12. C&M

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— Tu vas finir par me dire ce qui se passe ? Tu sais que je commence à m'inquiéter ! Ça fait des jours que tu n'es pas dans ton assiette ! Et ne nie pas, je te connais.
Sophie se préoccupait réellement de son amie. Elle était taciturne, distante, et avait décliné son invitation à sortir ce dimanche soir-là. Rien d'exceptionnel pourtant, un bon restau et peut-être un verre dans un bar par la suite, afin de finir le week-end agréablement avant d'entamer une nouvelle semaine.
Mais pas du genre à se contenter d'un refus non justifié, Sophie avait débarqué sans prévenir chez Clémentine en fin d'après-midi. Si celle-ci avait d'abord paru agacée, elle semblait maintenant contente que la coiffeuse soit là, et s'était même laissé convaincre de les accompagner – elle et Daniel – au restaurant.
— La noire ou celle-ci ? éluda Clémentine.
En soutien-gorge face au miroir en pied de sa chambre, elle présentait deux blouses qu'elle avait sorties de sa penderie. Elle était en tenue de sport quand Sophie était arrivée, et maintenant elle se retrouvait à faire des essayages pour satisfaire son amie, pour qui le jean et le tee-shirt en coton qu'elle portait la veille n'étaient pas une option.
Sophie, assise nonchalamment sur le lit, montra sans hésiter sa préférence pour le chemisier coloré, bien plus gai avec ses motifs floraux que la simple blouse noire unie.
— Ah voilà ! Jolie comme tout ! s'enorgueillit-elle lorsque Clémentine eut enfilé le vêtement.
Celle-ci secoua la tête.
— On va à la pizzeria du coin, pas dans un étoilé au Michelin !
— Et alors ? Il n'y a pas de mal à se faire belle de temps en temps !
Clémentine sourit. Son amie était toujours apprêtée. Elle ne se souvenait pas l'avoir déjà vue négligée ou pire, pas coiffée. Elle observa son reflet et se dit que peut-être que le conseil était bon à prendre. Il ne lui arriverait rien de bon si elle continuait à se morfondre comme ça, elle avait une mine triste qui ne lui plaisait pas. Elle passa distraitement sa main sur son décolleté dégagé.
— Tu as raison ! remarqua Sophie. Il manque un petit quelque chose, là.
Elle se dirigea prestement vers la commode sur laquelle trônait une boîte à bijoux et commença à chercher dedans le collier idéal. Pendant quelques minutes elle farfouilla, aucun des accessoires de Clémentine ne trouvant grâce à ses yeux : ni les babioles achetées avec Garance lors de leurs sorties shopping – et qu'elle ne portait finalement jamais – ni les colliers plus précieux offerts par Olivier.
— C'est mignon, ça ! s'exclama-t-elle soudain. Je ne t'ai jamais vue avec !
Dans sa main, se trouvait un petit médaillon en or monté sur une chaîne très fine. En regardant de plus près, elle déchiffra les lettres entrelacées gravées dessus avec de longs empattements ornementaux : un C et un M.
— C'est Maël qui te l'a offert ? demanda-t-elle, un sourire malicieux aux lèvres.
Clémentine, qui, dubitative, se demandait à la réflexion si le chemisier noir ne conviendrait pas plus, se tourna vers son amie. Quand elle vit le bijou que Sophie tenait, elle lui arracha de la main.
— Ce n'est pas Maël, non, répondit-elle sèchement.
— Je te taquine ! Pourquoi tu te braques ?
Clémentine s'assit sur le lit. Elle caressait maintenant le pendentif de son pouce. Elle hésita, voulut parler, se retint, sourit tendrement.
— Le « M », c'est pour « Maxime », dit-elle finalement.
Pour une fois, Sophie ne fit pas de blague et s'assit à côté de son amie, pressentant des confidences. Mais Clémentine secoua la tête, et alla ranger le médaillon dans la boîte. Quand elle se retourna, Sophie remarqua que le voile qui ternissait ses yeux les jours passés était revenu.
— Ce Maxime... Il a quelque chose à voir avec l'état dans lequel tu es depuis quatre jours ?
Clémentine leva des yeux humides vers Sophie.
— C'est si évident que ça ?
Sophie se désola.
— Tu ne crois pas qu'il est temps que tu me racontes ce qu'il y a ? Je suis sérieuse quand je te dis que je m'inquiète pour toi. Il est arrivé quelque chose cette semaine ? Je ne te reconnais pas.
Clémentine retrouva sa place sur le lit et capitula. Elle en avait marre des pensées incessantes qui l'assommaient, il fallait qu'elles sortent.
— Ça va être long ! soupira-t-elle.
Sophie leva son index en l'air, enjoignant Clémentine de patienter, mais de ne surtout pas changer d'avis. Elle dégaina son téléphone et appela Daniel pour décommander leur dîner. Finalement ce soir, ça serait soirée filles. Sa pizza, il pouvait la commander.
Clémentine se dit qu'elle avait de la chance d'avoir une amie comme Sophie, alors elle décida de lui livrer ses états d'âme sans filtre. Elle avait deviné de toute façon comment elle se sentait, elle ne pouvait simplement pas savoir pourquoi.
— Tu te souviens, l'autre matin, démarra-t-elle, juste avant qu'on entre chez toi, la petite fille qui m'a bousculée avec sa trottinette ?
Sophie, incrédule, essaya de se souvenir mais elle avait beau interroger sa mémoire, pourtant excellente d'ordinaire, elle ne se rappelait pas l'incident.
— Bref, le jeune homme qui l'accompagnait, c'était Maxime, reprit Clémentine. Je ne l'avais pas vu depuis que j'ai quitté Sète.
— Oh ! Alors c'est une histoire qui remonte !
— Tu sais que je suis venue à Montpellier après mon divorce, mais je ne t'ai jamais dit pourquoi j'ai quitté Olivier, expliqua Clémentine.
— Ce n'est pas par lassitude ?
— C'était un peu plus compliqué que ça...
Et elle raconta tout à Sophie.
Le coup de foudre, les doutes, l'interdit et la passion. L'adultère, le secret, puis la culpabilité.
L'accident.
La réalité.
— Tu es la première personne au courant, finit-elle par avouer, au terme d'un monologue interminable que Sophie n'avait pas osé interrompre une seule fois.
Ça ne lui ressemblait pas, mais elle était scotchée. Elle eut le sentiment de découvrir une nouvelle personne. Comme si la Clémentine qu'elle connaissait n'était pas la vraie.
— Je n'en reviens pas...
Sophie passa en revue mentalement tous les profs de son fils Jordan, essayant de l'imaginer vivre une torride aventure avec l'une d'entre elles. C'était inconcevable. Et Clem ! Si rangée, si droite, si sage ! Comment avait-elle pu ! Le plus troublant, constata Sophie, n'était pas l'aveu de l'idylle sétoise, mais le fait que Clémentine avait l'air de trouver ça plausible d'être toujours éprise de son ancien élève, tant d'années après l'avoir quitté.
— Non, mais c'est n'importe quoi de toute façon, s'embrouilla Clémentine face à la mine stupéfaite de son amie. Notre histoire n'en était pas vraiment une, ça a duré si peu de temps... Le fait qu'il soit venu à la salle sans me contacter, c'est bien la preuve que je me fais des films, non ? Surtout que maintenant Bart lui a probablement transmis mon numéro. S'il ne m'a pas appelée tout de suite... il ne doit pas avoir envie, c'est clair. Il faut que j'arrête d'imaginer des choses ! Le revoir m'a bousculée, j'ai juste besoin d'un peu de temps pour digérer. Tu sais quoi ? Finalement c'est toi qui as raison, je devrais arrêter de vivre dans le passé et donner sa chance à Maël.
A l'évocation de son ami, Sophie recouvra ses esprits.
— Alors que tu viens de me dire que tu es amoureuse d'un autre, aussi improbable que ça soit ? Même si j'adorerais vous voir ensemble Maël et toi, je ne crois pas que ce soit une bonne idée !
— Qu'est-ce que tu me conseilles, alors ? Je ne vais pas harceler Maxime !
Sophie s'octroya un temps de réflexion. Elle pensait qu'effectivement son amie délirait, et que le jeune Maxime avait probablement laissé derrière lui depuis belle lurette le souvenir de sa jolie prof de sport du lycée. Mais tant qu'elle ne verrait pas la réalité en face – aussi dure soit-elle à affronter – Clémentine ne serait jamais totalement libérée de cette histoire. Il fallait donc qu'elle se confronte au jeune homme. Lui seul, en chair et en os, pourrait chasser la version idéalisée de lui-même qui hantait la mémoire de Clémentine.
— Je comprends mieux pourquoi tu as si radicalement coupé les ponts avec Sète... réalisa-t-elle. Mais je pense que tu dois lui parler, pour que les choses soient claires (pour que tu voies comme tu dérailles, pensa-t-elle). Tu ne sais pas s'il est réellement en possession de tes coordonnées, ni pourquoi il ne t'a pas attendu à la salle. Es-tu certaine au moins que c'est lui dont il s'agissait ?
Elle expliqua ensuite à Clémentine ce qu'elle pensait de la situation, taisant le fait qu'elle s'attendait selon toute probabilité à la ramasser à la petite cuillère une fois qu'elle se serait rendue compte qu'elle se berçait de vaines chimères. Quel dommage ! Elle attendait depuis si longtemps de voir son amie amoureuse.
— Mais je ne sais pas comment le retrouver, se lamenta Clémentine. Je pourrais essayer de recontacter Chloé, sa mère, mais ça me paraît complétement déplacé !
— Et ta fille ? Elle a son âge, non ? Oh, seigneur, elle était dans sa classe quand tu couchais avec lui ?
Sophie parut horrifiée, ce qui gêna Clémentine. Elle ne s'était pas confiée à son amie pour que celle-ci la juge.
— Oui. Je ne suis pas fière de tout ce qui s'est passé à cette époque, tu sais. Mais c'était plus fort que nous, que moi ! Bien sûr que je n'aurais pas dû céder ! Tout me l'interdisait ! Mais je ne regrette pas. Quoiqu'il arrive, j'ai le souvenir au fond de mon cœur de notre amour, et je suis convaincue que je n'en revivrai jamais d'aussi intense.
— Eh bien, ça alors ! Si un jour on m'avait dit qu'en fait tu es une vraie romantique ! s'étonna Sophie, qui allait de surprise en surprise. Pour en revenir à Garance, tu ne crois pas qu'elle pourrait t'aider à résoudre ton problème ? Elle a sûrement gardé contact avec certains amis de l'époque, il y en a bien un qui a le numéro de ton Maxime !
L'idée séduisit Clémentine. Exposée comme ça, la possibilité de renouer avec Maxime semblait facile. Et ô combien effrayante. Mais comment oserait-elle en parler à sa fille ?

Effet boomerang  (Demain nous appartient - Clemax - ROMAN)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant