16. Au pas de course

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Maxime arriva sur le lieu du rendez-vous avec près d'une heure d'avance. Il était rentré chez lui après avoir déposé Clémence à l'école, s'était changé, et... avait tourné en rond. L'impatience le consumait. La peur d'arriver en retard, l'angoisse que Clémentine ne vienne pas.
Celle qu'elle vienne.
Finalement, il avait attrapé une bouteille d'eau et était parti, comme pour accélérer le temps.
Elle arriva avec dix minutes de retard. Dix minutes pendant lesquelles le doute avait continué de ronger Maxime, au point qu'un point de côté lui noua le ventre avant même qu'il ait couru.
— Enfin ! lâcha-t-il quand Clémentine descendit de sa voiture.
Le sourire qu'elle affichait depuis qu'elle avait aperçu Maxime en entrant sur le parking s'évanouit.
— Euh... excuse-moi, dit-elle, j'ai fait aussi vite que j'ai pu.
Maxime réalisa sa maladresse et se confondit en explications.
— Non, non, non ! Ce n'est pas un reproche ! Juste... J'avais peur que tu aies changé d'avis...
Elle se tenait maintenant devant lui et il lui attrapa les mains qu'il pressa pour lui signifier sa bonne foi. Soulagée, Clémentine sourit de nouveau et, pour repartir sur de bonnes bases, se pencha afin de lui faire la bise.
— Bonjour !
Le contact de leurs joues fit enfin comprendre à Maxime qu'il ne rêvait pas. Jusque-là, il n'en était pas sûr. Toutefois il réalisa, amusé, qu'ils avaient rarement échangé des bises par le passé. Leur relation prof-élève ne permettait pas ce contact familier et quand la nature de leur liaison s'était transformée, leurs baisers devinrent bien moins chastes.
Au bout de quelques secondes pendant lesquelles chacun dévisagea l'autre, Maxime se racla la gorge puis se fustigea pour la platitude qu'il expulsa :
— Tu n'as pas changé.
— Toi, si, répondit-elle sans en dire davantage. On y va ?
Maxime hocha la tête, le cœur allégé.
La vérité, c'est que Clémentine avait hâte de se mettre en mouvement. Que la course leur serve de chaperon. Sinon, elle pourrait bien rester des heures encore à le dévorer des yeux et elle n'était pas sûre de savoir garder le contrôle. Pour le meilleur et pour le pire, la tension électrique qui avait existé entre eux était toujours là. Si elle l'avait pressenti le mercredi précédent, elle pouvait maintenant palper son intensité véhiculée par la chaleur des mains de Maxime, son odeur, sa voix.
Ils s'élancèrent d'un bon rythme.
Clémentine n'avait pas eu l'intention de dévoiler ses faiblesses devant Maxime mais elle dut le prévenir rapidement, sous peine de s'écrouler avant le premier kilomètre.
— Tu sais, je ne cours plus autant qu'avant. Je continue pour le plaisir, mais à faible allure et pas longtemps, sinon je regrette le lendemain, quand mon dos me fait atrocement souffrir !
Il ralentit immédiatement, s'arrêtant presque.
— Mince ! Je suis désolé. C'est à cause de l'accident ?
Clémentine acquiesça en silence et imprima son propre rythme. Maxime se cala sur ses pas.
— Tu souffres beaucoup ? demanda-t-il.
— La plupart du temps ça va. Enfin, j'ai appris à vivre avec. J'ai un super ostéo ! Et puis, je m'estime chanceuse, j'aurais pu avoir des séquelles bien pires, voire rester à vie en fauteuil. Mais je n'ai pas envie de parler de ça ! Raconte-moi, plutôt. Ça fait longtemps que tu es à Montpellier ? Et ta fille, dont tu ne m'as toujours rien révélé, je n'ai pas rêvé, tu l'as appelée « Clem » l'autre jour ?
Le visage de Maxime s'illumina.
— Oui ! Je sais ce que tu penses mais non, je n'ai pas prénommé ma fille comme toi !
— Ah, tant mieux. Je ne te cache pas que j'aurais trouvé ça bizarre !
— J'avoue. Mais elle, c'est Clémence. Elle a quatre ans. On ne savait pas quel prénom choisir, sa mère a fait une liste de prénoms qu'elle aimait bien et c'est celui-là qui m'a le plus plu. Je n'ai pas réalisé tout de suite que le diminutif « Clem » s'imposerait. Finalement, c'est peut-être mon inconscient qui a choisi !
— C'est joli.
Quatre ans...
Clémentine calcula mentalement. Il avait dû rencontrer la mère de Clémence pas si longtemps après leur rupture... Ou alors ils n'avaient pas traîné pour concevoir un bébé peu de temps après s'être mis ensemble. Un coup de foudre, sûrement. Elle ne put s'empêcher d'éprouver un soupçon de jalousie.
— On vit à Montpellier depuis quelques mois. A cause du boulot d'Ophélie, la mère de Clémence. Elle a eu une opportunité qui ne se refuse pas, alors voilà...
— Ça n'a pas l'air de te faire plaisir !
— J'aimais tellement ma vie à Sète ! Je pensais pouvoir m'y faire ici, mais...
— Mais ?
— C'est compliqué.
— Pourquoi ?
— Euh... Avec Ophélie, on va se séparer. Ça n'est pas encore fait à cause de Clémence, mais entre nous c'est fini.
Clémentine resta interdite.
— Oh. Je suis désolée, dit-elle, ne sachant pas bien quoi faire de cette information.
Il se sentit obligé de se justifier. D'expliquer pourquoi sa vie était liée à celle d'Ophélie même s'il doutait que ça ait encore à ce jour le moindre sens. Il chercha ses mots. Il aurait préféré ne pas aborder le sujet de sa compagne, l'enfermer à double-tour dans un tiroir pour que Clémentine en apprenne le moins possible. Mais comment parler de Clémence sans évoquer Ophélie ?
— En fait... J'ai horreur de dire ça, parce que je l'aime plus que tout au monde, mais Clémence... comment dire... elle n'était pas vraiment prévue, tu vois ? On était ensemble depuis à peine un an quand Ophélie est tombée enceinte. Elle venait de finir ses études, ce n'était pas le moment et on n'était probablement pas prêts, mais on s'est adaptés. Tout ça pour dire que je ne suis pas certain que sans Clémence nous serions restés ensemble si longtemps. On ne faisait pas vraiment de projets sur le long terme. On...
Il se tut avant d'en dire trop, si ce n'était pas déjà fait. Comment après si peu de temps en était-il rendu à déblatérer ce genre de confidences sur sa vie de couple à Clémentine ? Ce n'est pas du tout comme ça qu'il avait imaginé leurs retrouvailles, et il se sermonna intérieurement. Clémentine ne commenta pas, mais intelligemment elle préféra changer de sujet. Maxime apprécia.
Elle lui demanda comment allait ses parents. Ouf, sujet facile. Il lui apprit que Chloé était toujours prof de SVT au lycée Paul Valéry, ce qui la satisfaisait encore. Fidèle à elle-même, elle y ferait probablement carrière jusqu'à la retraite !
— Mon père c'est plus compliqué, raconta-t-il ensuite. Il a du mal à joindre les deux bouts au mas ostréicole. Il bosse beaucoup trop pour pas grand-chose, et j'ai peur que ça devienne de plus en plus difficile. Il devrait vendre, mais ça lui crèverait le cœur.
— Il est tout seul ?
Maxime se rembrunit et déglutit péniblement ; il avait le sentiment d'avoir abandonné son père.
— Maintenant que j'ai quitté Sète, oui. Je l'aidais, avant.
— Oh, tu travaillais avec lui ? Quand je suis partie, tu t'apprêtais à entrer en prépa, tu as fait quoi, après ?
Maxime rit jaune. Donc en fait, ils n'allaient parler que de ses échecs ? Pas étonnant finalement, je les cumule, songea-t-il avec aigreur.
— J'ai foiré. J'ai arrêté au troisième trimestre de la première année. Je savais que je redoublerais alors à quoi bon ? Je n'ai pas eu le courage de recommencer, c'était trop dur.
— Désolée...
Parler en courant devint de plus en plus difficile pour Clémentine. Maxime avait inconsciemment accéléré et elle peinait à reprendre son souffle pour converser avec lui. Elle se contentait de réponses succinctes qui ne reflétaient pas ce qu'elle désirait lui dire. Elle était désolée, oui, qu'il n'ait pas achevé ses études. Pour lui, et parce qu'elle se sentait responsable. Sans elle, n'aurait-il pas été plus concerné ? Elle ne savait rien de sa vie, mais elle avait espéré qu'il serait heureux, or ça ne semblait pas être le cas. Bien sûr il y avait Clémence, l'amour qu'il portait à sa fille crevait les yeux, mais ce n'était pas suffisant. Elle le détailla du coin de l'œil. Il était toujours aussi beau que lorsqu'il était adolescent – plus même, sa peau avait épaissi et sa carrure s'était développée – mais il avait perdu en insouciance. Elle le remarquait dans son regard, dirigé vers le sol et à ses épaules légèrement rentrées. Il souriait moins aussi. Avant, il avait toujours des étincelles dans les yeux et la bouche rieuse. Les responsabilités induites par la paternité y étaient sûrement pour quelque chose, mais pas seulement. Les traces d'enfance qui subsistaient chez lui lorsqu'elle l'avait aimé s'étaient envolées. Clémentine se surprit à vouloir le prendre dans ses bras, pour qu'il se détende, et pour qu'elle puisse lui murmurer dans l'oreille que tout allait bien aller, maintenant.
Elle s'arrêta.
— Ça va ? s'enquit-il, inquiet.
Il l'enveloppa de son regard et elle ressentit la même bienveillance qu'après l'accident, quand il était aux petits soins pour elle. Ça lui avait manqué. Elle le rassura et lui proposa de s'asseoir. Les rives du lac étaient aménagées, on trouvait çà et là des bancs et des tables pour pique-niquer, mais ils s'éloignèrent du chemin et s'installèrent tout naturellement dans l'herbe, face à l'eau d'un calme étourdissant, en comparaison avec leurs pensées.
Un silence confortable s'installa entre eux. La respiration de Clémentine ralentit. Puis elle prit conscience de la proximité du corps de Maxime à côté d'elle, et son souffle s'accéléra de nouveau. Il changea de position, se tournant un peu plus vers elle et elle aurait juré qu'il allait lui prendre la main. Il plongea ses yeux dans les siens.
— C'est toujours là, n'est-ce pas ? demanda-t-il.
— Quoi ?
Il désigna l'air entre eux. Aussi palpable que si un fil électrique dénudé les reliait, risquant le court-circuit à chaque instant.
La première fois, dans un stade désert un matin d'automne, c'est lui qui avait tenté de l'embrasser. Par réflexe, elle avait vivement écarté le visage. Mais la déception et même la douleur qu'elle avait lu dans les yeux qui la dévoraient l'avaient fait changer d'avis. Elle avait déconnecté son cerveau et s'était jetée sur sa bouche sans penser aux conséquences.
Lentement, elle s'approcha de ses lèvres comme il l'avait fait ce jour-là, lui laissant le temps de jauger son intention, mais lui ne recula pas d'un millimètre. Ses yeux se fermèrent, il inclina légèrement la tête et l'embrassa sans la moindre hésitation.

Effet boomerang  (Demain nous appartient - Clemax - ROMAN)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant