11. Bart

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Après son déjeuner, Flore s'empressa de rejoindre son bureau. Sur le chemin, elle composa le numéro de son fils, car elle avait une promesse à tenir et craignait que ça ne lui sorte de la tête si elle ne s'en acquittait pas immédiatement. Elle savait que dès qu'elle passerait la porte d'Info Sète elle serait assaillie par sa collègue Anna et une multitude de coups de téléphone qui s'enchaîneraient – la routine –, si bien que la journée passerait sans qu'elle ne pense plus à l'ancienne prof de son fils.
— Allô, Bart ?
— Salut mam's !
— Dis-moi, tu te souviens de Clémentine Doucet ? Ta prof de sport au lycée ?
Surpris par cette entrée en matière peu banale, Bart resta silencieux.
— Je viens de la rencontrer au Spoon !
— Ah, super, fit Bart, ne voyant pas en quoi ça le regardait. Il se souvenait parfaitement de Clémentine Doucet et n'avait pas spécialement envie de penser à elle.
— Tu te rappelles qu'à l'époque elle entraînait Maxime pour un truc ? Genre un marathon ou quelque chose comme ça.
— Oui, un semi-marathon.
— Voilà ! En tout cas elle m'a demandé de tes nouvelles et des siennes, elle aimerait bien savoir ce qu'il est devenu. Alors elle m'a filé son numéro, je vais te l'envoyer, tu pourras transmettre à Max ? J'ai promis que je ferais suivre, si le cœur lui en dit il pourra l'appeler pour lui raconter où il en est.
— Vas-y, envoie, soupira Bart.
Dès qu'il eut raccroché, il attendit le message de sa mère avec les coordonnées de Clémentine. Quand le « ding » retentit et que l'aperçu du message afficha les dix chiffres du numéro de son ancienne prof, il ne prit même pas la peine de l'ouvrir entièrement et appuya sur la touche avec une icône en forme de corbeille à papier pour le supprimer directement.
Maxime n'avait vraiment pas besoin de se remettre Clémentine en tête maintenant, alors que son couple battait sérieusement de l'aile.
Jamais, en fait, songea Bart.
Comme tout le monde à Sète, sa mère se rappelait juste que Clémentine Doucet enseignait le sport au lycée Paul Valéry, et que sa carrière s'était brutalement arrêtée après un accident de car dont elle était sortie avec une compression de la moelle épinière qui l'avait laissée en fauteuil roulant pendant de nombreux mois. À la suite de son hospitalisation, elle avait quitté la ville pour rejoindre un centre de rééducation dans le nord de la France et ils eurent l'impression qu'elle n'était jamais vraiment revenue. En tout cas quand elle réapparut – debout sur ses deux jambes, mais avec des béquilles –, elle changea radicalement de vie, à la surprise de tous : elle divorça, présenta sa démission à la proviseure du lycée et quitta Sète très rapidement, sans plus donner de nouvelles à personne. Les gens avaient mis ce bouleversement sur le compte de l'accident, mais Bart savait que la vérité était tout autre.
Il était là, ce jour-là, le jour de la collision.
Avec sa classe, ils avaient fait une excursion à l'Abbaye de Valmagne. La journée s'était hyper bien déroulée, tout le monde était joyeux dans le car sur la route du retour, jusqu'à ce qu'un véhicule dont le conducteur avait perdu le contrôle arrive en sens inverse et les percute de plein fouet. Le bus s'était retourné, Bart n'avait jamais eu si peur de sa vie. Il s'en était sorti avec une épaule démise mais globalement ça allait, comme la plupart de ses camarades. Seule Noor Bédiard avait été grièvement blessée et transportée en urgence absolue à l'hôpital, où elle passa quelques jours dans le coma, avant finalement de se réveiller sans séquelles. Et puis il y eut madame Doucet. Dans la panique qui avait suivi la collision, personne n'avait remarqué qu'elle manquait à l'appel, on pensait que chacun était parvenu à s'extirper de la carcasse fumante du bus qui menaçait de s'enflammer à cause de l'essence qui s'échappait du réservoir. Mais au bout d'un moment les cris désespérés de Maxime appelant à l'aide alertèrent ceux qui n'étaient ni blessés ni trop choqués et qui pouvaient encore aider. Max, sorti par une fenêtre, se tenait debout sur le bus et, à bout de bras, tirait littéralement la prof de sport pour la sortir. Quelques-uns aidèrent le binôme à descendre, puis, avec une force décuplée par l'adrénaline, Maxime porta sa prof sur ses épaules pour la mettre en sécurité. Elle ne bougeait plus ses jambes du tout et semblait sur le point de perdre connaissance. Malgré la prise en charge rapide des équipes médicales dépêchées sur place, à aucun moment Maxime ne quitta le chevet de l'enseignante. Il ne lui lâchait pas la main, lui écrasait même les phalanges, et ne cessait de la rassurer en la regardant droit dans les yeux. De temps en temps il lui caressait les cheveux, de son front jusque derrière son oreille, comme on apaise une petite fille. Elle, la nuque enserrée dans un collier cervical rigide, se raccrochait aux paroles de son élève, comme si plus rien d'autre n'avait d'importance. Bart avait bien remarqué dès cet instant que le dévouement de son ami pour leur prof n'était pas très naturel, et que la façon qu'elle avait de tenir la main de Max serrée contre sa poitrine non plus, mais sur le coup il pensa que c'était dû au choc.
Ce qu'il apprit par la suite mit drôlement les choses en perspective.
Maxime s'était comporté bizarrement tout l'été qui avait suivi l'accident. Tous heureux d'avoir le bac en poche, ils profitèrent pleinement de vacances bien méritées. Même si certains – la plupart – bossaient pour se payer leurs études ou s'offrir quelques plaisirs, ils se retrouvaient sur la plage quasiment tous les soirs et les week-ends. Seul Maxime restait chez lui le plus souvent. Et quand il venait, il avait la tête ailleurs. Il est vrai que de toute leur petite bande, il était celui qui avait choisi les études les plus ambitieuses, mais Bart s'étonna qu'il prétextât de bûcher en avance pour sa classe préparatoire pour s'isoler, ça ne lui ressemblait pas. Un jour, alors que Maxime avait une énième fois refusé de se joindre à eux, Bart décida de le confronter. La soirée de la veille n'était pas anodine, il s'agissait de fêter l'anniversaire des jumeaux Moreno, et personne n'avait compris qu'il ne se présente pas.
Bart lui serina à quel point il avait brillé par son absence et insista lourdement sur le fait que Jessica avait été profondément blessée que son ami ne participe pas à la fête. Maxime s'était senti « comme une merde » – c'étaient ses mots – et avait pris sa tête entre ses mains, incapable de cacher plus longtemps à son ami l'état de détresse dans lequel il était plongé.
Au départ il expliqua être en pleine rupture amoureuse, à quel point s'était difficile et ô combien il souffrait. Mais Bart ne comprenait pas. Comment pouvait-il rompre alors qu'il n'avait pas de petite amie ? De quoi parlait-il ? Maxime s'embourba dans ses explications. Il finit par tout avouer. Il raconta la double vie qu'il menait depuis quelques mois. Parla de Clémentine. Bart fut horrifié. Son ami prétendait avoir vécu les plus beaux moments de sa vie, pourtant il était dévasté. Bart pensa à Garance, qui sûrement ne se doutait de rien, puisqu'il lui arrivait encore parfois de flirter avec Max, pour s'amuser. Comment avait-il pu ?
Maxime fit promettre à Bart de ne rien dire, à personne. Puisque visiblement l'idylle était terminée, et puisqu'il savait – par Garance – que madame Doucet quittait Sète, Bart consentit à tenir sa langue.
Mais depuis ce jour il tenait Clémentine responsable de l'errance de Maxime les années qui suivirent.

Effet boomerang  (Demain nous appartient - Clemax - ROMAN)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant