43. Rêverie

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— A la fraiiiise !
— Comment on demande ?
— S'il-te-plaît !
— S'il-te-plaît qui ?
— S'il-te-plaît papa chériiii !
Maxime déposa un énorme bisou sonore sur la joue de sa fille, accrochée à son cou.
— Et toi ? demanda-t-il ensuite à Clémentine.
— Humm, j'hésite entre chocolat, noix de coco, pistache, fraise et rhum-raisin.
— Rien que ça ! T'en penses quoi, princesse ? Qu'est-ce qu'elle devrait choisir ? Elle peut avoir deux parfums.
— Fraise et chocolat !
Maxime interrogea Clémentine du regard.
— Vendu ! fit-elle, tout sourire.
Maxime déposa Clémence au sol pour récupérer leurs glaces et c'est tout naturellement que Clémentine s'empara de la main de la fillette, qui sautillait d'impatience. Ils s'éloignèrent de la boutique jusqu'à trouver un banc sur la promenade au-dessus de la plage. Clémence tenta de proposer qu'ils descendent plus près de l'eau, mais boule de glace et sable combinés lui valurent un « non ! » unanime de son père et Clémentine. Elle n'insista pas et se dépêcha de lécher la fraise avant qu'elle fonde en émettant un soupir de délice qui arracha un sourire à Maxime assis à côté d'elle – lui avait choisi menthe et chocolat.
Quelques minutes plus tard, Clémentine passait un mouchoir sur la bouille maculée de sorbet de Clémence. Maxime était parti à la voiture chercher leurs affaires de plage, il reviendrait les bras chargés de seaux, pelles et autres râteaux.
— Oh la la ! Tu en as mis partout ! déplora Clémentine en effaçant une dernière trace sur le nez de l'enfant. Comment on va faire ? Je vais être obligée de te jeter dans l'eau !
— Naaan ! rigola Clémence.
— Non ? feignit de s'étonner Clémentine. Tu ne veux plus te baigner ?
— Siiii ! Mais pas que tu me jettes !
— Ah !
— Papa arrive ! On y va ! s'écria Clémence dès qu'elle aperçut son père, entraînant illico Clémentine vers l'entrée de la plage.
Chacun des membres du trio se débarrassa à la hâte de ses vêtements et Maxime étala de la crème solaire sur le dos de ses deux Clem – l'une râla, l'autre savoura –, puis père et fille coururent vers l'eau en riant. Quand Clémentine les rejoignit elle découvrit à ses dépens que Clémence avait hérité de l'espièglerie de son père, tandis qu'ils se liguaient tous deux pour l'éclabousser, sourds à ses protestations.
Plus tard, le couple s'assit côte-à-côte sur leurs serviettes, leur vigilance pointée vers Clémence à genoux dans le sable à quelques mètres d'eux, affairée à concevoir une construction instable et éphémère mais néanmoins ambitieuse.
— A quelle heure tes parents nous rejoignent ? se renseigna Clémentine.
Maxime jeta un coup d'œil à sa montre.
— Bientôt.
— Il est temps qu'on parle à ton père. Tu crois que ça serait un bon moment ?
Il se tourna vers elle. Des gouttes dans son dos s'écoulaient de sa chevelure trempée et s'écrasaient sur sa serviette, les lunettes de soleil sur son nez lui donnait une allure de star de cinéma, ses longs bras s'enroulaient autour de ses genoux remontés contre sa poitrine, et ses orteils – dont le vernis rouge qu'elle avait dû poser il y a plusieurs jours s'effritait – grattaient le sable.
— Quoi, qu'est-ce qu'il y a ? demanda-t-elle, se sentant dévisagée.
Il se pencha et l'embrassa.
— Rien. Je suis heureux, c'est tout.
— Bon. On va faire en sorte de continuer comme ça, alors ! répondit-elle en se laissant aller contre son épaule.
— Clem ?
— Hmmm ?
— Je suis bien, avec toi.
Clémentine souleva le bras de Maxime et le passa au-dessus de sa tête, pour pouvoir se serrer contre lui encore un peu plus.
— Pour rien au monde j'aimerais être ailleurs, répondit-elle.
Maxime sentit une boule se coincer dans sa gorge.
— Vous êtes tout pour moi.
Elle n'avait pas besoin qu'il précise de qui il parlait. Il ne quittait pas sa fille des yeux, qui allait et venait en trottinant entre son château branlant, le bord de l'eau et leurs serviettes, quand dans son seau elle avait une trouvaille à leur montrer : un crabe, un petit coquillage nacré, un caillou en forme de cœur, et même un mégot de cigarette – que Maxime s'était empressé de lui retirer des doigts en pestant sur le manque de civisme de ses concitoyens.
— Pourquoi cette humeur mélancolique, tout à coup ? s'étonna Clémentine.
Maxime soupira un grand coup.
— Elle va tellement me manquer.
— Tu penses au mois d'août, là ? Max ! Si tu anticipes sans cesse les moments où elle ne sera pas avec toi tu ne profiteras jamais de ceux où elle est avec toi !
— Je sais... C'est juste que c'est la première fois. Ça va bien se passer, je ne m'inquiète pas, mais c'est dur.
Clémentine garda le silence. Elle n'avait rien à dire pour le réconforter. Clémence passerait le mois suivant avec sa mère et leur manquerait, mais malgré tout Clémentine se réjouissait de la tournure que prenaient les choses, car Maxime et Ophélie arrivaient à bien s'entendre, soutenus par quatre grands-parents d'enfer qui arrondissaient les angles quand il fallait et, dans l'ombre, mettaient de l'huile dans les rouages de cet engrenage qui se mettait en branle pour leur petite princesse. Elle-même avait observé ce manège de loin en se faisant la plus discrète possible. Une fois elle avait suggéré à Ophélie qu'elles se parlent, alors que la jeune femme les avait surpris en venant chercher Clémence pour le week-end une heure plus tôt que prévu – sans quoi Clémentine se serait éclipsée avant –, mais elle avait essuyé un refus catégorique et n'avait pas insisté.
— Tu sais quoi ? Nous aussi on devrait partir en vacances ! suggéra-t-elle au bout d'un moment. Un truc d'adultes, pour que tu ne regrettes pas que Clémence ne soit pas avec nous.
— Des vacances d'adultes ? C'est quoi, ça ?
— Sea, sex and sun. Des cocktails. Une eau turquoise. Et une chambre d'hôtel climatisée avec un lit king size.
Un sourire au coin des lèvres, Maxime les imagina sans peine dans ce décor, même s'il ne savait pas trop si elle était sérieuse ou non.
— On ne partirait avec rien d'autre que nos maillots de bain et une paire de tongs, renchérit-il sur le même ton.
— Une île grecque.
— Un coucher de soleil.
— Avec des olives et un verre d'ouzo.
— Et un joueur de bouzouki qui nous donne la sérénade ?
— Exactement !
— On danse jusqu'au bout de la nuit.
— Je suis obligée de m'accrocher à toi pour rentrer à l'hôtel.
— Les gens que nous croisons nous envient.
— On fait l'amour comme si c'était la dernière fois.
— Alors qu'on recommencera le lendemain.
La langue de Clémentine pointa entre deux rangées de dents parfaites quand elle lui sourit. Maxime adorait quand elle faisait ça. Ça voulait dire qu'elle était d'humeur taquine mais aussi qu'elle était heureuse. Elle déposa ensuite un baiser sur sa joue, en chatouillant d'une main sa barbe naissante.
Trêve de rêveries, Maxime remarqua du coin de l'œil que Clémence venait de lâcher sa pelle et piquait un sprint en s'éloignant d'eux, sans se soucier qu'il puisse la perdre de vue. Il se tendit d'un coup mais constata avec soulagement qu'elle avait simplement repéré ses grands-parents à l'entrée de la plage, et s'empressait d'aller les accueillir.
Chloé et Alex arrivèrent les bras chargés d'une couverture à pique-nique et d'une glacière, dont Clémence les pria de se délester au plus vite pour qu'ils puissent venir admirer sa forteresse. Pendant que Clémentine enfilait sa fine robe de coton par-dessus son maillot de bain Maxime installa un espace convivial pour l'apéritif dînatoire simple et sans façon que ses parents avaient prévu.
Quand plus tard Alex serra Clémence contre lui, emmitouflée dans sa serviette après qu'elle l'eut convaincu de partager un nouveau bain avec elle, et que Chloé eut terminé d'enduire ses jambes d'une huile solaire qui faisait briller sa peau déjà hâlée, Clémentine donna un subtil coup de coude à Maxime, comme un signal.
Il acquiesça discrètement, mais son cœur se mit à battre à tout rompre. Il se lança :
— Papa, maman, on a beaucoup réfléchi ces derniers jours avec Clémentine, et on aimerait... enfin... elle m'a proposé quelque chose...
Hésitant quant à la meilleure façon de leur annoncer leur plan, il appela Clémentine à la rescousse d'un regard. En lui prenant la main, elle l'encouragea d'un hochement de tête à peine perceptible. Mais Alex et Chloé interprétèrent la nervosité de Maxime et leur complicité d'une toute autre manière.
— Vous vous mariez ? s'exclama Chloé, les yeux écarquillés.
— Je croyais avoir réussi à te convaincre qu'il était plus sage d'attendre ! ajouta Alex.
Chloé dévisagea son mari : il était au courant ? Clémentine, elle, se tourna vivement vers Maxime.
— Quoi ? Tu veux qu'on se marie ?
— Mais non ! Enfin, si ! Mais ce n'est pas le sujet !
Le rouge monta aux joues de Maxime. Clémentine couvrit sa bouche de ses mains pour tenter de masquer sa surprise. Elle demeura ainsi figée quelques secondes avant de finalement recouvrer ses esprits, attendrie par la mine mi-contrariée, mi-vexée de Maxime.
— Oh, mon amour !
Une fois qu'ils comprirent s'être mépris, Alex et Chloé essayèrent de se faire oublier. Alex fit comprendre discrètement à sa femme qu'ils en discuteraient plus tard, car effectivement Maxime lui avait faire part de son intention de demander Clémentine en mariage et il n'avait pas eu l'occasion d'en causer avec elle, mais visiblement le moment était mal choisi pour s'étendre sur le sujet.
— Ce n'est pas comme ça que j'imaginais t'en parler, déplorait Maxime d'une voix empreinte de contrariété.
— Tu m'étonnes ! pouffa Clémentine, même si une volée de papillons s'était réveillée dans son ventre à l'évocation d'une possible officialisation de leur union.
Depuis son divorce difficile elle n'avait plus songé au mariage. Évidemment pas du temps de ses aventures sans lendemain, mais pas plus depuis qu'elle avait retrouvé Maxime. Ils n'en avaient jamais parlé, et ils n'avaient certainement pas besoin de cela pour se prouver leur amour, ou le prouver à quiconque, alors ça ne lui était pas venu à l'esprit. Elle s'étonna néanmoins de trouver l'idée excitante. Maxime, lui, était choqué pas sa réaction amusée.
— Mais ne te moques pas ! se plaignait-il. C'est nul !
— Pardon, pardon ! Oublions, alors ! On en parlera plus tard ! s'excusa-t-elle en se couvrant les oreilles pour faire mine de n'avoir rien entendu, et, pour se faire pardonner sa maladresse, elle glissa ensuite sa main derrière la nuque de Maxime pour l'attirer à elle et lui offrir un franc baiser salé, en dépit de la présence de Chloé et Alex qui les observaient à la dérobée.
Dépité, Maxime secoua la tête quand ils s'écartèrent l'un de l'autre, mais il ne put s'empêcher tout de même de sourire à demi. Ce n'était pas une vraie demande, Clémentine n'avait pas dit « oui », mais elle était heureuse. Il le savait. Parce que son sourire la trahissait. Parce que le baiser qu'elle venait de lui donner s'ouvrait sur un monde de promesses. Et parce que son regard.
Le raclement de gorge d'Alex qui leur tendait à tous deux un verre de vin blanc encore idéalement frais les reconnecta à la réalité, alors que Chloé coupait en quartiers des citrons juteux qu'elle disposa ensuite sur les huîtres qu'ils avaient apportées. Ils allaient se régaler.
Avant d'enfin dévoiler à ses parents leur projet, Maxime leva son verre.
— A l'amour ! proposa-t-il.
— A vos merveilleuses huîtres ! renchérit Clémentine en en saisissant une.
— A la famille ! déclara enfin Alex.
Leur joie de vivre sautait aux yeux. Tous profitaient sereinement de la simplicité de l'instant. Clémentine comprit que bien peu d'explications seraient nécessaires, finalement.
Tout était dit.

Effet boomerang  (Demain nous appartient - Clemax - ROMAN)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant