencé à préparer des crudités pour l'entrée de leur déjeuner. Spontanément, elle s'arma d'un économe et entreprit d'éplucher un concombre. Chloé s'en amusa.
— Toi non plus, tu ne manges pas la peau du concombre ?
Clémentine réalisa ce qu'elle faisait machinalement, s'en s'être assurée que c'est ce que prévoyait Chloé. Elle se figea.
— Oh, pardon ! Tu voulais la laisser ?
Chloé secoua la tête et lui glissa un clin d'œil.
— Non, c'est très bien ! Je l'enlève toujours quand Max vient manger avec nous.
Clémentine lui offrit un sourire complice. C'est parce qu'elle savait que Maxime préférait le manger comme cela qu'elle avait pris l'habitude de le préparer ainsi, et Chloé devinait que c'est pour cette raison qu'elle s'attelait à cette tâche. Elle découpa ensuite le fruit en rondelles qu'elle déposa dans le plat devant elle déjà garni de tomates.
— Ça me fait bizarre d'être là et de faire ça avec toi, confia Clémentine en posant le couteau. J'espère qu'on est toujours amies.
Pour se donner le temps de la réflexion, Chloé joua un moment avec une épluchure, avant de finalement répondre :
— Tout cela est tellement soudain, je m'inquiète pour Max. Je vois bien qu'il t'aime, ça ne fait aucun doute, mais j'ai peur qu'il se précipite, il doit penser à Clémence.
— Tu crois que je ne le sais pas ? rigola Clémentine. C'est une merveille, cette enfant, Maxime donnerait tout pour elle. Je concède bien volontiers que notre décision d'être ensemble peut paraître irréfléchie, mais je t'assure que ça n'est pas le cas. Ce n'est pas comme si on ne se connaissait pas ! Il t'a raconté ce qu'il s'est passé entre nous il y a huit ans, je crois.
— Oh ça oui ! C'est justement ce qui m'alarme ! s'enflamma Chloé. Tu n'as pas idée. Tu n'as pas idée de l'état dans lequel il s'est trouvé quand tu es partie. Evidemment, je ne savais pas pourquoi il allait si mal, et c'était vraiment un calvaire de le voir souffrir autant sans pouvoir rien y faire. Je ne revivrais ce cauchemar pour rien au monde. Il a mis le temps mais il avait enfin tourné la page, avec Ophélie et Clémence !
La peine qui transparaissait dans la voix de Chloé affecta Clémentine. Bien que Maxime lui ait raconté ses errements post-collision, elle se demanda s'il ne lui avait pas caché l'ampleur de sa douleur. Mais était-elle responsable de cette situation ?
— Tu sais, ce n'est pas de gaîté de cœur que je l'ai quitté, expliqua-t-elle calmement. Quel choix avions-nous ? Aurais-tu préféré que je reste avec lui ? Ça n'aurait pas marché, il n'aurait pas su comment assumer, moi non plus sans doute, et on se serait fait du mal plus encore que quand on s'est séparés. Il n'aurait jamais eu Clémence. Sans compter que je n'étais pas certaine à ce moment-là de remarcher correctement un jour. Je ne sais pas comment t'expliquer. J'ai conscience que notre séparation a été un enfer à vivre pour Maxime, je le sais parce que pendant des années j'ai pensé à lui chaque jour, et que ça me rendait malade de ne pas savoir comment il allait. Mais j'ai toujours cru que j'avais fait le bon choix, et qu'il se portait probablement mieux sans moi. J'ai compris que c'était une erreur quand on s'est revus. C'était le hasard, je n'ai pas cherché à le retrouver, mais je ne peux pas ignorer ce que je ressens depuis. Je l'aime, Chloé, et ne me demande pas pourquoi parce que je ne sais pas ce qui rend notre amour si fort. Je croyais qu'Olivier était l'homme de ma vie, j'étais heureuse avec lui, mais tout a changé quand ton fils est entré dans ma vie. Alors ne t'inquiètes pas, son bonheur, c'est toujours ce que j'ai voulu. Simplement, je me suis méprise en pensant qu'il le trouverait sans moi. Aujourd'hui, si je veux être à ses côtés et le rendre heureux, c'est parce qu'il le mérite. Et c'est important qu'avec Alex vous l'entendiez, car vous comptez énormément pour lui. Il était malheureux à Montpellier, éloigné de ses racines. Ophélie ne lui suffisait pas, et ça, je n'y suis pour rien.
Clémentine avait délivré sa tirade lentement, avec beaucoup de sérénité et une douceur qui rassura Chloé. Elle se livra à son tour :
— Tu sais, j'ai déjà une fille à l'autre bout du monde, je ne veux pas perdre aussi mon fils. Tu as beau dire, si nous lui demandions de choisir entre nous et toi il n'hésiterait pas longtemps ! Mais il est adulte, nous n'avons pas notre mot à dire finalement, même si je sais que notre avis est important pour lui, c'est vrai. Et je sais aussi qu'Ophélie n'était pas la femme qu'il lui fallait, on l'a compris il y a quelques temps déjà avec Alex, mais ils se sont réellement aimés et elle est super avec Clémence, à sa façon, alors on nourrissait malgré tout l'espoir que ça s'arrange entre eux. Si ce n'est pas le cas, soit, j'espère juste qu'ils se séparent en bonne intelligence tout de même, pour le bien de Clémence. Donc oui, j'ai envie que nous soyons amies, pour Max et parce qu'on s'entendait bien, non ?
L'émotion gagna Clémentine, et c'est les larmes aux yeux qu'elle sourit à son amie retrouvée. Elle s'aperçut en la regardant que Chloé lui avait manqué.
— C'est vrai ! En tout cas je te promets de tout faire pour que ça se passe bien. Je sais que Max restera toujours lié à Ophélie, et Clémence est encore si petite, elle doit être notre priorité à tous.
Chloé approuva vivement, parfaitement en accord avec cette affirmation.
— Et de ton côté, il est au courant pour Max et toi, Olivier ? s'enquit-elle ensuite, à la surprise de Clémentine qui était à mille lieues de penser à son ex-mari.
— Non... A moins que sa fille lui ai dit mais ça m'étonnerait, répondit-elle. Elle ne me parle jamais de lui et réciproquement, et c'est très bien comme ça. Nous ne nous sommes pas vraiment quittés en bons termes, c'est le moins qu'on puisse dire.
— Humm, il faut que tu saches, c'est un ami. On déjeune souvent ensemble au lycée et ça arrive qu'on les invite à dîner ici, lui et sa compagne. Tu sais qu'il a refait sa vie, tout de même ?!
— Oui, bien sûr ! rigola Clémentine. Ce n'est pas un problème ne t'en fais pas, il finira bien par savoir un jour ou l'autre, et puis, aujourd'hui personne ne peut nous reprocher quoique ce soit. On a le droit d'être ensemble ! Le seul avis qui compte pour moi, c'est celui de Garance et elle a accueilli la nouvelle plutôt bien, étant donné les circonstances. Il s'avère qu'elle était au courant de notre relation à l'époque, mais n'a jamais rien dit ! A sa décharge elle ne pensait certainement pas qu'on se remettrait ensemble un jour !
— Tu m'étonnes. Quand même quand j'y repense, tu es sacrément gonflée ! C'était ton élève, mineur, et tu étais mariée ! Heureusement que je n'en ai rien su à l'époque, moi je n'aurais pas tenu ma langue, tu peux me croire ! Mon fils !
— Oh, ça va, c'était déjà un homme, plus un bébé ! Tu voudrais que je te dise que je regrette ? D'avoir fait souffrir ma famille, ça oui, j'aurais préféré éviter, mais ce qu'on a vécu Maxime et moi ces quelques semaines avant l'accident, je le revivrais encore et encore, si je le pouvais !
Chloé grimaça, elle n'était pas encore prête à parler avec légèreté de cette histoire, qu'elle voyait d'un œil bien différent de celui de Clémentine. Il y a tout de même une chose qui piquait sa curiosité :
— A propos de l'accident, je vois que tu te déplaces avec une béquille, c'est lié ? Maxime ne nous a rien dit.
Clémentine soupira et jeta un regard dédaigneux à sa béquille.
— Oui... Enfin, la béquille c'est nouveau, ça fait des années que je n'en n'avais plus besoin. Mais j'ai recommencé à avoir des douleurs au dos il y a plusieurs mois, par crises, et depuis quelques semaines ça s'intensifie.
— Tu as vu un médecin ?
— J'ai rendez-vous avec mon chirurgien le mois prochain. En attendant je prends des anti-douleurs et je me fais masser régulièrement, ça aide.
— Quand tu as été hospitalisée à Sète, c'est ma mère qui t'a prise en charge, je me trompe ? Elle exerce toujours tu sais, je suis étonnée que Maxime ne t'ait pas proposé d'aller la voir.
Comme attiré par son prénom, Maxime choisit ce moment pour faire son apparition dans la pièce, et capta tout juste la dernière phrase de sa mère.
— Ah ! On est d'accord ! Bien sûr que j'ai proposé ! fit-il, avant de se tourner vers Clémentine. La béquille, ce n'est pas possible, ton état empire trop, on ira demain, c'est décidé.
— Max ! Je ne vais pas débarquer à l'hôpital comme ça, sans rendez-vous !
— Oh, allez ! Manou a toujours un peu de temps pour nous quand on en a besoin ! Et puis, je vais la prévenir.
— Je ne sais pas...
— Maxime a raison, insista Chloé. Si tu veux faire partie de cette famille, profite au moins des privilèges qui viennent avec !
A ces mots, le visage de Maxime s'éclaira.
— J'aime entendre ça !
Chloé lui caressa la joue.
— Je veux que tu sois heureux, mon chéri, c'est tout ce qui compte.

Effet boomerang  (Demain nous appartient - Clemax - ROMAN)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant