II.VIII « Cracheur de venin »

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Peu de temps après la rentrée, la bonne humeur qui régnait à Poudlard s'évapora comme la neige au soleil dès que les chouettes reprirent leur envol dans la grande salle pour apporter les nouvelles des quatre coins du monde. Pendant les vacances, d'horribles choses s'étaient passées, mais la plus horrible de toute pour les élèves fut que le professeur Dumbledore se soit officiellement engagé dans un combat contre Grindelwald. Le professeur de Poudlard et le Mage noir s'étaient engagés dans le jeu du chat et de la souris, Grindelwald échappant sans cesse aux guets-apens du Ministère. Une seule fois Dumbledore avait réussi à jouter avec son ancien camarade de jeu lorsqu'il était enfant, mais Grindelwald s'était enfui après quelques sorts. L'inquiétude pour le professeur grandissait d'autant plus que la Gazette avait brusquement cessé de donner de ses nouvelles, et bien que Dippet tenta de les rassurer en leur disant que s'était pour assurer la sécurité de Dumbledore, l'ambiance ne se détendit pas pour autant. A vrai dire, cela empira. Les élèves devinrent susceptibles si bien que la moindre bousculade malencontreuse donnait lieu à des bagarres ou des scènes d'hystérie que les professeurs avaient de plus en plus de mal à gérer. Dans ce chaos sans précédent, il y en avait un qui semblait plus irascible que les autres. Se terrant dans la bibliothèque ou la salle commune lorsqu'il ne devait pas aller en cours, Tom se montrait plus exécrable que jamais envers ses camarades, bien qu'il fit des efforts pour ne pas leur hurler dessus, en particulier sur Aéla. La jeune fille avait très bien comprit que le garçon s'isolait pour laisser libre court à sa mauvaise humeur mais elle ne pouvait pas s'empêcher d'aller le voir, de temps à autre, pour lui rappeler qu'ils étaient à Poudlard et qu'en dehors des portes de la bibliothèque il y avait une réalité à laquelle Tom ne pouvait échapper.
Pourtant, aujourd'hui plus que jamais, Tom demeurait introuvable. Elle avait été à la bibliothèque, dans leur salle commune, dans le parc de l'école, dans les cachots ; sans succès. Le garçon avait disparu sans que personne ne l'ai vu. Ce fut avec un air désolé qu'Aéla retourna dans la salle commune de Serpentard afin d'annoncer la mauvaise nouvelle à Darrick Selwyn qui l'avait supplié de l'aider à retrouver Tom. Paraissait-il que le garçon était recherché par le capitaine de l'équipe de Serpentard. Tirant un papier de sa poche où elle avait griffonné « Introuvable » à la va-vite, elle le tendit à Darrick en espérant qu'il se contenterait de cette réponse. Elle savait qu'il ne valait mieux pas insister pour retrouver Tom, autant pour le garçon que pour eux-mêmes, ce qui était sans doute le plus important.

Arf ! souffla Darrick avec une expression résigné sur le visage. Angus ne va vraiment pas être content. Il comptait sur Jedusor pour élaborer le programme du prochain match.

Aéla ne comprenait rien à ces histoires de Quidditch, aussi préféra t-elle hausser les épaules. Darrick fourra le papier dans sa poche et sortit de la salle commune sans un « merci » ni un « au revoir ». Peu importait pour Aéla. Elle était contente qu'il soit venu la trouver pour lui demander de l'aide car, hormis Sibbie lorsqu'elle n'arrivait pas à se coiffer ou Björn pour ses devoirs d'Histoire de la Magie, jamais personne ne venait lui demander de l'aide, ou quoi que ce soit d'autre.

Aéla, tu viens ? hurla Sibbie en déboulant dans la salle commune à moitié débraillée. On va être en retard en cours d'Astronomie !

Aéla aurait voulu lui répondre que la seule personne qui risquait d'être en retard en cours, c'était elle. Contrairement à la jeune fille qui s'était levée bien avant que son réveil ne sonne, Sibbie avait lézardé dans son lit jusqu'à la dernière minute. Ce fut pour cela que sa crinière était à peine brossée, son chemisier mal boutonné et que sa robe de sorcière était enfilée à l'envers. Aéla échappa un rire face à ce spectacle peu habituel, Sibbie faisant toujours attention à son apparence comme la sorcière de noble famille qu'elle était.

Quoi ? demanda son amie. J'ai une trace de chocolat sur la figure ?

Aéla hocha la tête à la négative mais força son amie à enlever sa robe pour la remettre à l'endroit.

Par Merlin ! Que ferais-je sans toi ? Allez viens ou on va vraiment être en retard !

Attrapant la main d'Aéla, Sibbie partit en courant dans les couloirs et ne ralentit qu'au moment où elles loupèrent la salle du cours du professeur Sinistra, les obligeant non seulement à se rentrer dedans pour arrêter leur course, mais en plus à faire demi-tour. Fort heureusement, elles arrivèrent juste à temps. Quelques secondes de plus et la porte leur aurait été fermée et un retard leur aurait été compté.

Asseyez-vous vite, mesdemoiselles, dit le professeur Sinistra en bidouillant une longe lunette astronomique.

Les jeunes filles s'assirent à la dernière table de libre. Loin devant, assit au premier rang, se trouvait Tom dont le regard se perdait dans son livre de cours, et à quelques mètres de lui, Björn leur offrit un regard désolé. Aéla sortit ses affaires en sentant tout son courage fuir la moindre particule de son corps. Non pas qu'elle détesta l'Astronomie, le problème venait plutôt du professeur Sinistra qui était plus sévère que tous les professeurs qu'ils avaient eus jusqu'alors. La seule raison qui poussait Aéla à assister à ce cours de bonne grâce, s'était la sensation de bien-être qui l'envahissait lorsque son regard se perdait dans l'infini de l'univers, là où des étoiles illuminaient le ciel très loin de toute forme de vie. Même si cela n'était qu'une image qui changeait au fur et à mesure que le projecteur tournait, Aéla se sentait apaisée à la vue de ces petites boules de feu qui ne naissaient que pour exploser en libérant leur douce lumière blanche qui traversait le temps et l'espace pour venir frapper sa rétine.
Cependant, Aéla devait être la seule à trouver cette matière fascinante, à l'exception peut être de Tom qui demeurait si impassible qu'il lui fut impossible de savoir s'il aimait cette matière ou pas, car à côté d'elle les soupirs de Sibbie se faisaient déjà entendre. Et elle n'était pas la seule.

La fin du cours arriva bien trop vite au goût d'Aéla. Le professeur Sinistra avait paru plus détendue que jamais et l'étude de la galaxie Andromède l'avait comblée de joie pour le reste de la journée. Du moins ce fut ce qu'elle crut jusqu'à ce qu'un brouhaha tonitruant attire son attention et celle de tous ses camarades sur le chemin de leur salle commune. Dans les escaliers, entouré par un troupeau de Serpentard de toutes années confondues, un élève de Serdaigle tentait tant bien que mal d'échapper à ses assaillants. Il paraissait être un première année mais comment être sûr ? Dans tous les cas, il était terrorisé et cherchait parmi l'assistance de l'aide avec un regard éploré, suppliant, désespéré. Aéla s'arrêta et observa la scène sans comprendre ce qu'il se passait.

Viens, fit Sibbie d'un ton las. On ne devrait pas rester ici.

Elle aurait voulu lui demander pourquoi mais son regard ne put se détacher du petit garçon qui s'était recroquevillé contre la rambarde des escaliers. Alors une image frappa Aéla aussi violemment que si un poids-lourd l'avait percuté à pleine vitesse. Elle se rappela un moment de sa vie où elle avait eu ce même réflexe d'autoprotection, dans la cuisine du petit appartement où elle vivait avec ses parents. Elle se rappela les cris qui fusaient dans la pièce, le fracas de la vaisselle qui explose au contact du sol, le sifflement perçant de la théière qui brûle sur la gazinière, le chuchotement lugubre du poste de radio qui était resté allumé. Elle revoit ses parents s'engager dans une lutte verbale venimeuse jusqu'à ce que la première gifle parte, cinglante comme un coup de fouet sur une peau tendre. Elle ne se souvînt plus si le coup fut porté par sa mère ou par son père, mais le bruit résonna de nouveau dans ses oreilles et une larme lui échappa.

Aéla, ça va ? demanda Sibbie.

Mais aucune réponse ne lui parvînt. Comme portée par une force supérieure, Aéla fendit la foule jusqu'à se retrouver au milieu de la petite arène formée par les Serpentard, surplombant le garçon qui agrippait la rambarde comme le naufragé s'accroche désespérément à sa bouée.

Tires-toi de là, Wayne ! siffla un élève qu'elle ne reconnut pas. C'est pas tes affaires !
Peut être veut-elle donner une bonne leçon à ce sang-de-bourbe ! ajouta une fille. Peut être veut-elle enfin agir en Serpentard ?

Des murmures s'élevèrent mais la jeune fille ne les entendit pas. Son ouïe cessa de fonctionner lorsque « sang-de-bourbe » franchit son oreille et fit vibrer sa cervelle. Alors les Serpentard s'amusaient à martyriser un élève parce qu'il était né de parents moldus ? Cela l'horrifia. Ses camarades n'avaient pas le droit de faire ça, personne n'en avait le droit !

Alors, qu'est-ce que t'attends ? demanda un autre garçon. Donnes-lui une bonne leçon !

Aéla parcourut elle aussi l'assistance à la recherche d'aide. Björn n'était pas là, peut être parce qu'il avait eu la présence d'esprit ou la lâcheté de passer son chemin. Sibbie demeurait prostrée dans le fond en fuyant son regard et Tom l'observait de manière impassible, au premier rang. Aéla le fixa pendant un long moment, espérant qu'un geste, un mot de lui mette fin à cette injustice mais le garçon resta égal à lui-même, comme si tout cela fut parfaitement normal. Mais ça ne l'était pas et Aéla comprit qu'elle ne pouvait compter que sur elle-même. Son regard s'abaissa sur le garçon qui l'observait avec l'espoir fou de celui qui n'a qu'elle à qui se raccrocher. Elle ne pouvait pas le laisser là.

Lâche ! signa t-elle à l'intention de ses camarades mais en particulier de Tom.

Le garçon cilla et fronça ses sourcils. Visiblement il n'était pas d'accord avec cette accusation qui assombrit son regard. De son côté, Aéla aida le garçon à se relever et, jouant des coudes pour passer à travers la foule, tout en essuyant les « traîtresse » et « sang-de-bourbe » qui fusèrent de toutes parts, autant pour elle que pour le garçon qui cachait sa tête dans sa robe ; elle dévala les escaliers pour mettre le plus de distance possible entre les Serpentard et le Serdaigle. Aéla ne ralentit le pas que lorsqu'ils arrivèrent à l'étage de la maison Serdaigle où il n'y avait pas un chat dans les couloirs. Elle n'avait pas l'intention de l'abandonner ici mais bien de le raccompagner jusqu'à sa salle commune, ce dont le garçon sembla se satisfaire. Il n'avait toujours pas décroché un mot et même si Aéla aurait voulu qu'il lui raconte comment tout ça était arrivé, elle le laissa dans son silence. Qui était-elle pour forcer les autres à parler de leurs malheurs alors qu'elle-même se terrait dans le silence pour les contenir ? Et puis, la jeune fille savait qu'il ne devait pas y avoir de bonnes raisons à ces actes. Le petit garçon devait sûrement se rendre en cours ou à la bibliothèque quand des Serpentard lui étaient tombés dessus. Aéla était fière d'appartenir à la maison de Salazar mais dans des moments comme celui-là, elle regrettait son affiliation et enviait la camaraderie qui faisait la renommée de Poufsouffle et Gryffondor.
Ils ne tardèrent pas à arriver devant la salle commune des Serdaigle. Le garçon s'attarda un moment devant le passage et Aéla se rendit compte qu'elle n'était pas censé voir ou entendre leur mot de passe. Elle offrit un dernier sourire au garçon et s'éloigna d'un pas léger, aillant le sentiment d'avoir fait ce qui était juste.

Attends ! l'arrêta le garçon.

Aéla se retourna. Il n'avait toujours pas ouvert le passage.

Merci, souffla t-il si bas qu'elle eut du mal à l'entendre. Vraiment, merci !

Aéla ne put que sourire et reprendre sa route. Avant qu'elle ne reprenne l'escalier pour rejoindre, à contrecœur, sa propre salle commune, elle entendit un frottement de pierres qui la rassura. Le garçon avait rejoint le confort et la sécurité de sa salle commune. Sa mission était accomplie et son coeur s'en sentit plus léger.
Un silence de plomb s'abattit sur la salle commune de Serpentard lorsqu'Aéla y fit son entrée. Tous les regards de ses camarades se fixèrent sur elle, allant du plus incrédule au plus assassin. Nul doute que son élan de bonté et de justice avait fait le tour de tous les Serpentards et qu'aucun de ses camarades n'en fut particulièrement fier ou reconnaissant. Ne souhaitant pas s'attarder au milieu de regards si hostiles, la jeune fille s'enfuit vers son dortoir où elle découvrit Sibbie, le regard non moins accusateur. A peine Aéla eut-elle le temps de refermer la porte que son amie sauta de son lit pour venir se planter devant elle.

Non mais qu'est-ce qui t'as pris ? s'égosilla t-elle. Pourquoi as-tu protégé ce garçon ?

Sachant que Sibbie ne comprenait que peu de mots de la langue des signes, Aéla sortit son carnet et un stylo d'une de ses poches, et se mit à griffonner.

« Parce que c'était juste. »

Tale of Jedusor : les jeux du sortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant