7. Princesse

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Maxime avait très mal dormi. Il n'arrêtait pas de penser à la veille. Avait-il fait une erreur en s'installant à Montpellier ? Mais la ville était si grande ! Et puis, il ne savait même pas si elle y vivait toujours. De toute façon, ce n'est pas lui qui avait choisi. Qu'aurait-il pu opposer à Ophélie ? Non, chérie, je ne veux pas qu'on habite là-bas, je risquerais de croiser une ex, et c'est un problème, parce que je ne suis pas certain que ça ne me ferait pas de l'effet ? Sur les 250 000 personnes qui vivent à Montpellier, sans compter les visiteurs, pourquoi avait-il fallu que sa fille tombe sur Clémentine ? Peut-être était-ce un signe. Maxime croyait en ces choses-là. Leur première rencontre à Sète n'était déjà pas due au hasard, il en était persuadé. Mais alors pourquoi ne l'avait-il pas retrouvée ?
— Ça va, bébé ? Tu as l'air ailleurs.
Maxime leva les yeux vers sa compagne penchée au-dessus de lui. Si lui n'était ni douché ni habillé, elle était parfaitement apprêtée pour le bureau. Elle portait une blouse tendance sur un jean blanc et des sandales à talons dont la bride s'accordait avec l'énorme sac qu'elle transporterait sur son épaule. Son visage était parfaitement maquillé, son teint unifié et poudré, ses lèvres ourlés d'un rouge rosé légèrement brillant et ses paupières recouvertes d'une ombre pailletée. Elle avait discipliné au lisseur ses longs cheveux châtain clair. Maxime préférait quand ils ondulaient naturellement sur ses épaules, mais elle ne supportait pas la moindre mèche rebelle. Le parfum musqué dont elle venait de s'asperger se mêla à l'odeur du café qu'il buvait.
— Bof, pas trop, répondit-il avec sincérité.
— Humm... fit-elle distraitement, les yeux rivés sur son téléphone portable qu'elle tenait d'une main impeccablement manucurée. Je ne vais sûrement pas rentrer tôt ce soir. Passe une bonne journée !
Elle mima un baiser sur ses lèvres pour ne pas gâter son maquillage et s'éloigna rapidement. Dépité mais pas surpris – ils échangeaient rarement plus de mots ces derniers temps –, Maxime but tranquillement le reste de son café, en gardant un œil sur l'heure. A 7 h 30 il se leva, débarrassa sa tasse, ses couverts et ceux d'Ophélie et sortit du placard le bol marqué « Clémence » que ses parents – Alex et Chloé – avaient offert à leur unique petite-fille, à l'occasion d'un séjour en Bretagne l'été précédent. Une des oreilles était déjà un peu ébréchée, mais elle l'adorait. Il le remplit à demi de lait frais, et sortit du placard un paquet de céréales largement entamé – il prit note mentalement d'en racheter prochainement. En ce moment le choix de Clémence se portait invariablement sur les pétales de blé au chocolat. Il fila ensuite sous la douche et s'habilla rapidement, avant d'aller réveiller sa fille.
Maxime adorait ce moment autant qu'il le redoutait. Il n'aimait pas troubler son sommeil, elle était si paisible quand elle dormait. Mais l'école n'attendait pas. L'avantage d'être un papa au foyer, c'est que Clémence échappait à la garderie, il pouvait se permettre de la laisser se reposer jusqu'à la dernière minute.
Il écarta la petite couette rayée rose et jaune qui recouvrait sa fille et se pencha au-dessus d'elle. La chambre de Clémence était la seule pièce dans l'appartement qui ne semblait pas issue d'un magazine. Ophélie laissait libre court à son imagination et changeait perpétuellement la décoration dans les autres espaces pour suivre les tendances, avec parfois un résultat douteux. Cela ne dérangeait pas Maxime, il regardait avec un œil admiratif – avec fierté même – la passion d'Ophélie pour son métier, mais il avait refusé que la chambre de leur fille se transforme en laboratoire. Le mobilier blanc ressortait sur les murs peints d'un rose poudré très doux. Au-dessus du lit, une nuée de papillons adhésifs beiges, roses et blancs s'envolait vers le plafond, d'où pendait un luminaire ajouré qui, le soir venu, projetait des étoiles sur les murs. Les innombrables jouets de Clémence étaient rangés – ou pas – dans des paniers qui trouvaient leur place dans une large bibliothèque qui occupait la quasi-totalité d'un mur. Outre les bacs de rangement, s'y entassaient une multitude d'albums illustrés parmi lesquels Clémence choisissait chaque soir l'histoire que Maxime lui lirait, quelques cadres photos et divers bibelots pour la plupart offerts par Chloé (une tirelire en forme de lapin, une mini veilleuse qui rassurait la fillette la nuit en diffusant une lumière bleuté douce et apaisante, un gros « C » décoratif en bois).
— Bonjour, ma princesse, chuchota Maxime en déposant des petits baisers sur le front de Clémence.
La princesse grogna, se retourna, puis céda en riant aux cajoleries de son père. En deux temps trois mouvements, le duo entra dans sa routine matinale et Clémence fut habillée, débarbouillée et coiffée – Maxime avait pris un peu de temps pour maîtriser l'art des couettes, nattes et autres palmiers, mais il était maintenant expert en la matière.
Une heure plus tard, le jeune papa embrassait sa progéniture sur le pas de sa classe maternelle et affrontait une énième journée d'inactivité professionnelle. En général il rentrait directement à l'appartement et mettait à profit les quelques heures avant le déjeuner pour éplucher les offres d'emploi, mais ce jour-là il avait une autre préoccupation. Il monta dans le premier bus de la ligne 6 à se présenter, direction le centre-ville.
Le visage tourné vers la vitre, Maxime triturait ses mains moites et tentait de calmer son genou qui tressautait d'impatience. Il n'avait pas de plan, il était animé uniquement par la volonté de revoir son premier grand amour. Il laissa les souvenirs le pénétrer. Certaines images étaient floues, d'autres d'une vivacité déconcertante. Il descendit du bus à l'endroit où Clémence s'était heurtée à Clémentine, la rue était plus calme que la veille. Une fois sur le trottoir, Maxime fut un instant décontenancé. Elle n'était pas là. Tu croyais quoi ? se fustigea-t-il. Qu'elle réapparaîtrait sous ton nez par enchantement ? Il était prostré devant la vitrine d'un salon de coiffure, sans savoir quoi faire ensuite. Au hasard, il remonta la rue, scrutant alentour les devantures à droite et à gauche, en espérant un signe quelconque, n'importe quoi. Après quelques dizaines de mètres, il se rendit à l'évidence : il perdait son temps, ce n'est pas comme cela qu'il retrouverait la trace de Clémentine. Il rebroussa chemin en gardant les yeux grands ouverts. De retour à son point de départ, il traversa la rue et consulta les horaires à l'arrêt de bus, constata qu'il avait 4 minutes à attendre et s'avachit sur le banc sous l'abri.
Et c'est là qu'il la vit.
Un peu plus bas dans la rue, en face, une salle de sport. Maxime savait qu'ouvrir un lieu de ce genre était l'intention de l'ancienne prof d'EPS lorsqu'elle avait quitté Sète, mais il ignorait si elle avait mené son projet à terme. En revanche, il n'avait aucun doute sur une chose : Clémentine était la femme la plus tenace qu'il connaissait, il n'y avait donc aucune raison qu'elle ait abandonné son rêve. Il se remit à transpirer. Avant que son courage ne le lâche, il se mit en action et traversa de nouveau.
Toujours fébrile, il poussa la porte.
— Bonjour !
Maxime avança de quelques pas et se retrouva face à une jeune femme blonde qui lui souriait chaleureusement. Il répondit poliment, son regard balayant rapidement la salle autour de lui, peu fréquentée à cette heure de la matinée.
— Je peux vous aider ? reprit l'hôtesse sans se départir de son sourire. Vous souhaitez vous inscrire, peut-être ?
— Hein ? Euh...
Maxime se tourna de nouveau vers l'accueil, et réalisa qu'il n'avait pas prévu ce qu'il dirait, il n'avait pas imaginé d'autre scénario que Clémentine l'attendant derrière la porte, alors même qu'il n'avait aucune idée de si elle travaillait là ou non.
Marina s'impatientait. Elle trouvait le comportement du jeune homme étrange et se demandait ce qu'il pouvait bien vouloir. Elle le dévisagea de pied en cap, il n'avait certainement pas besoin de perdre du poids ni de se muscler davantage. Peut-être voulait-il postuler pour être coach ? Ça expliquerait sa nervosité. Je ne serais pas contre être collègue avec lui, se dit-elle, s'attardant sur ses bras musclés serrés dans un tee-shirt qui semblait moulé sur son torse.
— Vous venez pour l'annonce ? demanda-t-elle.
Elle se décala et désigna une affichette placardée sur le mur derrière elle, qui annonçait que l'équipe cherchait à embaucher un nouveau membre.
Mais les mots ne s'imprimèrent pas sur la rétine de Maxime. Il ne vit que la photo à côté. Une large affiche, où tous les membres du staff de BodyAccess s'affichaient fièrement dans leurs uniformes vert et jaune, à la manière d'une équipe de foot ou de basket. Au centre, debout, Clémentine, le sourire qu'il connaissait si bien plaqué sur son visage, manifestement heureuse.
Sa vision se brouilla. La dernière fois qu'il l'avait vue, elle était toujours profondément marquée dans sa chair par l'accident. Il mesura tout ce qu'elle avait entrepris, et il se demanda de quel droit il viendrait s'immiscer dans la vie qu'elle s'était battue pour reconstruire.
— Non, pardon, je ne suis pas intéressé, balbutia-t-il penaud avant de s'enfuir.

Effet boomerang  (Demain nous appartient - Clemax - ROMAN)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant