13. Il y a de l'orage dans l'air

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Clémence se concentra sur Kiki le kiwi qui refusait de tenir sur ses pattes. Avec son gros ventre rond et son long bec il penchait systématiquement vers l'avant et tombait de tout son long. Il avait beau être désobéissant, elle adorait la peluche qui pourtant n'avait rien de mignon. Avec son pelage marron même pas très doux elle dénotait parmi les chatons aux yeux brillants, les lapins roses et autres licornes multicolores.
Elle avait fermé la porte de sa chambre et s'était réfugiée sous sa couette, qu'à l'aide de son gros oreiller elle avait tendue pour se créer un petit cocon douillet. Il n'y avait pas de la place pour tout le monde, alors elle avait pris avec elle uniquement les plus courageux. Outre Kiki le kiwi, il y avait la fidèle poupée Elsa, détentrice de fabuleux pouvoirs, Tigrou, qui savait faire bon usage de ses larges pattes orange, et une figurine en plastique d'un monstre gentil non identifiable qu'on lui avait donné dans un restaurant. Elle avait chaud ainsi recouverte, mais elle se sentait protégée et l'épaisseur de l'ouate couvrait un peu la violence des voix.

— Tu peux comprendre que j'en ai marre, non ? criait Maxime.
— Pas vraiment ! Tu n'as encore rien fait de ta journée à part emmener Clem à l'école, je ne vois pas de quoi tu te plains !
— Tu me saoules, Oph ! J'ai l'impression que tu me prends pour sa baby-sitter !
— Je te rappelles que c'est toi qui as voulu arrêter toutes tes activités à Sète, alors que tu aurais très bien pu faire la route ! Je ne t'ai rien demandé !
— Tu te fous de moi ? Tu sais très bien que je ne voulais éviter à Clem la garderie matin et soir. Ce qui aurait été possible, si seulement Madame avait bien voulu qu'on habite à mi-chemin, mais non, il lui fallait son appartement dans Montpellier !
— C'est indispensable pour mon boulot, combien de fois il faudra que je te le répète ?
— Je ne risque pas d'oublier c'est sûr, vu que tu ne parles que de ça.
— Je ne t'ai pas forcé, Max ! Tu étais d'accord !
Maxime secoua la tête par dépit. Il ne comptait plus le nombre de fois où ils avaient eu cette discussion. Les moments de répit dans cette querelle sans issue avaient lieu uniquement les soirs où Ophélie rentrait tard du travail, quand Clémence était déjà endormie, et que Maxime somnolait devant la télévision du salon. Elle prenait alors son dîner sur le pouce dans la cuisine, et invoquait un si grand épuisement qu'elle allait se coucher directement. Au début au moins, elle venait quelques minutes se blottir dans ses bras, en s'excusant de travailler autant, et il n'était pas rare qu'elle s'endorme ainsi.
Mais plus le temps passait plus Maxime avait la sensation qu'elle lui reprochait son inactivité. Il trouvait ça injuste, car il s'occupait de Clémence et de l'appartement quasiment tout seul et à la fin de la journée, la fatigue était réelle. Et puis il faisait le maximum pour trouver du travail. Toutefois, sans diplôme ça n'avait rien d'évident, il réfléchissait même à reprendre des études. Mais pour faire quoi ? Il peinait à faire le deuil de sa vie à Sète, où il passait le plus clair de son temps dehors, sur la plage à donner des cours de kite-surf aux touristes, ou sur la route, pour livrer en huîtres fraîches les restaurateurs clients de son père.
Et puis ici il ne connaissait toujours personne, mis à part quelques mamans croisées sur le pas de l'école et qu'il commençait à reconnaître. Les collègues qu'Ophélie lui avait présentés lui avaient fait mauvaise impression, tellement ils lui avaient parus superficiels. Il avait été choqué de constater à quel point sa compagne se sentait comme un poisson dans l'eau dans leur petit groupe, et il s'était senti étranger. Pourtant l'affection qui le liait à la jeune femme dont il était tombé amoureux était toujours là. Quand ils passaient du temps tous les trois surtout, ou parfois à Sète avec ses parents. Il adorait alors la voir souriante et joyeuse. Elle s'entendait bien avec sa mère, malgré un début chaotique – Chloé peinait à accorder l'exubérance de la jeune femme avec le naturel terre-à-terre de son fils – elles s'étaient rapprochées pendant la grossesse d'Ophélie. Elles pouvaient passer la journée ensemble à chouchouter Clem, qui en profitait bien. C'était beau à voir. Une belle photo de famille.
Il ne se souvenait pas exactement du moment où l'image s'était ternie. Après la naissance de Clem assurément. Mais depuis quelques semaines, c'était pire. Et ça ne passait pas. Il avait tout essayé pour recoller les morceaux. Il prenait sur lui, se disait que ça irait mieux quand il aurait trouvé un job. Ou quand Ophélie aurait sécurisé le poste de ses rêves auprès du fameux monsieur Garcia. Mais depuis le mercredi précédent, Maxime se demandait pour la première fois si en fait il en avait vraiment envie. Il fit le constat, amer, que sa vie de couple était pareille à un puits sans fond dans lequel il avait juste envie de disparaître.

Effet boomerang  (Demain nous appartient - Clemax - ROMAN)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant