15. Le pacte

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Maxime ne parvenait pas à trouver le sommeil. La respiration lente et apaisée d'Ophélie à côté de lui indiquait qu'elle dormait profondément. Calme plat aussi du côté de Clémence. Il était allé la voir avant de se coucher et elle ronflait paisiblement, dissimulée dans un lit transformé en arche de Noé de peluches.
Il attrapa son téléphone et s'égara dans les archives en ligne d'un journal local qui relatait l'ouverture d'une nouvelle salle de fitness dans le centre-ville. Il avait trouvé l'article le matin et l'avait relu plusieurs fois depuis. Il zooma sur la photo. Bien sûr elle n'était pas récente, et de piètre qualité, mais la Clémentine dessus, qui arborait un sourire éclatant, ressemblait à celle qu'il avait aimé. Heureuse et combattante. Pas brisée et en proie au doute comme lorsqu'ils s'étaient quittés. Il en fut réconforté.
Un message d'un numéro inconnu envahit soudain l'écran. Curieux, il l'ouvrit. Peut-être enfin un recruteur qui daignait répondre à une candidature qu'il aurait déposée. Quoique vu l'heure... Il laissa échapper un hoquet de surprise en commençant à lire.
Bonsoir Maxime. Je sais que je romps notre accord en t'envoyant ce message, et je comprendrais que tu ne me répondes pas. Mais je pense beaucoup à toi depuis mercredi. Je voudrais juste savoir si tu vas bien. Clémentine
Le cœur battant la chamade, il s'empressa d'enregistrer le numéro dans son répertoire. Ses doigts pianotèrent ensuite à toute allure sur le clavier : Moi aussi je pense à toi, tellement ! Il envoya le message sans même prendre la peine de répondre à la question posée à demi-mot. Il voulait juste qu'elle sache qu'il était là, et qu'il la recevait. Deux secondes plus tard à peine, alors qu'il rédigeait un nouveau message plus élaboré, le nom de Clémentine qu'il venait tout juste de sauvegarder s'afficha en grand sur l'écran, accompagné de la sonnerie de son téléphone qui retentit dans la pièce dans ce qui parut à Maxime une explosion de décibels. Dans la panique, pour faire taire le vacarme au plus vite, il pressa hâtivement la touche rouge et se rendit compte avec effroi qu'il venait de lui raccrocher au nez.
Merde, merde, merde.
Il jeta un coup d'œil à Ophélie, elle n'avait pas bronché. Il bénit son sommeil profond et se leva discrètement. Il s'éloigna autant que possible de la chambre, puis consulta la liste de ses appels et pressa la ligne du dernier manqué. Il porta nerveusement le téléphone à son oreille, en priant pour que Clémentine n'ait pas changé d'avis.
Elle décrocha dès la première sonnerie.
— Excuse-moi ! bredouilla-t-il d'emblée. J'ai été surpris par ton appel, j'ai raccroché !
Il l'entendit rire.
Avant même qu'elle eut prononcé le moindre mot il redécouvrit sa voix de la plus belle des manières.
— Pas aussi surpris que moi mercredi, j'en suis sûre ! fit-elle.
— Je n'en reviens toujours pas qu'on se soit croisés comme ça ! Je pensais vraiment ne jamais te revoir.
— C'est ce qu'on s'était promis... J'ai beaucoup hésité avant de chercher à te contacter.
— Qu'est-ce qui t'as fait changer d'avis ?
Clémentine était indécise. Mais la sincérité avait forgé leur courte relation, jusqu'à l'inévitable séparation.
— Depuis quatre jours je pense à toi tout le temps.
Maxime ne répondit pas tout de suite, mais elle entendit sa respiration s'intensifier.
— Et toi ? reprit-elle. Pourquoi es-tu venu à ma salle pour en repartir aussi vite ? C'était bien toi jeudi, n'est-ce pas ?
— Comment tu sais ?! s'étonna Maxime.
— Ma collègue m'a brossé le portrait d'un jeune homme qui te ressemble qui n'avait pas l'air de savoir ce qu'il faisait là et qui est parti en voyant ma photo. Enfin, la photo de l'équipe, mais j'ai pensé que si c'était toi...
Maxime sourit jusqu'aux oreilles, encore ébahi d'entendre le son de sa voix.
— Oui, bon, j'ai paniqué. Moi non plus, je n'arrive pas à te sortir de mon esprit depuis mercredi ! Alors je suis revenu à l'endroit où je t'avais aperçue, sans savoir ce que je cherchais. Quand j'ai vu la salle j'étais aux anges ! Je n'ai pas réfléchi et je suis entré ! Et quand j'ai eu confirmation que tu y travaillais j'ai pris peur, c'est vrai. Tu avais l'air tellement bien sur ce poster. Heureuse. Je me suis dit que je n'avais pas le droit de gâcher ça.
— Quelle idée ! Pourquoi as-tu imaginé cela ?
— Tu as disparu si vite mercredi... J'ai pensé que peut-être tu ne souhaitais pas me revoir.
— Disparu ? s'étonna Clémentine. C'est toi qui es parti en courant, en me laissant sur place !
— Oui, c'est vrai, mais je suis revenu tout de suite ! Il fallait que je rattrape ma f... euh.
Il s'interrompit net. Il n'avait pas vraiment réfléchi à ça, mais parler de Clémence à Clémentine lui parut soudainement délicat. Clémentine sourit et le tira de ce mauvais pas d'une voix rassurante.
— Alors cette petite imprudente est bien ta fille ? Je me demandais.
— Je suis désolé si elle t'a fait mal ! s'empressa de s'excuser Maxime, au nom de sa fille. Je ne pensais pas qu'il y aurait tant de monde en ville, sinon nous n'aurions pas pris la trottinette.
— Ça va, je m'en remettrai ! blagua Clémentine en massant son mollet gauche, où un joli hématome violet virant au jaune s'était formé.
— Tant mieux ! Je me sentirais responsable si tu ne pouvais plus marcher à cause de nous ! plaisanta Maxime.
— J'ai connu pire, rappelle-toi, répliqua Clémentine. Mais dis-moi, comment s'appelle-t-elle ? Elle te ressemble ? Elle est blonde, non ? Quel âge a-t-elle ? Tu as d'autres enfants ?
— Oula ! Calmos ! C'est un interrogatoire ?
— Excuse-moi ! J'ai un millier de questions à te poser. Je veux tout savoir !
— Moi aussi, j'ai hâte que tu me racontes !
— J'aimerais qu'on se voie, proposa Clémentine, que le téléphone ne satisfaisait pas.
Elle avait besoin de le voir quand il lui parlerait de sa fille, de sa vie, de tout ce qu'il avait fait depuis qu'elle l'avait quitté. Elle voulait revoir ses yeux pétillants, ses dents blanches parfaitement alignées quand il souriait, ses cheveux en bataille quand, gêné, il passait la main dedans. L'entendre, puis le voir et le sentir. Le toucher.
— Et le pacte ? demanda Maxime.
Il n'en avait cure, mais il lui sembla important de poser la question.
— Ah ! Le pacte ! Eh bien, on aura essayé ! s'exclama Clémentine, avant de réaliser que c'était peut-être plus simple pour elle que pour lui. Enfin, je ne veux pas te forcer... Je comprendrais que tu ne veuilles pas, je suis déjà ravie d'avoir pu te parler !
— Hey ! Je n'ai jamais dit ça ! Bien sûr que je veux te voir ! Demain ?
— J'ai un rendez-vous en début de matinée mais après avec plaisir ! 10 h ? Tu es dispo ?
— Oui, parfait ! Je peux venir à la salle si tu veux.
— Humm, je préférerais qu'on se voie ailleurs que sur mon lieu de travail, si ça ne te dérange pas.
— Evidemment, pardon ! Oh ! J'ai une idée ! Tu ne voudrais pas qu'on aille courir ensemble ?
La proposition fit sourire Clémentine. Ils avaient partagé tellement de kilomètres, tous les deux. Ces moments étaient les seuls qu'ils s'étaient autorisés à vivre en public sans éveiller de soupçons. Qui aurait trouvé à redire à les voir ainsi s'entraîner ? Pourtant combien de discussions passionnées avaient-ils ainsi vécues ? Combien de silences complices, de confidences échangées au rythme de leurs respirations synchronisées ? Pas étonnant que Maxime veuille raviver ces souvenirs. Elle accepta volontiers sans oser lui avouer qu'elle ne courait plus avec autant de facilité qu'à l'époque. Ils se donnèrent rendez-vous sur un parking du lac des Garrigues, constatant émerveillés qu'ils auraient déjà pu s'y croiser à maintes reprises, étant l'un et l'autre familiers du lieu.

Maxime regagna son lit le cœur léger. Le bras lourd d'Ophélie étendu sur son oreiller contraria à peine son enthousiasme. Il se sentait plus vivant, plus heureux, plus satisfait qu'une heure auparavant.
Et il ne culpabilisait même pas.

Effet boomerang  (Demain nous appartient - Clemax - ROMAN)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant