25. Coups bas

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Le lendemain soir, Clémentine faisait les cent pas dans le hall du cinéma d'art et d'essai proche de chez elle. Rien de tel qu'un bon film entre amis pour se changer les idées. Elle avait ressassé toute la journée les avertissements exprimés par Sophie la veille et les messages échangés avec Maxime depuis qui, elle devait bien l'admettre, n'étaient pas très rassurants.
Maël arriva quelques minutes après elle. Elle le gratifia d'un sourire sincère et ils échangèrent quelques banalités tandis qu'il achetait son ticket à une borne automatique. C'est Sophie qui avait choisi le film : un drame romantique à l'affiche plusieurs mois auparavant très bien noté par les internautes et qui ressortait en salles à la faveur d'un prix obtenu récemment dans un festival de renom.
— On y va ? proposa Maël une fois sa place réglée.
— Bah, on n'attend pas Sophie et Daniel ? (Elle consulta sa montre.) On a encore cinq minutes avant le début de la séance.
— Soph ne t'a pas prévenue ? s'étonna Maël. Ils ont décommandé. On est que tous les deux.
— Oh.
Un moment de gène flotta entre eux. En tout cas c'est ainsi que Clémentine interpréta le silence qui s'installa tandis qu'elle essayait de deviner si Sophie l'avait sciemment tenue à l'écart de ses plans. Tout à coup, la soirée prenait étrangement l'allure d'un rendez-vous galant, alors que si elle avait su que son amie et son époux ne pouvaient finalement pas venir, elle aurait insisté pour qu'ils reportent leur sortie à un autre jour.
Maël, lui, semblait ravi et la devança dans l'allée moquettée de rouge qui desservait les quelques salles du petit cinéma. Une fois à l'intérieur, il la laissa choisir la place qu'elle préférait – plein centre, mais pas tout en haut –, et ils s'installèrent confortablement. La salle était quasiment vide. Clémentine se détendit dans l'ambiance feutrée et décida de profiter de la soirée pour se relaxer, comme elle l'avait initialement prévu.
Juste avant que le film commence, elle sortit son téléphone de son sac dans le but d'activer le mode « silencieux ». Elle sourit en découvrant un message de Maxime. Ils ne s'étaient pas vus de la journée, se contentant d'échanger quelques messages, mais avaient convenu de déjeuner ensemble le lendemain. Désolé, je ne serai pas dispo demain midi, écrivait-il. Je te redis quand on pourra se voir.
Clémentine laissa échapper un hoquet de surprise que Maël ne remarqua pas. « Je te redis quand on pourra se voir » ? La voix de Sophie prédisant qu'elle allait se retrouver à la merci de Maxime résonna dans sa tête. Furieuse et déçue, elle coupa son téléphone sans répondre.

Elle se laissa embarquer par l'histoire d'amour qui se déroulait sous ses yeux. Le film était vraiment beau. Elle espérait que le héros serait heureux à la fin. Il était malmené par l'amour de sa vie qui poursuivait une carrière de sportive de haut niveau qui prenait toute la place. L'amour que la jeune fille portait au garçon mettait en péril ses performances. Le jeune homme avait compris son dilemme et se sacrifiait en s'éclipsant pour qu'elle puisse réaliser ses rêves.
C'était émouvant. A un moment particulièrement poignant, Clémentine sentit la main de Maël se poser sur la sienne sur l'accoudoir entre leurs deux sièges. Elle regarda leurs mains jointes puis releva les yeux et observa le visage de Maël dans l'obscurité. Il garda le regard rivé vers l'écran, mais exerça une légère pression de ses doigts.
Elle ne retira pas sa main.

Ils sortirent du cinéma une trentaine de minutes plus tard, en silence. L'un et l'autre étaient bouleversés par le destin tragique des personnages. Finalement la carrière de la fille n'avait pas été si exceptionnelle qu'espéré, et quand elle avait raccroché quelques années plus tard, elle s'était retrouvée seule. Lui avait fait sa vie avec une autre, même si on comprenait aisément qu'il restait marqué par son amour de jeunesse.
Clémentine enfouit ses mains dans les poches de sa veste, l'empreinte de la paume de Maël sur sa peau lui laissait un souvenir équivoque. Elle était surprise d'avoir aimé ce contact entre eux. Maël avait un je-ne-sais-quoi de rassurant.
— Tu veux monter prendre un verre ? s'entendit-elle proposer.
Ils étaient à deux rues de chez elle, c'est ce qu'elle aurait suggéré de toute façon si Sophie et Daniel avaient été là, se raisonna-t-elle.
Evidemment Maël accepta.
Clémentine leur servit un verre de vin. Ils discutèrent du film. Elle se resservit. Lui n'avait pas fini son premier verre. Il se rapprocha. Le cœur de Clémentine se mit à battre la chamade. Elle but encore une grande gorgée. L'ambiance était beaucoup trop romantique. Le soleil s'était couché et le salon était éclairé par l'éclat orangé qui montait des lampadaires de la rue et par une lampe d'appoint posée au bout du canapé qui diffusait une lumière douce.
Quand il se pencha doucement vers elle, tous ses sens s'éveillèrent. Elle resta immobile, lui donnant tacitement la permission d'aller plus loin. Il déposa un baiser léger sur ses lèvres. Elle ferma les yeux pour mieux y goûter, cherchant le frisson qui la ferait lâcher prise. Maël intensifia son baiser, qui de la bouche de Clémentine glissa dans son cou. Elle se cambra par réflexe, l'attirant contre elle. Il glissa une main sous son tee-shirt et caressa la dentelle qui couvrait un de ses seins tandis que leurs bouches se joignaient à nouveau, pour un baiser plus appuyé cette fois. Maël commit ensuite l'erreur de parler.
— Oh, Clem... chuchota-t-il contre sa peau.
Ses mots se perdirent dans ses cheveux alors qu'il s'appuyait sur elle de tout son corps, la contraignant à s'allonger. Elle glissa ses mains dans son dos et l'accueillit entre ses jambes, mais ouvrit les yeux. Sa voix avait déclenché en elle une alerte qui lui disait que ce n'était pas correct, et qu'elle allait regretter si elle poursuivait. Pantelante, elle le repoussa.
— Arrête.
Maël s'écarta, incrédule.
— Qu'est-ce qui se passe ?
— Je ne peux pas, fit-elle en réajustant son tee-shirt.
Il se rembrunit.
— Dis plutôt que tu ne veux pas.
— Je suis désolée.
— Je ne comprends pas ! Pourquoi tu m'as laissé te tenir la main pendant la moitié du film ? Et pourquoi tu m'as invité à monter ?
— Je ne sais pas, je suis désolée, répéta Clémentine.
— Tu ne joues pas franc jeu, commenta Maël, blessé. Si tu penses qu'il ne pourra rien y avoir entre nous, arrête de me laisser croire le contraire.
— Je sais, je te demande pardon, je ne sais pas trop où j'en suis, et j'ai cru que c'est ce que je voulais ce soir, mais je me suis trompée.
— Ce soir ? siffla Maël. Si tu penses que je te veux pour un soir tu n'as rien compris.
Il se leva et sortit précipitamment de l'appartement, sourd aux plaintes de Clémentine le priant de la laisser s'expliquer.

Effet boomerang  (Demain nous appartient - Clemax - ROMAN)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant