II.II « L'épreuve de l'armoire »

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Ce matin, Poudlard s'éveillait sous un ciel sombre et menaçant. Depuis la rentrée la pluie et les coups de tonnerre n'avaient pas cessés de rythmer les journées des élèves mais ce matin là, tous avaient le nez pointé vers les cieux, avec dans les yeux une inquiétude qui n'était pas de leur âge. Quelques minutes plus tôt, alors que l'école sortait à peine du sommeil, les hiboux avaient envahis la grande-salle en surnombre. Ils étaient si nombreux à virevolter que les battements de leurs ailes créèrent des ondes de choc qui firent trembler les vitres et le sol. Pourtant, personne ne se préoccupa que le plafond ne lui tombe sur la tête, étant bien trop occupé à fixer la Une de la Gazette du Sorcier avec la bouche grande ouverte en un cri d'effroi rendu muet par la surprise.

« L'Angleterre entre en guerre,

La décision a été prise d'un commun accord entre le Ministre de la Magie et le Gouvernement anglais, dans la nuit de mardi à mercredi. Les troupes armées moldues partiront à une date tenue secrète pour le Nord de la France où les forces alliées sont attendues afin de partir vers le front, qui se situe à l'heure où nous plions cette édition à l'ouest de Varsovie. Les aurors dépêchés par le Ministère assisterons les sorciers engagés dans la guerre du côté des Alliés sur les territoires français, polonais et hongroie.
Le Ministre de la Magie appelle la communauté sorcière à la plus grande vigilance. La possibilité d'un bombardement ennemi n'a pas été évoquée mais pas non plus démenti par la secrétaire de Ministère de la Sécurité Magique que nous avons contactés dès cette terrible annonce.
Nous invitions tous nos lecteurs à la plus grande prudence.

Votre dévouée reporter,
Iridessa Miles »

Un silence brutale s'était abattu sur la grande salle qui s'était vidée des hiboux. Élèves et professeurs s'étaient observés sans parler puis, la condition humaine faisant que l'on préférait digérer les mauvaises nouvelles en solitaire, les conversations reprirent et le bruit des couverts recouvra le tout en tintements rassurant.
Cependant, au premier coup de tonnerre de la journée, Poudlard s'était vidé et le parc fut envahit par des hordes d'élèves affolés qui scrutaient les nuages sombres et ondulants en psalmodiant des prières incompréhensibles. Parmi eux Björn, qui était encore traumatisé par l'évacuation de sa ville par l'armée, bien qu'il n'en disait jamais rien, se tenait près d'Aéla avec un visage si crispé qu'il en était devenu rouge. La jeune fille, comprenant bien mieux que d'autres ce que le sentiment de peur pouvait faire endurer, prit la main du garçon, qui s'autorisa alors à prendre une bouffée d'oxygène.

Tu crois qu'un jour on vivra dans un monde en paix ? demanda t-il soudain, les yeux pleins d'espoir.

Aéla se contenta de le regarder sans rien répondre. Björn avait des notions encore insuffisantes de langue des signes pour qu'elle puisse lui parler franchement et, quand bien même elle aurait pu le faire, elle s'en serait abstenue. Dans sa main, la jeune fille sentait trembler celle de son ami. Björn avait peur et Aéla n'osait pas lui dire ce que beaucoup de sorciers pensaient tout bas sans oser l'avouer : la guerre, dans tous les sens du terme, ne faisait que commencer et elle sera très longue.
Sans qu'elle ne s'en rende compte, Tom s'était glissé derrière elle et les observait sans rien dire bien que sa bouche se crispa d'indignation. Björn était trop crétin pour qu'Aéla ne s'éprenne de pitié pour lui !

On va être en retard pour la Défense contre les Forces du Mal ! claqua la voix du garçon, faisant sursauter ses camarades. A moins que tu préfères prendre plus de retard sur les autres en restant plantée là ?

Aéla savait que la question n'appelait pas de réponse tant la voix de Tom fut amer, presque acide comme un poison. Elle se contenta de le regarder en lâchant prudemment la main de Björn. Tom était déjà plus que mécontent, elle ne voulait prendre aucun risque de l'énerver encore plus, bien que cela était inutile. Tom les avait vu et elle le savait.

On a cours en quelle salle ? demanda t-elle pour le détendre.
Je ne suis pas une carte ! siffla t-il. Tu n'as qu'à demander ton chemin à Dunharrow.
Mais c'est à toi que je le demande.
Et moi, je n'ai pas envie de te répondre, dit-il en détachant chaque mot pour leur donner plus d'impact.

Il lança à la jeune fille un regard noir, le premier qui fut véritablement sincère, avant de se retourner et de partir en direction de l'école, suivit par quelques élèves de Serpentard qui semblaient l'avoir prit pour exemple.

Si le monde entre dans une nouvelle ère, il y a au moins une variable inchangeable, cingla Björn. Jedusor est toujours aussi exécrable !

Aéla ne releva pas, bien qu'elle ne puisse totalement contredire le garçon. Elle se contenta de sourire et suivit Sibbie qui, bien qu'elle n'eut pas dit un mot depuis le matin, n'avait rien perdu des dernières discussions et prit les devants pour rejoindre le cours du professeur Têtenjoy.

Le professeur Galatea Têtenjoy s'avéra être exactement ce à quoi s'imaginait Aéla. C'était un petit bout de femme longiligne et gracieuse, qui parlait d'une voix douce et chaleureuse qui aurait pu apaiser les colères les plus titanesques. Elle était d'une élégance digne du sang-pur qu'elle était, avec son tailleur d'un vert aussi profond que celui de la maison Serpentard, rehaussé par un chignon bas qui sublimait ses longs cheveux blonds, que la jeune fille lui envia un instant tant ils paraissaient soyeux et disciplinés. Le professeur Têtenjoy fit naviguer son regard turquoise sur ses nouveaux élèves, bien plus jeunes que ceux qu'elle avait pour habitude d'instruire, avec un sourire qui dissimulait à peine son excitation. Pour elle, se devait être un saut dans l'inconnu d'enseigner à des deuxième année les techniques difficiles de la Défense contre les Forces du Mal, mais cela ne l'effrayait pas. Bien au contraire ! Le professeur Têtenjoy jubilait et remerciait secrètement le Ministère d'avoir prit cette décision qui venait égayer son quotidien qui devenait un peu plus morne et ennuyeux au fil des années. Elle avait à présent du sang neuf et des possibilités infinies de méthodes d'apprentissage.

Asseyez-vous, s'il vous plaît ! demanda le professeur alors que le silence se faisait dans la salle, unissant pour une fois les Serpentard et Serdaigle. Bonjour à tous ! Avant de commencer ce cours, je tiens à vous rappeler mon nom : je suis le Professeur Galatea Têtenjoy, et je suis ravie de pouvoir vous enseigner la Défense contre les Forces du Mal. Avant toute chose, avez-vous des questions sur ce cours ?
Est-ce qu'on risque de se faire mal ? demanda une élève de Serdaigle.
Non. Je suis là pour veiller à ce qu'il ne vous arrive rien ! Ceci dit, je ne peux jurer que vous n'ayez pas une ou deux frayeurs dans cette salle.

Quelques rires anxieux répondirent au professeur tandis qu'Aéla triturait ses doigts, les faisant craquer à quelques reprises pour montrer son inquiétude. A ses côtés, Sibbie tenta de la rassurer, en vain. La jeune fille se demandait pourquoi le Ministère jugeait nécessaire qu'ils apprennent la Défense contre les Forces du Mal ? Elle aurait voulu écrire sa question sur un papier pour que Björn ou Sibbie la pose au professeur mais aucun d'eux ne semblait disposé à prendre la parole, au contraire des Serdaigle qui se firent un devoir de poser des questions sur tout et n'importe quoi, mais pas sur ce qui tracassait Aéla.
Au fond de la salle, pourtant, une voix froide et calme prit le dessus sur la valse de questions :

Pourquoi le Ministère veut-il que l'on suive ce cours ?

Le silence tomba aussi brutalement que la foudre tandis que le professeur Têtenjoy et Aéla tournaient leur regard sur Tom, qui demeurait impassible. Encore une fois, il semblait avoir ressenti l'interrogation de la jeune fille et n'avait pu s'empêcher de parler pour elle.
Têtenjoy soupira et afficha un sourire serein malgré la gravité qui tirait ses traits.

Vous n'êtes pas sans savoir que la guerre a éclatée et, plus grave encore, que notre pays s'y est engagé. Bien que le conflit soit à l'initiative du monde moldu et que les combats se déroulent à leur manière, il nous touchera très bientôt. Ce que le Ministère redoute, à fortes raisons, c'est que des esprits malsains et dangereux rejoignent le conflit du côté ennemi et saisissent cette occasion pour détruire le monde des sorciers que nous avons mis des siècles à construire.
Mais on est en sécurité à Poudlard, non ? demanda Abraxas Malefoy avec anxiété.
Poudlard est protégé par des sortilèges qui protègent les murs et ceux qui s'abritent derrière mais contre des partisans du Mal, farouchement déterminés à atteindre le coeur du monde sorcier, l'école ne peut rien, déclara Têtenjoy d'un ton très grave. C'est pour cela que le Ministre souhaite que vous ayez toutes les cartes en mains afin de vous défendre et vous protéger en ces heures sombres.

Le professeur Têtenjoy laissa quelques instants à ses élèves pour intégrer les dernières nouvelles peu rassurantes, avant de reprendre son sourire chaleureux et réconfortant. Lorsqu'elle fut sûr que plus aucune question ne fuserait, elle s'approcha d'une étrange armoire en bois sombre, dont une glace piquée par le temps ornait l'unique porte. Aussitôt que le professeur posa sa main sur un panneau de bois, un étrange murmure sinistre s'échappa de l'armoire, ce qui fit sursauter les élèves de surprise sur leur chaise.

Apprendre la Défense contre les Forces du Mal ne se fait pas dans les livres, commença le professeur Têtenjoy, cela se fait sur le terrain, en condition réelle. Vous ne devrez jamais oublier que votre meilleur professeur, c'est vous ! Et que votre meilleur manuel d'instruction, c'est votre instinct de survie !
Qu'est-ce qu'il y a dans l'armoire ? demanda Björn qui avait déjà pâlit.
Un épouvantard. Quelqu'un sait de quoi il s'agit ?
Personne ne le sait, siffla Tom, aussi vif qu'un serpent. L'épouvantard prend l'apparence de ce qui effraie le plus la personne en face de lui. Ça peut être tout et n'importe quoi.
En effet ! fit Têtenjoy avec un sourire admiratif. Bravo, Monsieur Jedusor ! Je ne m'attendais pas à ce que vous ayez déjà lu votre manuel, mais c'est juste : l'épouvantard prend la forme de la peur qui sommeil en vous !

Coincée entre Björn et Sibbie, Aéla se raidit sur sa chaise si bien qu'on aurait pu croire à un sortilège. Ce fut à peine si un souffle d'air fit bouger sa poitrine ou si ses yeux clignèrent. La jeune fille s'était préparé à affronter un tas de choses terrifiantes et répugnantes pendant ce cours, mais pas sa peur la plus profonde ! Cette fois, ce fut elle qui pâlit en un clin d'oeil et elle se serait effondré de sa chaise si Björn ne fut pas là pour lui servir de pilier.

Ça va ? demanda t-il avec un brin d'inquiétude.
Non.
Ne t'inquiètes pas ! Tout va bien se passer.

Aéla en doutait. Sa peur à elle n'était certainement pas comme celle des autres. Il ne s'agissait pas d'une araignée, d'un serpent, d'une guêpe ou d'un Troll ! C'était quelque chose de bien plus terrifiant, de bien plus cruel. Elle se força à esquisser l'ombre d'un sourire à son ami, avant de maudire tous les dieux d'avoir donné vie à une espèce aussi sournoise que l'épouvantard.

Pour neutraliser votre épouvantard, vous devrez l'imaginer dans une situation ou un accoutrement qui vous fasse rire ou qui soit déconcertant. Ensuite, vous prononcerez distinctement la formule « Ridiculus » et votre épouvantard retournera dans l'armoire sans vous avoir fait le moindre mal !

L'explication du professeur était on ne peut plus clair mais les élèves n'eurent aucune réaction pour montrer leur compréhension. Têtenjoy préféra mettre cela sur le fait qu'il s'agissait de leur premier cours plutôt que sur le compte de la peur qui triturait les entrailles des élèves. Un seul paraissait pourtant loin de tout ça : Tom. Il était assit au deuxième rang, seul, et affichait un petit sourire en coin. Le garçon était ravi de ce cours où il allait pouvoir laisser toute sa nouvelle puissance s'exprimer et il avait hâte de découvrir son épouvantard, car lui-même ignorait de quoi il avait réellement peur. Aussi loin qu'il se souvenait, le garçon n'avait jamais eu de phobie.

Y aurait-il parmi vous un volontaire pour commencer ?

Têtenjoy fit preuve d'un enthousiasme qui eut du mal à gagner ses élèves et pourtant, au bout d'interminables minutes, un élève de Serdaigle se leva en tremblant. Tom l'observa d'un air moqueur. Il n'y avait pas de quoi avoir peur d'après lui mais il voulait tout de même voir un élève passer avant de se porter volontaire. Il n'y avait pas de meilleure défense que celle de savoir à quoi s'attendre !

Oh, approchez Monsieur... ?
El..Eliford Wembley, bafouilla le garçon.
Monsieur Wembley, ne vous inquiétez pas. Tout ce que vous avez à faire c'est de penser à quelque chose qui vous fasse rire et de prononcer la formule.
Et si je n'y arrive pas ?
Je serais là pour vous aider mais je suis certaine que vous réussirez sans mon aide !

Eliford hocha la tête, pas rassuré pour autant, et se plaça face à l'armoire en tenant si fort sa baguette entre ses doigts que ceux-ci en devinrent tout blanc. Le professeur s'écarta de l'armoire et d'un coup de baguette, celle-ci s'ouvrit dans un panache de fumée noire qui laissa apparaître une vache. Si toute la classe se mit à rire, à l'exception de quelques élèves dont fit partit Aéla, Eliford n'en menait pas large. Il semblait tétanisé par le ruminent et il fallut plusieurs injonctions du professeur pour que le garçon se décide à lever sa baguette.

Ridiculus ! hurla t-il comme si cela pu donner plus d'impact au sort.

Aussitôt, la vache céda la place à une boîte qui imita les beuglements de l'animal d'un son grésillant. Si le professeur Têtenjoy fut ravie du résultat, la plupart de ses élèves en furent déçus, trouvant que la phobie d'Eliford était bien plus drôle que sa « boîte à meuh ».
A peine le garçon eut-il le temps de reprendre place sur sa chaise qu'une dizaine de doigts s'élevaient dans les airs pour le succéder. Les élèves, ravis par ce premier passage, en avaient oubliés leur appréhension et étaient empressés de découvrir le prochain épouvantard. Parmi ces doigts, celui de Tom se fit plus haut que les autres mais Têtenjoy choisit une jeune élève de Serpentard, Olivia Blane. La jeune fille se présenta devant l'armoire encore plus tremblante qu'Eliford et accueillit son épouvantard avec un cri d'effroi si strident que la glace de l'armoire s'en fissura. Un ours terrifiant se dressait devant Olivia, posté sur ses pattes antérieures en mugissant férocement. Si Eliford avait mit quelques minutes à réagir, Olivia quant à elle pointa immédiatement sa baguette vers l'animal et, les yeux fermés par la peur, elle prononça un « Ridiculus » empressé qui transforma l'ours en une peluche innocente. Une salve d'applaudissements accueillit l'exploit et tandis que l'ours en peluche regagnait l'armoire en geignant comme un nourrisson contrarié, les élèves précipitèrent leur doigt vers les airs, à quelques rares exceptions.

Tom ! A ton tour ! fit le professeur pour le plus grand bonheur de Tom.

Se levant avec prestance, ce fut avec tout autant de grâce que Tom prit place face à l'armoire, de plus en plus curieux de découvrir son épouvantard. Agrippant sa baguette d'une main ferme et préparant la formule sur le bout de sa langue, il n'esquissa pas le moindre mouvement lorsque la porte s'ouvrit dans un long cri d'effroi.
Debout devant lui, si haute qu'elle touchait presque le plafond, se tenait une forme fine et sombre, comme drapée dans de fins voiles de satin noir. On ne distinguait rien d'elle, si ce n'était ses mains squelettiques qui se refermaient sur une faux presque aussi grande que la silhouette elle-même. Tom demeura un instant perplexe avant de se rendre compte que c'était la Mort qui se tenait devant lui, transpirant le désespoir et l'apocalypse. Alors, il sentit ses entrailles se tordre et regretta l'espace d'un instant de ne pas avoir pour phobie celle des éléphants ou des lapins. Pourtant, s'il mettait son malaise de côté, il se sentait honoré d'avoir pour phobie la Mort. Voilà une peur qui était digne de lui !

Ridiculus ! cracha t-il sans l'ombre d'un tremblement dans la voix.

La Mort échappa un cri d'effroi si strident que les élèves durent se cacher les oreilles et se transforma en une femme de ménage échevelée. La faux, quant à elle, prit l'aspect d'un balai rabougri. Des applaudissements retentirent tandis que Tom s'autorisait de nouveau à respirer, et que l'épouvantard reprenait sa place dans l'armoire.

Eh bien ! souffla Têtenjoy qui ne se remettait toujours pas de l'épouvantard de Tom. Il n'est pas commun pour un si jeune garçon d'avoir la Mort pour phobie. Mes félicitations, Tom ! C'était un épouvantard très difficile à neutraliser et crois-moi, je sais de quoi je parle.
Merci, professeur.

Transit de fierté, Tom regagna sa place la tête haute et les yeux brillants d'excitation. Il avait vaincu son épouvantard. Ce fut alors qu'un étrange sentiment le submergea. Le reste de ses camarades avaient pour peur celle des animaux, ce dont il était facile de se débarrasser pour peu que l'on trouve le courage et la patience d'en apprendre plus sur ces bêtes ; mais pour la mort ? Comment peut-on se débarrasser de la Mort ? Tom se perdit dans ses réflexions alors que devant ses yeux vides défilaient ses camarades.
Serdaigles et Serpentards manièrent le sortilège du Ridiculus à merveille, ce dont le professeur Têtenjoy en fut plus que ravie. Elle jubilait tant qu'elle se fit un devoir de faire passer chacun des élèves et bientôt, ce fut au tour d'Aéla. Depuis le début du cours, la jeune fille s'était tassé sur sa chaise dans l'espoir de disparaître, de se perdre parmi ses camarades et d'échapper ainsi à l'épreuve de l'armoire. Mais c'était sans compter l'oeil de lynx de Têtenjoy qui l'avait repéré depuis une demi-heure et semblait attendre avec impatience le passage de la jeune fille. Galatea Têtenjoy faisait partie de ces professeurs persuadés que les élèves les plus brillants étaient ceux qui se faisaient les plus discrets, et qui en montraient le moins. Ce fut donc normal qu'Aéla Wayne attire son regard.

Aéla, approche ! fit Têtenjoy avec un sourire rassurant.

Mais la jeune fille ne bougea pas pour autant. Elle était comme clouée sur sa chaise et tremblait déjà de tous ses membres, pâle comme la mort. Aéla savait parfaitement ce qui sortirait de cette armoire, cette chose qui hantait ses nuits depuis plus d'un an et qui la faisait hurler dans son sommeil sans que personne ne l'entende. Elle n'avait pas envie de l'affronter. Elle n'avait pas envie de le revoir sous ses yeux. C'était déjà insupportable et elle préférerait de loin se jeter de la tour d'Astronomie plutôt que de revivre ça. Cependant, elle se sentit bouger, poussée par Björn qui ne s'était pas remit de son passage. Le garçon dût l'accompagner jusque devant l'armoire et lui mettre sa baguette entre les doigts car Aéla en était incapable, totalement tétanisée. Derrière elle, Tom avait reprit pied dans la réalité, remettant ses réflexions à plus tard, et s'était tendu sur sa chaise.

Souviens-toi de prononcer clairement le sort ! rappela Têtenjoy. Prête ?

Non. Absolument pas. Jamais ! Aéla aurait voulu secouer sa tête dans tous les sens, hurler à pleins poumons, s'effondrer par terre en pleurs, supplier le ciel de lui épargner cette épreuve mais c'était trop tard, la porte de l'armoire s'ouvrait déjà.
De derrière la porte surgirent deux silhouettes, celle d'un homme et d'une femme. L'homme, qui se dressait derrière la femme qui lui tenait un bras avec fermeté, paraissait déterminé et avait un éclat proche de la psychose dans le regard. La femme, quant à elle, paraissait résignée et observait Aéla d'une manière qui lui ordonnait silencieusement de détourner le regard et de fuir très loin. Dans la salle, le silence ce fit de plomb car aucun élève ne fut certains de ce qui se déroulait sous leurs yeux. Debout devant le couple, Aéla semblait au bord de l'évanouissement tandis que derrière elle, Tom, mut par un réflexe incontrôlable, semblait prêt à bondir sur elle comme un félin.
Puis soudain, l'homme sortit un couteau de cuisine de la manche de sa chemise et trancha la gorge de la femme, éclaboussant de sang Aéla qui se tenait à quelques mètres, figée par l'épouvante, alors que dans la salle des hurlements retentissaient. Alors, dans un soubresaut de vie, la femme agrippa le bras de la jeune fille d'une main poisseuse et lui hurla :

Vas t-en ! Aéla, Vas t-en et ne te retournes pas !

Dans un état second, la jeune fille laissa son instinct de survie prendre le dessus et, alors qu'elle était projeté au sol, son corps se mit en mouvement. Quelque chose lui lacéra le bras mais elle ne ressentit aucune douleur. Quelque chose tenta de la rattraper mais rien ne put la retenir. Quelque chose l'appela mais elle ne l'entendit pas. Tout ce dont Aéla fut consciente, ce fut qu'elle était en plein cauchemar et que sa seule chance d'y échapper était de fuir, de partir très loin de cet affreux souvenir qu'elle avait cru verrouillé au tréfonds de sa mémoire et qui, malheureusement, s'avérait être plus vivace que jamais.

Tale of Jedusor : les jeux du sortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant