18. Pikorua

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Clémentine ne s'était jamais autant absentée de la salle. Elle devait une fière chandelle à Éric, qui une fois encore la remplaça au pied levé. Elle en était à son troisième café quand Maxime sonna, il était pourtant venu directement de l'école ; il était à peine 9 h.
Contrairement à la veille, elle avait les cheveux détachés, portait un jean et un simple tee-shirt blanc joliment décolleté. Maxime vit tout de suite le médaillon au centre de sa poitrine. Il avança la main et caressa sans pudeur le bijou.
— Tu l'as toujours...
Clémentine saisit la main tremblante et, leurs doigts entrelacés, fit pénétrer Maxime dans son appartement, son univers.
Il engloba la pièce du regard. La hauteur sous plafond, le parquet en chêne et les larges fenêtres lui arrachèrent un sifflement d'admiration. Il se souvint du trois pièces sans charme qu'elle et Olivier louaient à Sète. Fonctionnel et ordinaire, il ne souffrait pas la comparaison. Ici, tout était raffiné et de belle facture. Les lourds rideaux vert forêt, l'épais tapis et le cuir véritable du canapé lui plurent. Dans une seconde moitié de la pièce, sous un énorme lustre contemporain aux lignes épurées, une large table rectangulaire en verre occupait l'espace salle à manger. Les chaises, recouvertes d'un tissu beige clair, contribuaient à donner à l'espace une légèreté qui contrastait avec le salon. En s'approchant d'une des portes-fenêtres, Maxime découvrit un petit balcon filant. Du cinquième et dernier étage de l'immeuble, le ballet incessant des voitures dans l'avenue passante en contrebas l'étourdit.
Clémentine l'observait d'un œil curieux.
— Qu'est-ce que tu fais là, Max ?
Il se retourna d'un bond.
— Tu veux que je m'en aille ? demanda-t-il, décontenancé.
— Bien sûr que non ! fit-elle en s'approchant.
Elle se colla derrière lui et posa son menton sur son épaule.
— Je veux dire à Montpellier. Qu'est-ce que tu fais en ville ? Ça te ressemble si peu, on est bien loin de la maison de tes rêves au bord de l'étang de Thau.
— Je croyais m'être perdu, confia-t-il timidement après un moment de réflexion. Mais tu es là.
Clémentine déposa un baiser sur sa joue. Il se retourna puis nicha son visage au creux de son cou et elle l'étreignit fort contre elle.

Maxime prit une profonde inspiration face à son reflet dans le miroir. Il avait prétexté un besoin pressant pour s'éclipser car il ressentit la nécessité de mettre de l'ordre dans ses idées.
Il s'était senti incroyablement bien dans les bras de Clémentine, au point de ne plus vouloir être ailleurs. Un instant il eut envie d'envoyer valser sa vie entière pour rester là à jamais. Montpellier, ses rendez-vous à Pôle Emploi, Ophélie, leur appartement de magazine. Mais Clémence. La crainte de bouleverser l'existence paisible de sa fille lui avait étrillé le cœur. Mais Clémentine. Si attentive, si sereine, si proche.
Si attirante.
En sortant de la salle de bain, il jeta avec intérêt un coup d'œil au reste de l'appartement. Son standing l'impressionnait. Derrière une porte fermée du couloir se trouvait probablement la chambre à coucher de Clémentine. Même s'il aurait bien aimé voir à quoi elle ressemblait, il s'interdit d'y entrer. En revanche la porte en face était entre-ouverte et il devina un bureau. Alors que le reste de l'appartement était parfaitement ordonné et rangé, la pièce lumineuse entièrement peinte en blanc débordait d'activité. Des livres s'empilaient pêle-mêle, certains à même le sol, de la paperasse s'entassait sur le bureau en contre-plaqué, des photos aussi, épinglées sur le mur – Garance n'a pas changé, constata Maxime. Clémentine devait y passer beaucoup de temps, il y avait de la vie dans ce bureau. Une tasse abandonnée près d'un ordinateur portable portait les traces de plusieurs thés et il remarqua aussi une paire de lunettes. Un élément encadré au-dessus du bureau attira plus particulièrement son attention. Piqué de curiosité, il poussa la porte en grand et s'approcha pour confirmer son impression.
— Clem ! appela-t-il.
Il s'agissait d'un dossard numéroté, obtenu à l'occasion de l'inscription pour un semi-marathon, celui de Sète. Maxime le reconnut car c'est lui qui était allé le retirer. C'était après l'accident. Clémentine ne marchait plus, mais il les avait inscrits tous les deux pour la course qui aurait lieu quelques mois plus tard. Il était persuadé qu'elle s'en sortirait. Mais elle était partie, et ils n'avaient plus jamais couru ensemble.
— Tu l'as gardé ? demanda-t-il lorsque Clémentine fit son apparition à côté de lui.
Elle sourit. Le bout de papier était accroché là depuis si longtemps qu'elle ne le voyait plus. Pourtant il était précieux à ses yeux.
— C'est un des plus beaux cadeaux qu'on ne m'ait jamais fait.
Maxime la fixa avec de grands yeux, surpris. Se moquait-elle ?
— Vraiment ! insista Clémentine. C'était la preuve que tu croyais en moi. Chaque jour que j'ai supporté en fauteuil, chaque séance de rééducation passée à souffrir, tous les doutes, les peurs aussi, je les ai surmontés grâce à l'espoir que tu m'as offert. Car pour moi c'est ce que ce dossard représente, même si on n'a pas fait cette course et que je ne m'inscrirai plus jamais à un semi-marathon.
Maxime se sentit empli de fierté. Il n'avait jamais eu l'impression d'avoir autant d'importance pour quelqu'un – Clémence excepté.
Clémentine détourna son regard du dossard.
— Et toi ? N'as-tu gardé aucun souvenir de nous ?
Maxime la regarda tendrement, hésita, puis porta ses mains à son jean, dont il défit le bouton.
— Qu'est-ce que tu fais ? demanda-t-elle, médusée.
— Attends ! Regarde ! dit-il en riant.
Il abaissa son pantalon de quelques centimètres, et écarta son boxer dans le même mouvement. Clémentine ne put s'empêcher de remarquer qu'il était déjà bronzé. Le bas de son ventre était brun en comparaison avec la blancheur de la peau qu'il venait d'exposer. Mais ce n'est pas ce qu'il lui montrait. Elle découvrit, niché dans le creux de sa hanche, un petit tatouage. Elle leva les yeux vers lui, puis reporta son attention sur le dessin. Elle mourrait d'envie de s'accroupir pour le détailler de plus près et dut refréner le désir ardent de le toucher. Quand elle l'avait tenu dans ses bras, quelques minutes auparavant, elle avait failli s'abandonner à lui. Elle aurait pu lui faire l'amour sur place, tellement tous les pores de sa peau avaient réagi à la chaleur de son corps contre elle. Mais elle avait senti qu'il refusait de lâcher-prise et avait respecté le besoin qu'il avait manifesté de s'isoler un instant.
— C'est un Pikorua, expliqua Maxime.
— C'est beau !
Le symbole prenait la forme d'une simple vrille, comme un tourbillon. Clémentine ne se souvenait pas l'avoir déjà vu.
— Je me suis fait tatouer en Nouvelle-Zélande. Il représente le lien entre deux personnes, les chemins qui se sont croisés, figés pour l'éternité. Je l'ai fait pour toi.
— Maxime...
Clémentine était ébahie. Il l'avait gravée dans sa chair.
Elle aurait pu lui demander pourquoi la Nouvelle-Zélande. Il lui aurait expliqué qu'après avoir abandonné ses études il avait erré, en perdition. Alors quand Judith, sa sœur, décida de partir découvrir le monde l'année suivante, le bac en poche, il avait admiré sa volonté et l'avait suivie. Ces quelques mois furent salvateurs. Il s'oublia d'abord, se retrouva ensuite, dans les grands espaces et épaulé par Judith, qui s'y plût tellement qu'elle avait fini par obtenir un visa de travail et y séjournait toujours. Clémentine avait commencé petit à petit à sortir de son esprit, et il avait accompagné son souvenir avec bienveillance, jusqu'à ce tatouage qu'il s'était offert avant de rentrer, car il redoutait de se détacher complétement d'elle.
Mais à cet instant tout ce dont elle avait besoin, c'était de savoir que ce qu'elle ressentait pour lui était réciproque. Parce qu'elle était en train de tomber amoureuse du nouveau Maxime qu'elle découvrait, alors qu'elle était déjà éperdument éprise de celui qu'elle connaissait déjà. Elle avait envie que leurs hanches se réunissent, comme si l'encre de son tatouage pouvait la marquer aussi par transfert, pour que ce lien qu'il évoquait cesse de se distendre.
Malgré tout elle resta paralysée, mais cette fois il ne s'éloigna pas. Au contraire, il combla les quelques centimètres qui les séparaient jusqu'à ce que leurs visages se touchent, et il prit sa bouche avec autorité. Clémentine sentit ses genoux flancher et s'accrocha aux épaules de Maxime. Il glissa une main le long de sa nuque, dans ses cheveux – si doux, si familiers. L'autre appuyait dans le bas de son dos pour l'attirer davantage contre lui.
Le téléphone de Maxime vibra dans sa poche, étouffant net l'étourdissement qui les transportait.
— Ne réponds pas, implora Clémentine d'une voix blanche.
Il extirpa le téléphone de son jean avec l'intention de rejeter l'appel, mais lâcha un juron en découvrant le nom affiché sur l'écran.
— C'est l'école de Clémence.
Il s'empressa de décrocher et Clémentine s'éloigna pour le laisser rejoindre cette réalité dans laquelle elle n'existait pas.

Effet boomerang  (Demain nous appartient - Clemax - ROMAN)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant