37. Le mas

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La table enfin mise, Chloé vérifiait encore ses préparations, et Clémence négociait avec son père la place entre Chloé et son grand-père, sous l'œil enchanté de Clémentine qui ne se lassait pas de voir évoluer la fillette. La discussion avec Chloé l'avait complétement détendue. Elle abordait l'avenir avec sérénité. Pour la première fois depuis qu'Olivier lui avait passé la bague au doigt elle avait envie de construire quelque chose. Un nouveau cocon, avec l'homme qu'elle aimait et une belle-fille à élever. Il était bien trop tôt, mais elle souhaitait rencontrer Ophélie un jour, pour que la jeune maman sache qu'elle veillerait sur sa fille, chaque instant qui lui était donné de partager avec elle.
Seule ombre au tableau, le spectre de l'opération qui l'angoissait terriblement. Mais les raideurs de la matinée s'étaient dissipées et peut-être s'était-elle précipitée en s'équipant de sa béquille, en tout cas elle essaya de s'en convaincre.
— Papa vient de m'envoyer un message, il va être en retard, et nous dit de commencer sans lui, annonça Maxime.
— Oh, non ! déplora Chloé, toutefois sans paraître surprise.
— Tu veux qu'on l'attende ? Je peux faire manger Clémence.
— Non. Dieu seul sait à quelle heure il arrivera...
— Il travaille toujours le dimanche ? interrogea Clémentine.
— Il travaille tous les jours, répondit Chloé, amère.
Pressentant un sujet sensible, Clémentine n'insista pas. Maxime lui confirma d'un regard implorant qu'il valait mieux ne pas poursuivre la conversation dans cette voie. Tous les membres présents de la petite famille se retrouvèrent alors dans la véranda et puisqu'Alex n'était pas là, Clémence exigea que Clémentine s'assoie à sa droite. Ils déjeunèrent ainsi paisiblement tous les quatre, Chloé demanda des nouvelles de Garance – qu'elle avait eu comme élève –, et Clémentine s'enquit de Judith. Maxime observa avec curiosité et un plaisir certain les deux amies se réapprivoiser prudemment. Au bout d'un moment, il reporta son attention sur sa fille :
— C'est bon, tu as fini ? lui demanda-t-il, pressé de mettre l'énergumène à la sieste.
Clémence goba une énième fraise mais hocha la tête.
— J'y vais ! proposa Chloé en tendant une main ferme à sa petite-fille qui la saisit avec bonheur.
Se retrouvant tous les deux, Maxime et Clémentine se regardèrent avec profondeur, le même sourire complice sur les lèvres.
— Café ? proposa Maxime.
— Volontiers !
Ils se levèrent et rapportèrent dans la cuisine les reliefs de leur repas. Maxime prépara le café, Clémentine remplit le lave-vaisselle, parfaitement à l'aise. La dernière assiette logée, elle referma la porte, se redressa, et s'aperçut que Maxime scrutait le moindre de ses gestes.
— Je t'aime, dit-il.
— Parce que je débarrasse ? pouffa Clémentine.
En secouant la tête, il l'attira contre lui et goûta avec délice ses lèvres fruitées.
— Sérieusement ?
Derrière eux, Alex venait de rentrer chez lui. Encore une fois ils ne l'avaient pas entendu. En rigolant, Clémentine cacha son visage dans le cou de Maxime.
— On n'est même pas désolés ! déclara ce dernier en nouant ses mains autour de la taille de Clémentine.
— Aucun respect pour ton vieux père ! blagua Alex.
— Tu ne crois pas si bien dire, si Clem ne m'avait pas retenu, je ne t'aurais même pas laissé une part du gratin de maman !
Maxime et Clémentine emportèrent leur café dans le jardin, suivis d'Alex qui, affamé, enfila son repas en deux temps trois mouvements. Il avait l'air d'avoir besoin d'une sieste tout autant que sa petite-fille.
— Je suis désolé pour ce matin, j'avais une commande à préparer à la dernière minute, expliqua-t-il à Clémentine, en passant une main dans sa chevelure poivre et sel déjà hirsute.
Elle balaya les excuses d'une main.
— Ne t'inquiète pas, j'ai cru comprendre que tu bossais beaucoup.
Chloé arriva quelques minutes plus tard et rassura Maxime, Clémence dormait déjà, ils disposaient d'un peu de tranquillité. Elle sourcilla en s'apercevant que la discussion portait sur le mas. Max et son père n'étaient toujours pas d'accord. Clémentine n'ignorait rien des intentions de Maxime, et elle le soutenait dans son désir de rejoindre l'entreprise familiale, mais en voyant Alex exténué elle prit peur. Chloé n'arrangeait pas les choses. Elle avait baissé les bras et n'attendait qu'une chose : qu'ils se débarrassent au plus vite du mas dans les meilleures conditions possibles. Elle l'expliquait à Maxime.
— Je ne veux pas que tu t'épuises comme ton père ! Tu pourrais faire autre chose !
— Mais justement ! Si on est deux il pourra souffler !
— Fils, je ne gagne presque rien, je pourrai à peine te payer et on ne parle plus d'un job d'appoint, là, qu'est-ce que tu as à espérer de ce boulot !
— Plein de choses ! Si on innove on peut redresser la barre, j'en suis sûr !
— Toi, tu en penses quoi ? demanda soudain Alex à Clémentine.
Elle était restée en retrait jusqu'ici mais fut touchée que son avis importe à Alex. Elle se redressa sur sa chaise. Maxime et ses parents la regardaient tous trois impatiemment. Elle répondit prudemment :
— Eh bien, je comprends que ça soit difficile et je ne connais pas assez ton quotidien pour juger, mais d'après ce que me dit Max j'ai envie d'y croire. Et puis, si Victor est intéressé, c'est qu'il y a un vrai potentiel !
Alex renâcla.
— Il a encore essayé de me joindre vendredi, celui-là, je ne l'ai pas rappelé. Je ne serais pas étonné qu'il débarque au mas demain à la première heure pour avoir ma réponse.
— Je lui fais entièrement confiance, précisa Clémentine. Si tu penses que tu es arrivé au bout de ce que tu peux faire avec ton exploitation, tu devrais accepter sa proposition et la lui vendre.
— Quoi ? Tes sérieuse, là ? s'offusqua Maxime, n'en croyant pas ses oreilles.
Clémentine l'ignora et continua de s'adresser directement à Alex :
— Es-tu prêt pour cela ? Ou crois-tu que Maxime mérite une chance d'essayer ? Il a plein d'idées ! Avec ton expérience et son énergie vous pourriez accomplir de grandes choses !
— Très bien ! Mais les idées ça ne suffit pas, on n'a aucune trésorerie pour entreprendre quoique ce soit !
Maxime se tourna vers Clémentine, rassuré quant à son soutien. Il enchaîna :
— J'aimerais que Brunet...
— Victor !
— ... Victor nous prête de l'argent, plutôt que de racheter l'entreprise en nous mettant dehors, dit-il.
Clémentine jaugea la proposition, qu'elle ne trouva pas si bête. Ils ne manquaient pas de savoir-faire, seulement de financements pour se développer et puisque les banques fermaient toutes leurs portes...
— Ça te paraît être une bonne idée, Alex ? s'enquit-elle.
Le chef d'entreprise haussa les épaules, il ne savait plus quoi penser. Son cœur allait au mas, mais celui-ci sapait toute son énergie, et Chloé n'en pouvait plus de le voir s'épuiser jour après jour. C'est certain qu'il ne tiendrait pas longtemps à ce rythme, il était résigné, mais avec Maxime il y avait-il une autre issue possible ? Rien ne le rendrait plus fier que de transmettre un jour les commandes de l'exploitation à son fils. Toutefois il craignait de l'embarquer dans une situation empoisonnée, et il ne savait pas s'il pouvait se fier à l'avis de Clémentine, mais il s'entendit répondre par l'affirmative. Au fond, même si ça le consumait à petit feu, il ne demandait rien d'autre que de pouvoir continuer à exercer son activité qu'il aimait tant.
— Et Victor, il en pense quoi ? demanda Clémentine, cette fois à Maxime.
— Je n'en sais rien, avoua-t-il, je ne sais même pas si c'est quelque chose qui l'intéresserait.
Le téléphone d'Alex vibra sur la table devant eux, et Clémentine reconnut justement le numéro de Victor s'afficher. Alex ne mentait pas quand il disait être harcelé par l'homme d'affaires !
— En parlant du loup... Sérieusement, un dimanche ? se scandalisa-t-il.
— Tu n'es pas le seul à travailler non-stop, commenta Clémentine, je parie qu'il n'a même pas fait attention à quel jour on est. Je peux ? demanda-t-elle en montrant l'appareil qui s'excitait toujours sous leurs yeux.
C'en était trop pour Chloé, que les manières et l'insistance de Victor exaspéraient, alors elle préféra retourner à l'intérieur attendre que Clémence finisse sa sieste. Alex fit une grimace que Clémentine prit pour un oui et elle décrocha.
— Bonjour Victor ! fit-elle avec entrain tout en activant le haut-parleur.
Un silence s'ensuivit, ils devinèrent que Victor vérifiait qui il avait appelé. Clémentine rigola, ce qui acheva de convaincre Victor qu'il avait bien entendu.
— Clem, c'est toi ?
— Oui, je suis chez les Delcourt, et on parlait justement de toi !
Maxime et Alex manifestèrent un bonjour forcé, la perspective de la conversation à venir les enchantait moins que les deux associés.
— Tu ne perds pas de temps à ce que je vois ! Vous disiez quoi ? Tu leur vantais mes innombrables qualités ?
— Exactement ! Mais tu pars de loin, là, la patience, tu connais ? On est dimanche, Victor !
— C'est juste, mais je me demandais où Alex en était de sa réflexion, je ne pouvais pas savoir que tu serais là. Ça ne te suffit pas d'avoir usé de tes charmes pour me convaincre de revoir mon offre, maintenant tu le fais hésiter ?
Maxime s'agitait. Il n'aimait pas, mais alors pas du tout l'attitude de Victor envers Clémentine, empreinte de familiarité. Le ton de prédateur-séducteur qui allait avec n'arrangeait rien. Et puis surtout, Clémentine mordait à l'hameçon allègrement, et flirtait carrément. Quand elle finit de rigoler – niaisement, selon Maxime –, elle proposa à Victor qu'ils se rencontrent le lendemain puisqu'elle serait toujours à Sète, Maxime et Chloé ayant réussi à la convaincre de consulter à l'hôpital.
— Demain je ne peux pas, déclina Victor, mais passe au bureau en fin d'après-midi, il y a autre chose dont il faut que je te parle, ça tombe bien.
Clémentine raccrocha sans en savoir plus mais confiante, et se retrouva face aux deux hommes Delcourt, bougons et défaitistes. Le premier parce qu'il craignait toujours de se faire entourlouper par Brunet, mais le second ?
Elle observa Maxime tandis qu'Alex emportait la tasse de café que Chloé lui avait servie et se traînait jusqu'à la maison.
— Ça va ? demanda-t-elle alors à Maxime, qui avait perdu toute la verve qu'il avait exprimé quelques minutes plus tôt au sujet de ses plans d'avenir pour le mas.
— Oui, oui ! fit-il en calquant un sourire froid sur son visage.
Il déposa sur ses lèvres un baiser rapide qui ne la convainquit pas. Elle s'apprêtait à insister, mais il fut sauvé par l'arrivée de Clémence dans le jardin, tout juste réveillée et avide des bras de son père.

Effet boomerang  (Demain nous appartient - Clemax - ROMAN)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant