27. Le pour et le contre

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Maxime passa les jours suivants à étudier ses options. Il prenait très au sérieux la menace à peine voilée d'Ophélie de partir en emmenant Clémence avec elle. Toutefois elle n'en avait pas reparlé, et se comportait comme s'il ne s'était rien passé, ce qui le déstabilisait grandement. Il y avait de grandes chances qu'elle ait parlé sous le coup de la colère.
Mais il préférait tout de même assurer ses arrières.
D'un côté c'est Ophélie qui faisait vivre le ménage avec son salaire, mais de l'autre c'est lui qui s'occupait de Clémence au quotidien. Rompre l'harmonie de leur petite famille lui crevait le cœur. Plus d'une fois il se dit qu'il faisait une bêtise, et qu'il ferait mieux de retrouver le droit chemin. Pour le bien-être de sa princesse.
Et puis alors il pensait Clémentine, et son cœur explosait dans sa poitrine. Renoncer ? Une seconde fois ? Impossible. C'était au-dessus de ses forces. Il avait énormément souffert quand elle était partie – pour sa rééducation d'abord, de Sète ensuite –, c'était peu de le dire. Il avait connu la détresse émotionnelle, la douleur, physique même, lorsque le matin il ne parvenait pas à sortir de son lit, comme si une enclume pesait sur sa cage thoracique et l'empêchait de respirer.
Combien de fois avait-il songé à tout plaquer pour la rejoindre, où qu'elle fût ? Ne pas savoir comment elle allait le rendait fou. Mais il était si jeune alors ! Le handicap de Clémentine l'effrayait. L'idée qu'elle ne puisse plus marcher, encore moins courir, le déroutait. Olivier était omniprésent. Il prévoyait des travaux dans leur appartement pour qu'elle puisse s'y sentir à l'aise avec son fauteuil roulant. Il était à l'hôpital, assurait ses cours au lycée, s'occupait de Garance. Il répétait à sa femme qu'il l'aimait, qu'il l'avait épousée pour le meilleur et pour le pire, et que même si c'était difficile ils s'en sortiraient. Ensemble. Alors Maxime n'avait rien fait. Que Clémentine demande le divorce n'avait rien changé. Il restait démuni face à ses blessures. Il ne supportait pas de la voir diminuée, car dans sa tête repassait en boucle le scénario de l'accident. Il retournait les événements dans tous les sens, mais il arrivait toujours à la même conclusion : s'il ne l'avait pas sortie du bus, s'il avait été plus délicat, s'il avait attendu les secours, alors peut-être que ça n'aurait pas été si grave.
Son séjour néo-zélandais avait été providentiel. Sans ces quelques mois Dieu seul sait jusqu'où il aurait sombré. Parfois il se plaisait à imaginer qu'il avait confié son amour pour Clémentine à Judith, qui de là-bas veillait dessus. Pourtant il n'avait rien révélé de précis à sa sœur, gardant pour lui l'intensité de cette passion folle qui l'avait terrassé comme une tornade balaie tout sur son passage. Tant qu'il était resté dans l'œil du cyclone, il avait été heureux, et puis il n'était resté que les débris.
Il devrait sans doute fuir. Eviter à tout prix de réveiller ces plaies qui avaient mis si longtemps à se refermer. Il se sentait perdre pied.
La douleur, la culpabilité, le manque, la promesse.
Mais il avait tout oublié quand leurs regards s'étaient croisés, après tant d'années.
Le soulagement, l'envie, l'espoir.
Pour son bien, pour celui de Clémence. Celui de Clémentine peut-être aussi, il était vital qu'il prenne du recul.
Il tenait à faire les choses bien. Dans l'ordre. Il avait déjà donné son cœur à Clémentine, lui disant « je t'aime » avec une évidence déconcertante, et avant d'accepter son amour en retour il souhaitait rendre à Ophélie cet autre cœur qui avec lui ne palpitait plus.

Les roues de la voiture de Clémentine crissèrent sur le gravier blanc de l'allée du domaine lorsqu'elle y pénétra. Elle se gara et sortit du coffre le sac à dos qu'elle avait emporté. Il ne contenait que le strict nécessaire, car elle n'avait pas l'intention de s'éterniser. Une nuit seulement, et elle rejoindrait Victor à Béziers. Si son dos allait mieux. Sinon, elle s'épargnerait la route et rentrerait chez elle. Elle souffrait déjà du court trajet jusqu'au domaine, qui pourtant n'était qu'à une vingtaine de kilomètres de Montpellier.
La propriétaire des lieux, une longue femme élégante avec un léger accent scandinave, vêtue d'une tunique beige lui arrivant juste au-dessus des genoux et de sandales de cuir brun, l'accueillit avec un sourire radieux.
— Bonjour ! Clémentine, c'est ça ? Venez ! Je vais vous montrer la chambre que je vous ai réservée ! J'espère que ça ira, elle est plus petite que le gîte que Victor m'a demandé et qui offre de meilleures prestations mais malheureusement il est occupé...
Clémentine explosa de rire.
— Je suis sûre que ça sera très bien ! Je suis déjà ravie que vous puissiez me recevoir ainsi à la dernière minute !
— Vous avez de la chance, à partir de la semaine prochaine nous sommes complets pour toute la haute saison !
Elles passèrent la bâtisse principale de la propriété et s'arrêtèrent devant une ancienne longère. Des roses trémières grimpaient le long du mur en pierre, ondulant le long des volets peints en vert.
— Voilà, c'est ici ! La maison est divisée en deux espaces indépendants. Il y a un couple à côté, et vous, vous pouvez vous installer ici.
Clémentine découvrit avec satisfaction une petite pièce pleine de charme. Les murs étaient blanchis mais laissaient apparaître quelques pierres anciennes, des poutres irrégulières barraient le plafond. Le mobilier était entièrement en bois ou recouvert de matières naturelles : du lin pour les rideaux, du coton gris clair pour les chaises et le canapé, même la suspension qui surplombait la pièce était faite de bois flotté.
— C'est parfait.
Après le départ de son hôtesse, Clémentine se déchaussa et s'affala dans le canapé du séjour avec le roman qu'elle avait apporté. Elle comptait bien profiter de sa soirée pour se relaxer, elle l'avait promis à Victor. Peut-être même qu'après dîner elle irait faire un tour dans le jacuzzi mis à disposition des hôtes.
Demain elle se préoccuperait des choses sérieuses.
Demain elle téléphonerait à l'hôpital pour enfin prendre rendez-vous avec son chirurgien. Ça ne l'enchantait guère mais elle ne pouvait plus reculer, au risque d'aggraver son cas. Pourquoi ça m'arrive maintenant ? gémit-elle.
Elle lut un chapitre ou deux. Après quelques pages supplémentaires elle revint en arrière dans sa lecture ; elle n'avait rien mémorisé. Elle pensait à Maxime. Ils s'étaient contentés de quelques messages ces derniers jours, qui lui avaient laissé un goût amer. Pourtant il lui disait qu'il l'aimait. Mais il ne parlait pas d'Ophélie, ne parlait pas de leur avenir. C'est elle qui avait préconisé qu'ils prennent leur temps, alors elle ne lui reprocha rien, mais elle n'avait pas envisagé les choses comme ça.
Sans prévenir, les muscles de son dos se contractèrent et elle se tordit de douleur. Foutu karma, se dit-elle. Elle ne pouvait pas s'empêcher de penser que c'était une drôle de coïncidence que sa vieille blessure refasse surface en même temps que Maxime. La première fois elle avait refusé de lui faire subir toutes les contraintes que sa situation engendrait : le fauteuil roulant, les séances chez le kiné, les baisses de moral... Et voilà que l'ombre du handicap planait de nouveau sur elle.
Hors de question de lui faire traverser cette épreuve, décida-t-elle. Finalement, elle se reposerait plus tard. Elle contacta sur-le-champ le secrétariat de l'hôpital et obtint un rendez-vous deux mois plus tard.
Deux mois. Ça va être long, se dit-elle. Mais tant qu'elle courrait le risque de finir sa vie en fauteuil roulant ce n'était pas plus mal qu'elle se tienne à distance de Maxime, tout compte fait. Ça lui laisserait aussi le temps de tirer au clair ses histoires de couple. Et puis, s'il n'était pas prêt à l'attendre, mieux valait tourner la page tout de suite, tant qu'il ne s'était rien passé d'irrémédiable.
Elle lui envoya un message pour lui demander de ne pas précipiter les choses avec Ophélie. Qu'il réfléchisse bien. De son côté elle avait besoin de prendre du temps pour elle, quelques semaines tout au plus. Elle ne lui précisa pas son état de santé. Même s'il avait été témoin d'une crise il ne suspectait pas l'ampleur des dégâts et elle ne tenait pas à ce qu'il la découvre.
Avant qu'une réponse ne lui parvienne, son téléphone se mit à vibrer, comme à l'agonie, avant de complétement s'éteindre. Elle pesta puis chercha en vain son chargeur dans son sac et dut se rendre à l'évidence : elle l'avait oublié. Eh bien, au moins je vais vraiment déconnecter ! se dit-elle.

Effet boomerang  (Demain nous appartient - Clemax - ROMAN)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant