II.I « La magie continue »

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Aéla observait, impassible, les petits hommes s'agiter en rangs impeccables, avançant vers l'inconnu d'un pas cadencé. Derrière eux roulaient avec une lenteur tétanisante d'énormes engins qui, selon Mr.Hungard, crachaient le feu comme le Diable. Au-dessus de leur tête, assombrissant le ciel et faisant trembler le sol, des avions plus grands que des navires démontraient toute leur puissance. Le lecteur à côté duquel elle était assise referma la Gazette du Sorcier, ramenant par ce même geste la jeune fille à la dure réalité.
La guerre avait éclatée. Bien qu'elle ne se concentre pour le moment qu'à l'Est de l'Europe et que l'Angleterre hésitait encore à prendre part dans le conflit que les journaux, moldus et sorciers, annonçaient comme « décisif pour l'histoire de l'humanité » ; le pays rassemblait toutes ses forces armées à Douvres, Liverpool et Manchester. Ce fut au son des ballets incessants des bombardiers, ravitailleurs, hélicoptères, camions, tanks et voitures de premiers secours qu'Aéla avait passé ses vacances. De la maison des Hungard, même si celle-ci n'était pas des plus agréables, elle avait pu assister à cet étrange spectacle qui avait mit le temps en suspens. Le monde des sorciers, tout comme celui des moldus, redoutait ce fléau nommé « guerre » et cela les inquiétaient assez pour que sorciers et moldus cessent leurs querelles mesquines. Les Hungard eux-mêmes avaient cessés de mépriser les quelques moldus qui habitaient les maisons voisines de la leur. Tous s'observaient désormais avec ce même éclat dans les yeux : celui de la peur, car si la guerre venait à engloutir l'Angleterre, ni les moldus ni les sorciers ne seraient épargnés.

Bien ! Voilà le Poudlard Express.

La jeune fille quitta l'inquiétante Une de la Gazette des yeux et dirigea son regard vers le train, aussi flamboyant et majestueux que dans son souvenir, qui entrait en gare. Cependant, comparé à l'année précédente, le Poudlard Express ne signala son arrivée que par une volute de fumée blanche à la douce odeur de brûlé. Mme.Hungard avait lu dans la Gazette, quelques jours avant la rentrée, que le Ministère avait fait interdire tout avertisseur sonore, que ce soit le sifflement d'un train ou bien l'alarme d'un réveil. Même les propriétaires d'hibou avaient reçus une lettre leur demandant de jeter un sort à leur animal afin qu'il ne hulule plus, et ce jusqu'à nouvel ordre. Plus aucun son strident n'était autorisé hormis celui des sirènes d'alarme, qui ne s'activeraient qu'en cas de danger imminent.
Le train s'immobilisa, les voituriers descendirent des wagons afin de commencer à charger les valises des élèves mais cette fois, aucun d'entre eux ne se précipitaient vers les compartiments. Tous savaient que l'heure était grave et beaucoup redoutaient de prendre le train, de laisser leur famille derrière eux car personne ne pouvait affirmer avec conviction que les choses seraient exactement pareilles lorsque cette nouvelle année prendrait fin.

Allons te trouver un compartiment, souffla Mme.Hungard.

La pauvre femme, déjà maigre auparavant, était devenu rachitique pendant les vacances. Tout cela l'avait rendu malade au point qu'elle n'avait plus eu la force de se nourrir pendant deux semaines. Les magicomages eux-mêmes s'étaient avoués incompétents à remédier à son état dépressif. Aéla, pour sa part, avait éprouvé un semblant de pitié pour Mme.Hungard qui, contrairement aux autres qui pensaient à un maléfice qu'on lui aurait jeté, s'inquiétait pour son frère cadet qui avait renié sa famille, son sang et sa nature de sorcier ; pour vivre parmi les moldus. Il avait suffit à Aéla d'un seul regard pour comprendre que ce frère dont Mme.Hungard n'avait parlé à personne, vivait en Allemagne, le pays natale de Mme.Hungard ; ce qui expliquait le vieux disque de cire de Wagner caché sous le plancher de l'armoire, avec l'inscription « Für meiner geliebten Schwester. Vergessen Sie mich nicht* ». La jeune fille l'avait trouvé en tentant de fuir les monstres d'un cauchemar. Mr.Hungard l'avait retrouvé allongée parmi les robes et les chaussures et n'en avait jamais rien dit à sa femme, tout comme Aéla n'avait rien dit sur sa découverte.
En s'approchant du dernier compartiment, la jeune fille aperçut du coin de l'œil Björn et Sibbie, entourés de leurs parents. Pendant les vacances, elle avait eu le droit d'envoyer une unique lettre à ses « amis ». Björn, qui vivait à Liverpool, avait été contraint de quitter la ville avec sa famille pour se réfugier à Londres. D'après lui cela était une procédure très courante pour les gens qui habitaient les côtes anglaises, plus vulnérables si un bombardement devait avoir lieu ou un débarquement ennemi. Sibbie, quant à elle, avait fuie l'Angleterre avec ses parents pour aller s'installer en Suède. Elle n'était revenue sur le sol anglais que pour poursuivre sa scolarité à Poudlard mais Aéla craignait que cette année soit la dernière qu'elle passa avec sa camarade.

C'est le grand départ, souffla Mr.Hungard d'une voix faible. Tu n'auras rien à craindre à Poudlard ! J'ai entendu dire que Dippet avait demandé au Ministère d'envoyer des aurors à l'école.
Pour une fois que ce vieux fou a une bonne idée ! maugréa Mme.Hungard, plus pâle que jamais.
Allez ! Monte t'installer sinon tu n'auras plus l'occasion d'avoir une bonne place.

Une bonne place ? Cela lui était bien égale ! Aéla et les Hungard s'observèrent sans savoir comment se dire au revoir. Après tout, c'était peut être la dernière fois qu'ils se voyaient et bien que la jeune fille ne parvenait pas à ressentir autre chose que de la méfiance envers ces sorciers, elle ne pouvait s'empêcher de redouter l'instant de les quitter. Peut être s'était-elle attaché aux piaillements de Mme Hungard et aux facéties de son mari plus qu'elle ne le pensait ?
Ce fut Mr.Hungard qui mit un terme à ce moment gênant en prenant la petite fille, qui avait pourtant bien grandit, dans ses bras en lui murmurant un tas de recommandations dont Aéla ne comprit que la moitié. Mme.Hungard, quant à elle, hésita longuement avant de prendre la fillette du bout des bras. Cependant, Aéla l'entendit lui murmurer :

Fais attention à toi, Wayne.

Ce n'était pas grand chose. C'était à peine chaleureux ou bienveillant mais la jeune fille savait que c'était la manière de Mme.Hungard de montrer la dernière étincelle de bonté qui crépitait en elle, de temps à autre.
Aéla acquiesça et, en faisant un signe d'au revoir sans même s'en rendre compte, elle monta dans l'avant-dernier wagon et s'installa dans le premier compartiment qu'elle trouva. Il était vide mais elle savait que Sibbie et Björn ne tarderaient pas à la rejoindre. Soudain, elle se rendit compte qu'il lui manquait quelque chose : Tom. Où était Tom ? Elle ne l'avait pas vu en arrivant à la gare, pas plus qu'au moment de monter dans le train. Avait-il oublié le jour de la rentrée ? Non. Impensable de la part de Jedusor ! Et pourtant, l'inquiétude tenaillait la jeune fille. Elle avait envoyé une lettre à Tom pendant les vacances mais celle-ci était demeurée sans réponse. L'avait-il au moins reçu ? Apparemment oui puisque la vieille chouette des Hungard était revenue sans sa lettre après trois jours de voyage. Et si Tom avait fuit Little Hangleton pour aller autre part ? Peu importait. La chouette l'aurait trouvé quand même.
La jeune fille s'enfonça dans la banquette et inspira profondément pour calmer les flots de questions et d'inquiétudes qui la submergeaient. Tom ne pouvait pas être loin ! Il était sûrement en retard et elle le retrouverait à Poudlard, sain et sauf.

Ah ! Te voilà ! lâcha Björn en entrant dans le compartiment. Je t'avais bien dit qu'elle serait par là.

Derrière lui, Sibbie fit une moue agacée et, sans répondre à son cousin, vînt s'asseoir à côté d'Aéla. Un silence pesant s'installa entre les jeunes enfants qui ne savaient pas par où commencer ces retrouvailles. Se demander comment les vacances s'étaient passées était hors de question, elles avaient étés affreuses pour tout le monde.

Tom n'est pas là ? demanda Sibbie de but en blanc.

La jeune fille hocha la tête à la négative, une lueur d'inquiétude dans les yeux.

Il ne doit pas être loin ! la rassura Sibbie. Le Poudlard Express ne va pas tarder à partir. Peut être qu'il est à notre recherche ?
Où peut être qu'il ne prévoit pas de revenir à Poudlard cette année ?!

Aéla et Sibbie observèrent Björn l'espace d'un instant, sans trop savoir comment prendre cette dernière remarque. Le jeune garçon semblait ironique mais rien n'était moins sûr. Au final, Sibbie lui décocha un coup de pied dans la cheville qui lui fit échapper un cri. Aéla, de son côté, plongea son regard par-delà la vitre.
Incroyablement, les Hungard étaient toujours là. Ils l'observaient en silence tout en jetant quelques regards anxieux vers la dizaine d'aurors qui arpentaient le quai de long en large, inspectant de temps en temps les sacs des mamans ou les valises des enfants. Peut être attendaient-ils que les aurors les chassent hors de la gare ? Ou, plus simplement, que la jeune fille leur fasse un dernier signe d'adieu ? Mais Aéla n'avait pas la force de lever son bras. Elle n'avait plus la force de rien, l'absence de Tom l'ayant plongée dans un état d'hébétude profond où les chamailleries de Björn et Sibbie ne lui parvenaient même plus. Ce fut à peine si elle sentit deux élèves de Serdaigle les rejoindre dans le compartiment. Elle ne vit même pas un nouvel amas de fumée blafarde envahir King's Cross, ni ne sentit les vibrations des wagons qui s'ébranlaient au fur et à mesure que le train partait vers la seule destination qu'il connaissait : Pré-au-Lard.


Contrairement à l'année précédente, et de toutes les années auparavant selon les dires des élèves les plus anciens, le château de Poudlard se dressait sur sa crête, morne et austère, sans vie. Malgré les centaines de fenêtres qui brillaient, le plafond de la grande salle illuminé comme à son habitude de milliers de chandelles flottantes ; une atmosphère pesante régnait dans l'école et ni les élèves, ni les professeurs, ne semblaient vouloir y remédier.
Aéla, Björn et Sibbie étaient assis au bout de la table des Serpentard, comme à leur habitude et alors que ses deux camarades scrutaient avec impatience la table des professeurs, la jeune fille n'avait d'yeux que pour les grandes portes entre-baillées de la grande salle. Depuis qu'elle avait posé un pied sur le quai de Pré-au-Lard, Aéla n'avait cessé de scruter son environnement, à la recherche de Tom. Mais le jeune garçon, que beaucoup de Serpentard hormis elle semblaient également chercher, demeurait introuvable.

Quand est-ce que Dippet va faire son fichu discours ? demanda Björn d'un air désespéré. J'ai faim !
Est-ce qu'il t'arrive de penser à autre chose qu'à ton ventre qui ne sera jamais rassasié quand bien même tu avalerais un ogre ?
...Là, je pense sérieusement à t'enfermer dans le plus glacial des cachots pour ne plus entendre tes sarcasmes digne de ma grand-mère !
Ta grand-mère est un pure sorcière digne de respect, crétin !
Quoi ? siffla Björn, décontenancé par la répartie de Sibbie. Espèce de-...

Mais il n'eut pas le temps de finir sa réplique. A ses côtés, Aéla s'était levé d'un bond et un sourire étirait ses lèvres. Björn se renfrogna. Pendant tout le voyage il avait essayé de la faire rire ou même sourire, sans succès, et il suffisait à Tom Jedusor d'apparaître pour accomplir ce miracle.
Le jeune garçon venait d'entrer dans la grande salle et la première chose qui frappa Aéla, se fut son charme insolent. Tom avait grandit, beaucoup grandit même, si bien qu'il dépassait d'une demi-tête les autres garçons de deuxième année. Son visage semblait avoir perdu quelques traits d'enfance pour devenir plus téméraire, plus froid, plus insaisissable. En somme, Tom avait tant changé en l'espace de deux mois que la jeune fille aurait eu peine à le reconnaître si les vibrations de la puissante magie qui coulait en lui ne l'avaient pas ébranlées. Celle-ci, au contraire, était toujours la même : terrifiante, incontrôlable, sombre et sournoise, au-delà de toute comparaison.
L'espace d'un bref instant, le regard des deux jeunes enfants se croisèrent avant que Björn n'attrape la main d'Aéla pour la rasseoir sur le banc.

Je ne pense pas que Jedusor apprécie que tu attires l'attention sur lui ! souffla Björn comme le comportement d'Aéla avait effectivement attiré l'attention des autres élèves sur Tom.
Tu penses incroyablement mal, Dunharrow, répliqua une voix calme et tranchante.

Tom était en face d'eux, les dominant de sa haute stature qui sembla couper le sifflet de Björn. Il observa tour à tour le Serpentard, puis sa cousine à laquelle il n'accorda qu'un regard de travers puis son regard se verrouilla à celui d'Aéla alors que tous les autres élèves de leur maison l'observaient avec attention. Visiblement, eux aussi avaient aperçus la nouvelle aura écrasante de Tom et ne pouvaient faire autrement que de le détailler du regard.

J'ai crus que tu avais raté le train, avoua Aéla en essayant de ne pas trop montrer ses mains.
Ce qui me sert de « grand-père » m'a mit en retard et je n'ai pas pu sortir de mon compartiment...Tu vas bien ? demanda Tom avec une lueur étrangement dubitative.

Le sourire de la jeune fille se fana sur ses lèvres tandis que Björn et Sibbie eurent la même réaction, celle de lever un sourcil. Peut être trouvaient-ils la question absurde ? Pourtant de là où il se trouvait, à seulement quelques mètres d'elle, Tom trouvait Aéla différente. Elle paraissait plus fragile, plus pâle qu'au moment où il l'avait quitté à King's Cross mais ce qui le frappa comme l'épée de Damoclès, ce fut sa maigreur. Cependant, si Tom était contrarié de ces changements, il n'en laissa rien paraître ; offrant simplement son visage le plus impassible et glacial aux regards curieux.

Oui, signa simplement la jeune fille.
Tu viens t'asseoir avec nous Tom ? demanda Sibbie de son ton le plus joviale.
Non, répliqua froidement le garçon. Des élèves de septième année m'ont invités à manger avec eux.
Ben voyons !

Comme de coutume, Björn et Tom s'observèrent en chien de faïence comme s'ils étaient prêt à se jeter à la gorge de l'autre mais Tom, décidant brusquement qu'il était trop bien pour cette querelle puérile, continua son chemin sans un regard en arrière. Björn, quant à lui offusqué qu'il parte comme s'ils ne se connaissaient pas, tenta de le retenir, en vain.

C'est moi ou il est encore plus insupportable qu'il y a deux mois ?

Sibbie se contenta de hausser les épaules alors qu'Aéla avait les yeux fixés sur son verre de jus de citrouille. Björn essaya de convaincre les filles de son point de vue mais il fut interrompu par un long raclement de gorge de la part du professeur Dippet qui se dressait, plus voûté que jamais, devant son pupitre d'or.

Bonsoir et bienvenu à tous pour cette nouvelle année à Poudlard ! annonça Dippet dans son éternel petit sourire. Avant de commencer le traditionnel festin de rentrée, j'ai quelques informations à vous communiquer et je vous demanderais d'être extrêmement attentif. Comme vous le savez, le monde des sorciers et des moldus s'apprête à vivre des heures sombres ; aussi, j'ai demandé au Ministère de nous envoyer des aurors afin de surveiller l'école et d'assurer votre sécurité. D'autre part, le Ministre de la Magie a estimé que vos connaissances en matière de Défense contre les Forces du Mal devaient être renforcées. Ce cours, qui sera assuré par Madame Têtenjoy, débutera dès demain et ce pour tous les élèves de l'école, sans exception !

Un silence de plomb accueillit les paroles de Dippet. Tous les élèves de l'école avaient des yeux pleins d'inquiétude et d'hébétude fixés sur le directeur de Poudlard.

Mais pour l'heure, festoyons et réjouissons nous d'être tous réunis à l'abri des murs de Poudlard !

Dippet frappa dans ses mains et aussitôt une multitude de plats apparue sur les tables, suivit d'applaudissements timides. On était très loin des célèbres salves d'applaudissements frénétiques et enjouées qui clôturaient traditionnellement les discours des directeurs de l'école.
Comme pour ponctuer ce discours, Björn crut bon d'ajouter :

Ben voilà qui annonce la couleur !

Ce à quoi Sibbie répondit par un nouveau coup de pied décoché dans le tibia. Björn étouffa un juron mais son visage vira au rouge, arrachant un esclaffement à Aéla qui semblait avoir oublié le comportement de Tom grâce aux paroles sérieuses de Dippet.
Au final, Björn, Sibbie et Aéla passèrent le dîner à rire discrètement, ne voulant pas attirer l'attention de leurs camarades sur eux, tant l'atmosphère était pesante et tendue malgré les efforts des professeurs et des élèves de Poufsouffle pour la détendre. Pourtant, tous étaient conscients que cette année était placée sous le signe de la guerre, de la prudence, de l'austérité et de l'inquiétude. Rien ne serait pareil. Rien ne sera plus jamais pareil. C'était une situation inédite qui ne se disait que du bout des lèvres : Poudlard se préparait à la guerre.

Tale of Jedusor : les jeux du sortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant