I.IX « La traversée du Styx »

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A Poudlard, les choses s'étaient emballées après l'attaque de l'hydre. La nouvelle qu'Aéla s'était perdue dans la forêt interdite en tentant de fuir le monstre avait fait le tour de l'école et lui avait valus quelques semaines de moqueries de la part de ses camarades. Pourtant, au contraire de d'habitude, la jeune fille ne releva aucune remarque. Elle était bien trop préoccupée par sa dispute avec Tom qui commençait à prendre des proportions énormes. Ils ne s'étaient plus reparlés depuis ce fameux jour où il s'était emporté contre elle devant le portrait du Cavalier-sans-tête. Pourtant, de temps à autre, les deux enfants se glissaient des regards en coin sans jamais prendre l'initiative de s'adresser la parole. Tom était bien trop fier pour faire le premier pas et Aéla avait bien trop peur de brusquer le garçon pour le faire également. Pour eux, la situation semblait immuable et ce fut ainsi que les vacances de Halloween arrivèrent, sans qu'ils ne s'en rendent compte.
Aéla ne voulait pas le montrer mais elle redoutait plus que tout les vacances qui s'annonçaient. Elle avait peur de se retrouver seule, sans avoir un cours de Potion ou d'Histoire de la Magie pour combler cette solitude. Son angoisse grandit d'autant plus lorsqu'elle vit Dumbledore s'approcher d'elle alors qu'elle prenait son petit-déjeuner, seulement séparée par trois garçons de Tom.

Bonjour, Aéla ! fit Dumbledore d'un ton jovial. Tout va bien ?
Oui... Mais j'aime pas le pudding aux baies de Mubble !
Moi non plus ! échappa Albus dans un rire franc. Mh. Aéla, peux-tu me suivre jusque dans mon bureau ? J'ai quelques petites choses à te dire, ainsi qu'à Tom !

La jeune fille acquiesça, désormais totalement inquiète tandis que Dumbledore s'approchait de Tom pour lui dire la même chose. Qu'est-ce que Dumbledore avait de si important à leur dire pour leur demander de le suivre jusqu'à son bureau ? Aéla ne se leva du banc que lorsque Tom en fit de même et suivit son camarade et son professeur jusqu'au bureau de celui-ci, d'un pas mal assuré.
Alors que Dumbledore prenait place derrière son bureau, Tom s'assit sur un fauteuil en face, droit comme un « I ». Aéla, quant à elle, attendit que Dumbledore l'invite à prendre place sur un siège avant de s'asseoir sur le bord de celui-ci. Le professeur observa les deux enfants pendant un instant avant de s'éclaircir la gorge. Comment allait-il amener le cœur du sujet ?

Les enfants, vous savez que les vacances de Halloween sont l'un des rares moments où les élèves de l'école peuvent rentrer chez eux, n'est-ce pas ? demanda maladroitement Dumbledore
Oui ! Sauf qu'on a pas de chez nous ! répliqua Tom, acerbe.
Et bien justement, il se trouve qu'il y a un petit changement, surtout pour toi, Aéla.

La jeune fille se sentit blêmir d'un seul coup alors que Tom osa un regard en coin vers elle.

Le Ministère a cru bon de te trouver une famille d'accueil pour les vacances. Ceux-ci ont été inspectés et s'avèrent être très aimables ! Ils sont prêts à t'accueillir dès ton arrivée à King's Cross.
Attendez ! coupa Tom. Vous voulez dire que l'on va être séparés ?
Oui. Aéla ira chez les Hungard, quant à toi Tom, tu resteras à l'école pour les vacances.
Mais pourquoi ?
C'est une décision qui vient du Ministère, expliqua maladroitement Dumbledore. C'est lui qui gère les affaires des élèves boursiers. Ses décisions sont irrévocables.
Mais ce sont de MAUVAISES DÉCISIONS ! s'emporta le jeune garçon.

L'éclat de voix de Tom eut pour effet de faire éclater Aéla en pleures. Complètement hors de lui pour une raison qui lui échappait, il sortit du bureau de Dumbledore en fulminant plus que d'habitude. La jeune fille quant à elle, n'avait même plus la force de se lever. La nouvelle de Dumbledore lui avait sciée les jambes. Elle aurait préféré, de très loin, rester à Poudlard pour les vacances !
Dumbledore, sensible à la détresse qu'il percevait dans les yeux de la jeune fille, s'agenouilla à sa hauteur.

Je sais que ça sera difficile ! compatis Dumbledore. Mais sache qu'au moindre problème, tu peux toujours venir me voir.
Je sais ! Mais j'ai peur d'être toute seule.
Tu ne seras pas seule ! rassura Albus avec un étrange sourire. J'ai quelque chose pour toi !

Le professeur se releva et partit farfouiller dans ses nombreux tiroirs jusqu'à trouver un vieux miroir de poche en argent. Il tendit le magnifique objet à Aéla qui n'osa le prendre que du bouts des doigts.

C'est un réflecteur. Si Poudlard te manque, il te suffiras de regarder le miroir et le bien-être que tu ressens à l'école t'envahira.

Aéla observa l'objet un bref instant, pas certaine que cela suffirait à calmer son angoisse mais elle ne voulait pas embêter Dumbledore davantage. Elle sécha ses larmes et s'essaya à un sourire tordu.

Merci !
Bien. Il est temps maintenant de rejoindre Pré-au-lard !

Dumbledore se redressa et tendit sa main à Aéla qui la saisit sans réfléchir, ayant une confiance aveugle en son professeur de Métamorphose. Une fois de plus, elle sentit ses pieds décoller du sol comme si elle était aspirée par une force supérieure, avant de retrouver brutalement la fermeté de la terre. Pourtant, cette fois-ci elle n'eut pas envie de vomir mais sentit un léger malaise.

J'ai entendu dire que le transplanage du professeur Dippet avait été un peu brutale, lâcha Dumbledore dans un rire. J'espère que le mien était moins brusque ?
On peut dire ça.
Tout est une question d'habitude ! Bien, il est temps de monter dans le train !

Aéla resta abasourdi un instant. Devaient-ils déjà partir ? Il est vrai que certains élèves se pressaient sur le quai pour rejoindre à temps leur compartiment mais la jeune fille ne les avait même pas remarqué. Une fois de plus, elle sentit les larmes envahirent ses yeux. Elle aurait tant voulu dire au revoir à Tom ! Dumbledore posa une main compatissante sur son épaule.

Ne t'inquiètes pas, Aéla ! Ce n'est l'histoire que de deux semaines ! Tom sera toujours là à ton retour. Tu le sais, n'est-ce pas ?
Oui, signa Aéla, sans conviction.

Dumbledore offrit un de ses fameux sourire réconfortant à la jeune fille avant de l'entraîner dans le Poudlard Express. Ils s'installèrent dans un wagon où des élèves de Poufsouffle s'amusaient avec des sorts de farces. Cependant, ils s'arrêtèrent immédiatement en voyant l'un de leurs professeurs s'asseoir parmi eux. Dumbledore, qui n'était le dernier pour faire des blagues, sortit sa baguette et jeta quelques sortilèges qui firent rire tous les enfants. Même Aéla échappa deux ou trois filets de rires cristallins avant de s'endormir, la tête posée contre la vitre.

King's Cross était toujours aussi fascinante que la première fois où Aéla y avait mis les pieds, deux mois auparavant. Le quai était en pleine effervescence et grouillait de vie. La jeune fille ne savait même plus où regarder tant il y avait de choses à voir. Devait-elle s'attarder sur les voituriers aux costumes multicolores qui déchargeaient leur malle ? Ou bien sur la centaine d'élèves qui cherchaient leurs parents en beuglant comme des forcenés ? Elle aurait tant aimé noyer son anxiété dans la contemplation de ce spectacle mais Dumbledore l'entraînait déjà à l'autre bout de la voie, vers un endroit à l'écart de tout ce remue-ménage étonnant.
Là, assis sur un banc, un couple aux vêtements ternes et lugubres attendaient patiemment. Dès que Dumbledore se présenta devant eux, ils se levèrent en dévisageant Aéla d'une étrange manière. La jeune fille eut le réflexe de resserrer son emprise sur la main du professeur.

Bonsoir, professeur Dumbledore ! salua l'homme avec un sourire aux dents jaunes.
Bonsoir à vous !
C'est l'enfant ? demanda la femme en examinant Aéla.
Oui. Monsieur et Madame Hungard, voici Aéla Wayne ! Aéla, voici les Hungard ! C'est chez eux que tu passeras tes vacances désormais.

La jeune fille n'osait pas faire le moindre geste. Le regard de vautour de la femme ne lui inspirait pas plus confiance que les doigts crochus de son mari. Elle se retourna vers Dumbledore, une folle lueur de désespoir dans les yeux.

Je veux rentrer à l'école ! S'il vous plaît !

Dumbledore esquissa un faible sourire avant de s'agenouiller à la hauteur d'Aéla.

C'est impossible, mon enfant. Ne t'inquiètes pas ! Tout se passera bien.
Y a t-il un problème, professeur ? demanda la femme.
Je crois que la petite Aéla est intimidée par ce changement.
Ah ! souffla l'homme comme s'il s'en fichait. Pardonnez-moi de vous poser cette question mais le Ministère nous a donné très peu d'informations sur la petite : qui étaient ses parents ?
De charmants moldus !

La voix enthousiaste de Dumbledore trancha brutalement avec les visages figés des Hungard. Leurs regards naviguèrent entre Aéla et le professeur pendant quelques secondes avant que la femme n'échappe un rire forcé.

Bien ! Je crois que nous n'avons plus de questions et comme il commence à se faire tard, je crois que nous ferions mieux d'y aller !
Oui, c'est une bonne idée ! renchérit son mari comme pour lui-même.
Bien. Je ne vais pas vous retenir plus longtemps ! céda Dumbledore.

Dumbledore posa une main sur l'épaule d'Aéla avant de se laisser aller à la prendre dans ses bras. Bien que les décisions du Ministère ne pouvaient être contre-dites, le professeur de Métamorphose était déchiré par le regard de la jeune fille qui l'implorait de la ramener avec lui à Poudlard. Il n'oserait pas certifier que les Hungard inspiraient la plus grande confiance, mais s'ils avaient représentés le moindre danger pour l'enfant, le Ministère ne les aurait jamais chargé de veiller sur elle.

On se reverra dans deux semaines, d'accord ?

La jeune fille n'eut assez de forces que pour hocher la tête. Elle était aux bords des larmes mais ne voulait pas se montrer faible devant des gens qu'elle ne connaissait pas.
Dumbledore s'éloigna après un dernier regard et transplana alors que la femme attrapait la main d'Aéla pour la tirer vers la sortie sorcière de la gare. Sa main était rugueuse, moite et serrait si fort celle d'Aéla que la jeune fille crut qu'elle allait en perdre l'usage. Après avoir chargés sa valise avec le moins de soin possible, ils prirent place à bord d'une voiture moldue ensorcelée qui semblait venir d'un autre temps. Alors que le véhicule s'engageait tout seul dans le trafic de Londres, la femme laissa sa colère exploser sans faire attention à la petite fille recroquevillée sur la banquette arrière, qui tentait de se faire oublier en lisant le livre que lui avait donné sa mère.

Non mais tu te rends compte ? Nous faire ça ? A nous ? beugla t-elle en partant dans les aiguës. Comment ont-ils osés nous refourguer une muette ?
Que veux-tu ? Le Ministère n'est plus ce qu'il était !
Et une Sang-de-bourbe, en plus ! Comment ont-ils pus croire que nous, honorables Sang-pur, allions accepter cette gamine sans broncher ?
Ne te mets pas dans cette état, ma chérie ! tenta l'homme sans conviction. On trouva bien un moyen de résoudre cet affront ! La gamine doit bien avoir une utilité !
Oui. Tu as raison ! On trouvera bien un moyen de compenser ce désagrément !

Aéla les laissa gémir sur leur sort pendant le reste du trajet en se forçant à ne pas y prêter attention, bien que le mot « Sang-de-bourbe » eut envahi son esprit. Elle ne savait absolument pas ce que cela signifiait mais elle se doutait qu'il ne s'agissait pas d'un compliment. Les Hungard n'avaient pas l'air d'être du genre aimable ou bienveillant. Elle se plongea dans la lecture de son livre et se fit sourde aux joutes verbales auxquelles le couple s'adonnait à l'avant de la voiture.
Aéla reprit pieds dans la réalité lorsque la voiture s'arrêta brutalement devant une vieille maison en pierres dont le toit était parsemé de trous béants. La jeune fille sentit sa gorge se resserrer. Avait-elle quittée l'enfer de Wool pour de nouveau y replonger dans cet endroit ? Cependant, les Hungard ne lui laissèrent pas le temps de s'apitoyer sur son sort et la firent sortir de la voiture. Aéla se cramponna à son livre comme si c'eut été une bouée de sauvetage. La femme s'approcha d'elle, le visage plein de dédain. Incroyablement, cela lui rappela l'expression que Tom avait lorsqu'il était face à quelqu'un qu'il estimait moins bien que lui. A ceci près que Tom ne lui inspirait pas tant de méfiance et de peur.

Qu'est-ce que c'est ? demanda la femme en pointant le livre du doigt. Un grimoire ? Un livre ?

Aéla recula d'un pas, resserrant le bouquin contre elle.

Donnes-moi ça ! fit la femme en le lui arrachant des bras. Ici, tu n'auras pas le temps de lire ! Tu retrouveras ce torchon à la fin des vacances. Maintenant, suis-moi !

La jeune fille inspira profondément pour retenir les flots de larmes qui menaçaient de ravager son visage. Tom lui avait dis à plusieurs reprises, pendant leur cours de Sortilège, qu'elle ne devait pas pleurer aussi facilement. Il avait raison ! Aéla ne devait pas montrer la peur et la peine qu'elle ressentait à ces gens. Elle avait l'étrange sentiment que cela ne lui apporterait que des ennuis.
Elle suivit la femme jusque dans la maison qui s'avéra tout aussi lugubre que le couple qui l'habitait. Cela lui rappela l'orphelinat. Les murs sombres et moisis, l'humidité qui flottait dans l'air, le parquet grinçant, les coups de vents qui faisaient trembler les murs; tout rappelait à la jeune fille les tourments de son enfance. La femme la conduisit jusqu'à une petite pièce en bout de couloir, pas plus grande qu'un débarras.

Voilà ta chambre ! Tu n'en sors pas à moins qu'on te le demande et si jamais tu as besoin d'aller au toilette... Et bien, tu fais là-dedans !

La femme pointa un sceau jaunit par le temps et sans doute par l'usage auquel il était destiné. Aéla ne put retenir une grimace de dégoût qui n'échappa pas à la femme.

On est pas à Poudlard, ici ! scanda t-elle, indignée. Même si tu n'es pas contente, tu feras avec !

Puis elle s'en alla sans plus de considération pour l'enfant. Aéla s'assit sur le lit, tout du moins sur le fin matelas posé à même le sol qui lui servirait de lit, et tendit l'oreille pour percevoir les éclats de voix qui provenaient de l'autre bout du couloir.

Deux semaines ! DEUX SEMAINES ! hurla la femme, hystérique. On va devoir vivre avec une Sang-de-bourbe pendant deux semaines !
Rien ne sert de hurler ! Cela ne me réjouis pas plus que toi !
Pourtant, ça n'a pas l'air de te déranger plus que ça ! accusa la femme.
C'est parce que je pense à la bourse pleine de galions d'or que l'on va recevoir du Ministère une fois qu'elle sera repartie pour Poudlard ! D'ici là, on fait profil bas et surtout, on fait bonne figure.

Aéla entendit la femme continuer de marmonner pendant un bout de temps alors que son mari déposait la malle de la jeune fille dans sa chambre. Il paraissait moins mesquin et insensible que sa femme mais Aéla s'en méfiait tout de même, bien qu'il lui ait offert discrètement une boîte de chocogrenouille comme si ça devait rester un secret entre eux. Elle avait accepté le cadeau sans rien dire puis l'homme avait rejoint sa femme qui n'avait pas cessée de marmonner. De toute évidence, le plan de son mari ne lui plaisait pas, bien que ce fut le pactole promit par le Ministère qui l'avait convaincue d'accueillir un orphelin de l'école pour les vacances. Elle jeta un coup d'œil dans la chambre qu'occupait l'enfant et étudia la situation un instant. Aéla lisait un autre livre qu'elle avait récupéré dans sa malle et la femme n'eut pas la force d'aller le lui prendre. Après tout, si l'enfant devait passer ses vacances le nez plongé dans un bouquin, le temps passerait plus vite sans qu'elle ait réellement besoin de s'en occuper. La femme vaqua à ses occupations tandis que son mari lisait la « Gazette du soir », sans se préoccuper de la petite fille qui travaillait sur son self-control à l'autre bout du couloir. Pour Aéla, les vacances promettaient d'être longues. Très longues ! Horriblement et impitoyablement longues !

Tale of Jedusor : les jeux du sortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant