39. Une idée

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Le couple abandonna Clémence et Chloé à l'aire de jeux et se dépêcha de rentrer à la maison. Alex les attendait pour leur rendez-vous improvisé avec Victor.
— Vous voilà ! Déjà que j'ai l'impression de perdre mon temps avec cette mascarade, si en plus on est en retard ! bougonna-t-il.
Maxime et Clémentine s'abstinrent de tout commentaire, il était évident que c'est le stress qui parlait pour Alex. Maxime, lui, se réjouissait. Il croyait dur comme fer que Victor le soutiendrait et investirait dans le mas. Après tout, c'est lui qui lui avait suggéré de se démener pour trouver une solution à leur situation précaire. N'était-ce pas là justement ce qu'il faisait ?
Il déchanta très vite.
— Non, aucun intérêt.
Victor, impitoyable, eut tout juste la décence d'attendre que Maxime ait fini de parler avant de livrer son verdict. Quand Maxime, déconfit, se recroquevilla et lui demanda pourquoi, il balaya l'air devant lui d'un geste dédaigneux de la main.
— Les huîtres, ça ne m'intéresse pas, je n'ai que faire d'investir dans votre affaire, il n'y a rien à faire fructifier.
Alex fronça les sourcils et, à l'inverse de son fils, il se tendit, peu prompt à se laisser engloutir par l'opulent fauteuil sur lequel Victor l'avait invité à s'asseoir, et qui à l'image de l'intégralité du mobilier de la pièce puait le luxe et l'ostentation.
— Mais alors, pourquoi tenez-vous absolument à racheter le mas ? demanda-t-il d'une voix accusatrice.
Le visage de Victor se fendit d'un sourire roublard.
— Andrieu, ça vous parle ?
— Bien évidemment ! répondit Alex.
Pascal Andrieu était son voisin, ostréiculteur comme lui. A la différence d'Alex, il n'avait pas hérité de son exploitation mais avait racheté l'emplacement cinq années auparavant avec l'espoir de faire revivre une activité laissée à l'abandon. C'était un homme passionné, qui avait appris à aimer son nouveau métier et il tenait sa petite affaire à bout de bras bon an mal an, malgré un contexte économique tendu. Alex le tenait en respect pour cela, même si cette modeste réussite précipitait ses propres difficultés. Déjà sur le fil sans ce concurrent direct, il avait depuis l'arrivée d'Andrieu encore plus de mal à résister.
Victor, lui, connaissait Pascal Andrieu depuis sa vie d'avant, quand il avait un poste de responsable d'exploitation au port de Sète, en charge de coordonner le transport de conteneurs en provenance et à destination de l'étranger. A cause d'une sombre histoire d'autorisation refusée qui avait fait capoter un juteux partenariat avec le port de Gènes, Victor – qui était rancunier – l'avait dans son collimateur et cherchait à lui rendre la monnaie de sa pièce. Et donc, c'est tout naturellement qu'il annonça à Alex que s'il voulait faire main basse sur sa propriété, c'était uniquement pour faire une crasse à une vieille connaissance. En achetant ainsi le mas d'Alex pour une bouchée de pain – selon lui, car pour les Delcourt ça représentait une grosse somme d'argent –, il mettrait la pression à Andrieu qui saurait qu'il n'aurait peut-être pas d'autre choix un jour ou l'autre que de céder pareillement, s'il ne trouvait pas rapidement un équilibre financier. Car telle était la finalité du plan de Victor, dont l'acquisition du mas d'Alex n'était que la première étape. Ainsi il ne savait pas encore ce qu'il ferait de l'exploitation, mais il renouvela son peu d'intérêt pour l'élevage de coquillages.
Alex se sentit humilié. Il avait sué sang et eau pour cette entreprise, et le peu de respect que Victor témoignait lui donna la nausée. Ses narines se dilatèrent, il fusilla l'homme d'affaires du regard.
— Depuis le départ vous nous racontez des salades, je ne sais pas ce que je fais là !
Les mains tremblantes, il déchira l'offre que Victor avait apporté dans l'espoir de le voir céder et lui jeta les morceaux de papier à la figure, avant de sortir avec fracas du bureau.
Maxime se leva, coupable d'avoir insisté pour donner une chance à Victor.
— Papa !!!
Il jeta un regard désemparé à Clémentine qui lui fit signe de se dépêcher, son père avait besoin de lui. Il partit en vitesse.
— Bon, eh bien, beau-papa est en colère, on dirait !
Clémentine pesta en roulant des yeux. Elle adorait Victor, mais qu'est-ce qu'il pouvait manquer d'empathie parfois !
— Pour eux c'est tout sauf un jeu, tu aurais pu faire preuve de plus de tact.
Il haussa les épaules.
— J'ai été clair dès le départ sur mes intentions, quoiqu'Alex en dise. Il a du mal à l'entendre, c'est tout. Mais ils ont tort de ne pas profiter de la chance que je leur donne, surtout après que tu m'aies obligé à revoir mon offre. Ils n'en auront jamais une meilleure étant donné leurs résultats, permets moi de le dire, plutôt catastrophiques ces derniers mois.
— Quand même, c'est louable de leur part de vouloir sauver l'entreprise familiale ! Maxime fondait tellement d'espoir en ton investissement... Son dossier était solide, il doit être terriblement déçu.
— Je les respecte pour cela, mais qu'est-ce que j'y peux ? C'est leur histoire – et la tienne, j'ai compris – mais pas la mienne.
Rien que de penser à la désillusion de Maxime, le visage de Clémentine se ferma.
— Il est jeune, il s'en remettra ! la réconforta Victor. Allez, viens là !
Il glissa sur le large canapé en cuir aux extrémités duquel ils étaient tous les deux assis et lui ouvrit les bras mais elle ne se précipita pas pour s'y blottir, comme elle aurait pu le faire à d'autres occasions. Elle posa néanmoins sa main sur la sienne.
— Merci, mais je préférerais que notre relation soit moins tactile dorénavant, si tu vois ce que je veux dire.
Victor partit d'un rire gras.
— Ah ! Oui, je vois très bien, j'ai cru que ton mec allait me mettre un uppercut quand vous êtes arrivés, c'était drôle !
— Ta main sur mes fesses en me faisant la bise, ce n'était pas obligé ! répliqua Clémentine.
— Le bas de ton dos !
— Mouais, peu importe. Il est jaloux, et je peux le comprendre, donc bas les pattes, OK ?
Toujours souriant, Victor secoua la tête. Le couple formé par son associée et le jeune Delcourt était une énigme pour lui. Mais il est vrai que le couple en règle générale était un grand mystère, et il s'émerveillait parfois de trouver sa compagne toujours à ses côtés lorsqu'il rentrait le soir à la maison.
— Sinon, dit-il en retrouvant son sérieux, même si je suis ravi pour toi de constater que tu es satisfaite par un bel étalon de vingt-cinq ans, ce n'est pas pour cela que je voulais te voir. Il faut qu'on cause de BodyAccess.

L'absence à côté de lui réveilla Maxime. Il glissa sa main sur l'oreiller mais ne rencontra que le vide, alors enfin il ouvrit les yeux dans la pénombre. Ils n'avaient pas pris la peine de fermer les volets et la clarté de la lune d'été presque pleine éclairait faiblement la chambre. Sans allumer, il se leva et sortit dans le séjour plongé dans un silence quasi absolu, seul le bruit de la nuit pénétrait par la porte-fenêtre ouverte sur l'extérieur. Alors qu'il ne dit rien, Clémentine sentit sa présence derrière elle et se retourna. Elle lui sourit. La canicule annoncée n'était pas encore là, mais la température était élevée pour cette heure de la nuit. Dans le plus simple appareil, il franchit le seuil et la rejoignit sur la terrasse. Elle ouvrit le drap froissé dont elle était recouverte et les enveloppa tous les deux. Il moula son corps derrière le sien et déposa un baiser sur l'os saillant de sa clavicule.
— C'est tellement magnifique, ici, chuchota-t-elle.
La terrasse qui surplombait le mas donnait directement sur l'étang, si bien qu'on avait l'impression de naviguer. Maxime resserra son étreinte et elle se laissa aller contre son torse. Ils restèrent ainsi de longues minutes à contempler les reflets apaisants de la lune sur l'eau de l'étang.
— Je n'arrivais pas à dormir, expliqua Clémentine au bout d'un moment.
— Tu penses à ton rendez-vous avec ma grand-mère ?
— Non... Je pensais à ce que m'a dit Victor.
Elle n'avait pas encore fait part de leur discussion à Maxime. Elle s'était prolongée jusque tard dans la soirée, puis Victor l'avait raccompagnée au mas avant de rentrer chez lui. Maxime l'attendait, et ça se voyait qu'il déployait beaucoup d'efforts pour essayer de masquer sa jalousie. Il brûlait d'envie de lui faire une réflexion, c'était évident, mais il s'abstint. Elle trouva son attitude tout à fait mignonne. Et terriblement sexy. Sans un mot, elle avait déposé son sac dans l'entrée, et retiré ses chaussures. Maxime la regardait fixement, perché sur un tabouret du bar dans la cuisine ouverte. Alors elle poursuivit. Toujours en silence, mais sans le lâcher des yeux non plus, elle ôta son tee-shirt, et traversa le séjour. Sur le seuil de la chambre, elle lui lança le vêtement à travers la pièce et, une main caressant la ceinture de son jean, elle demanda d'une voix détachée :
— Alors, cette chambre ?
Maxime s'anima enfin, la rejoignant en quelques enjambées pressées, et elle s'enfuit en riant. Il la rattrapa rapidement et la placarda sur le lit. Avec autorité, il bloqua fermement ses bras au-dessus de sa tête. Dans l'incapacité de se défendre, elle se laissa embrasser ardemment, prisonnière volontaire de sa domination. Il finit par lâcher prise afin d'achever de les mettre à nu elle en profita pour s'extirper agilement de sa poigne. Maxime s'allongea docilement quand elle plaqua ses mains contre son torse et effleura le corps souple de Clémentine qui ondulait contre le sien. Quand les caresses ne suffirent plus à Clémentine, elle descendit sur lui avec un gémissement d'anticipation. Les mains sur ses hanches, Maxime accompagna la danse de leurs bassins tandis qu'elle le chevauchait, jusqu'à ce qu'elle s'écroule contre lui, à bout de souffle mais comblée. Et puis il s'était endormi.
Donc elle ne lui avait rien raconté.

Effet boomerang  (Demain nous appartient - Clemax - ROMAN)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant