21. Perte de contrôle

248 11 9
                                    

Clémentine ne lâchait pas les poignées du rameur. Grimaçant à chaque poussée de ses cuisses, tirant de toutes ses forces jusqu'à ce que ses biceps se gonflent. Ses lombaires la tiraillaient, elle devrait arrêter. Le souffle court, elle continua encore et encore, des gouttes de sueur éclatant autour d'elle.
— Tu lui en veux, à ce rameur ? demanda Marina, amusée par l'énergie que sa patronne déployait.
Elle l'informa que Sophie était venue déjeuner avec elle et l'attendait dans la salle de pause. Clémentine ralentit malgré elle, épuisée. Il était déjà midi ? Elle remercia Marina et se leva péniblement. Elle avala goulûment le reste d'eau dans sa gourde et s'épongea le front avec une serviette qu'elle roula ensuite autour de sa nuque avant de rejoindre son amie.
— Alors, comment vont les amours ? questionna sans discrétion Sophie. Tu as retrouvé ton Maxime ?
Heureusement, elles étaient seules dans la pièce. Clémentine n'avait pas pour habitude de dévoiler sa vie privée à ses collègues. Même si elle n'avait généralement pas beaucoup à raconter de toute façon.
Elle ignora la salade que Sophie lui tendait, pourtant sa préférée. Elle n'avait pas faim. L'humiliation de la veille lui restait en travers de la gorge.
— Oh oui, je l'ai revu !
— Et ? s'impatienta Sophie.
— Et... c'est compliqué. Je ne sais pas trop quoi penser. On a immédiatement retrouvé la même complicité qu'à l'époque, c'était merveilleux. J'avais peur qu'il y ait une gêne entre nous, tu vois, où qu'on constate qu'on avait changé. Mais non, je me suis sentie attirée par lui comme au premier jour. Et lui aussi j'en suis persuadée ! On s'est embrassés et... oh j'en ai encore des frissons !
Sophie sourit, attendant la suite. Clémentine poursuivit :
— Hier, on avait prévu de se voir chez moi. Je te passe les détails, mais finalement, je me suis retrouvée chez lui. Et sa copine nous a surpris.
— Mince, alors ! Il est maqué ? Vous faisiez quoi ? Ne me dis pas que...
— Non ! On n'a pas couché ensemble, si c'est ce que tu penses. On était tranquillement installés sur le canapé, mais bon, suffisamment proches pour qu'elle comprenne qu'il y a quelque chose entre nous. De toute façon on n'a pas essayé de lui cacher quoi que ce soit.
— Quelle idée aussi d'aller chez lui ! commenta Sophie. Il a géré comment ?
Clémentine serra les poings.
— C'est ça le problème. Mal. Il m'avait dit qu'ils étaient en pleine séparation. Mais clairement elle n'était pas au courant.
— Merde.
— Comme tu dis. Bref, je suis partie, et je filtre ses appels depuis, je suis trop en colère pour lui parler pour l'instant.
Sophie était désolée pour son amie.
— Clem... Je suis désolée de te dire ça... Mais tu croyais vraiment qu'il allait quitter sa copine pour toi ? La mère de sa fille ?
— Il avait l'air tellement sincère ! Ce qu'il y a entre nous, je ne l'invente pas, c'est certain.
Sophie n'était pas convaincue. Sa salade avalée, elle repoussa la barquette vide puis plia en quatre la serviette en papier devant elle, cherchant les mots pour ne pas blesser son amie.
— Oh, ma pauvre ! fit-elle en secouant la tête. Ecoute, c'est bien que tu l'aies revu, tu en avais besoin, mais ne crois-tu pas qu'il est temps que tu tournes cette page de ta vie ? Tu risques de te faire du mal, à t'entêter. Et puis, il y a une petite fille dans l'histoire, ne fais pas n'importe quoi !

Clémentine repartit chez elle quelques heures plus tard avec son ordinateur portable en bandoulière sur l'épaule. Initialement, elle avait prévu de plancher sur le plan de formation des nouveaux coachs de Béziers depuis son bureau à la salle, mais elle avait besoin de couper. Elle ferait quelques étirements pour soulager son dos qu'elle avait malmené, se préparerait un thé parfumé à la bergamote et s'y mettrait alors, espérons dans de meilleures dispositions.
Dans le hall d'entrée de son immeuble, elle salua chaleureusement sa voisine qui sortait d'un pas lent promener son chien, un bichon maltais joueur qui ne manquait jamais d'enrouler sa laisse autour des jambes de Clémentine. La vieille dame, toujours si gentille, lui offrit un large sourire qui lui mit du baume au cœur. Pourtant, elle n'avait pas le goût d'entamer une discussion sur le temps qu'il faisait, les petits-enfants qui ne rendaient pas assez souvent visite ou les articulations qui faisaient souffrir. Elle s'éclipsa poliment et pour une fois choisit d'emprunter l'ascenseur pour atteindre le cinquième étage.
Elle avait horreur de perdre le contrôle.
C'est pourtant ce qui est en train d'arriver, se dit-elle en fermant les yeux en attendant d'être arrivée. Elle savait que quand elle n'écoutait pas son corps comme ce matin, c'est qu'elle tentait d'étouffer ses angoisses, comme si la douleur physique sciemment provoquée pouvait prendre le pas sur la souffrance émotionnelle.
Pourquoi s'évertuait-elle à tout gâcher ? Son idylle avec Maxime lui avait coûté son mariage. Et voilà qu'elle s'apprêtait à recommencer ? Il n'était peut-être pas trop tard pour sauver l'union de Maxime. Ophélie lui pardonnerait sûrement, après tout, ils n'avaient échangé que quelques baisers. Sophie avait raison. L'adorable Clémence ne méritait pas que ses parents se déchirent. Garance était adulte, quand elle avait quitté Olivier, et pourtant elle en avait souffert, alors la pauvre petite en perdrait tous ses repères. En revanche, elle ne croyait pas que Maxime se soit fichu d'elle. Elle ne pouvait pas se tromper à ce point, si ? Ses mots doux, ses gestes tendres, sa joie de l'avoir retrouvée, il ne les simulait pas, c'était impossible. Mais peut-être ne savait-il pas ce qui était bon pour lui.
Elle pensa à Maël, subitement. Ne serait-il pas agréable, au terme d'une journée si éprouvante, de l'avoir à ses côtés ? Là encore Sophie disait vrai, il serait un compagnon attentionné. Du genre à préparer le dîner avant qu'elle arrive, pour qu'elle n'ait qu'à mettre les pieds sous la table. Elle pourrait s'en satisfaire, et saurait le rendre heureux, même sans totalement lui ouvrir son cœur en retour.
Elle extirpa sa clé de son sac avant que la porte de l'ascenseur s'ouvre, et là, ses épaules s'affaissèrent. Un simple regard suffit pour réduire à néant ses nouvelles résolutions. Encore.
Maxime était là. Adossé contre la porte de son appartement, à l'attendre depuis elle ne savait combien de temps.
Huit ans peut-être.

Effet boomerang  (Demain nous appartient - Clemax - ROMAN)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant