𝖻𝗋𝗎𝗆𝖾 𝖽'𝖾𝗌𝗉𝗈𝗂𝗋 ; 𝐭𝐨𝐦𝐞 𝐮𝐧

cinquante-et-un

jade ;

Mon esprit se perd quand je commence à penser à l'organisation des prochains jours.

La rentrée étant passée, il faut trouver un rythme qui conviendra à tous. Et même si j'ai toujours eu le sens de l'organisation, gérer tous les rendez-vous à honorer chaque semaine est un sport mental extrême.

Je soupire et compose le numéro de Ken pour la troisième fois de la soirée avant de jeter mon téléphone sur le canapé à l'entente de sa messagerie.

Je me tourne ensuite vers Danaë qui est devant la fenêtre avant de m'avancer vers elle.

- Viens, on va s'installer à table, ça fera peut-être venir ton père

Je caresse son crâne pour la sortir de sa rêverie et me rends devant la table à manger pour disposer nos assiettes et le plat principal.

Quelques minutes plus tard Danaë me rejoint enfin, et on débute le repas dans un silence reposant.

- Il faut qu'on prépare ton sac pour demain ma chérie. Mange tranquillement, on le fera ensemble tout à l'heure

Je lève ma tête vers ma fille et sursaute quand je la vois lâcher ses couverts avant de me regarder.

- Non

Je fronce les sourcils et dégluti lentement lorsque je vois qu'elle ne me lâche pas du regard et qu'elle répète à nouveau :

- Non, non, non

- Qu'est-ce qu'il y a ? Pourquoi non...?

- Pas, je ne veux pas y aller

Je baisse les yeux avant de les relever vers elle qui observe désormais son assiette avec dédain.
Je m'accorde quelques secondes pour réunir les bons mots, sauf que je me retrouve incapable d'en dire plus.

Tout semblait être rentré dans l'ordre, même si Danaë a eu quelques jours difficiles, on a remarqué aucun changement de comportement et on a jamais été confronté à ce type d'opposition de sa part pour aller à l'école.

J'ai l'impression d'avoir raté quelque chose.

- Tu veux pas me dire pourquoi ?

Pendant de longues minutes, j'essaie de communiquer avec elle qui ne me répond plus, ne me regarde plus, ne m'écoute peut-être même pas. Elle fixe son assiette depuis plusieurs minutes déjà, tandis que moi je ne touche plus à la mienne.

Je me lève et me rapproche d'elle avant de saisir sa chaise pour que je puisse m'installer face à elle, et avoir accès à son visage :

- Si tu ne me dis rien, je ne peux pas comprendre...

Je soupire et reprend :

- Je t'ai entendu, j'ai compris que tu ne veux pas y aller. Mais j'aimerais savoir pourquoi...est-ce que tu veux qu'on parle à ta maîtresse ?

- Non

- À Alice alors ?

Elle secoue la tête et s'arme à nouveau de silence, mon cœur se serre et j'ai envie de ressortir mon repas, ne sachant plus quoi faire.
Je tends ensuite ma main pour la toucher mais je sursaute à nouveau quand elle la saisit pour mieux la rejeter.

Un bruit court et sec sort de sa bouche et je la vois froncer les sourcils.

- Eh... Dadou...

Elle se redresse et quitte sa chaise.

- PARS !

Doucement, en essayant de ne pas la brusquer, je me lève à mon tour et la suis tandis qu'elle se dirige vers les escaliers et s'enferme dans sa chambre par la suite.

Alors arrivée devant la porte de cette dernière, je soupire avant de poser mon front contre l'élément qui me sépare de ma fille.

- S'il te plaît... Maman veut juste comprendre... ou bien juste te consoler... je veux pas que tu sois triste...

Mon cœur se brise quand j'entends des reniflements de sa part à travers la porte.

Et pour la première fois de ma vie, je ne tiens pas compte de son avis et entre dans la chambre, chose qu'on ne fait jamais.

On a toujours mis un point d'honneur sur le fait que, cinq ans ou pas, Danaë a besoin de son intimité, de consentir ou non notre venue dans sa chambre, comme dans la salle de bain, encore plus dans cette pièce d'ailleurs.

Sauf que là, je suis impuissante face à la situation et surtout désarmée, je me sens atrocement seule à cause du fait que Ken ne soit pas présent, alors je passe au dessus de la règle que j'ai moi même instaurée.

Danaë se retourne vivement vers moi et écarquille les yeux lorsqu'elle se rend compte que je suis devant elle, puis elle se met à crier avant de pleurer à chaudes larmes.

Elle me demande de partir.
De ne plus revenir.
De la laisser tranquille.
Elle me dit qu'elle me déteste.

Et là aussi pour la première fois de ma vie, j'ai envie qu'elle se taise. Pour la première fois de ma vie je n'ai plus envie d'entendre le son de sa voix qui me retourne l'estomac.

Mes mains se mettent à trembler et ma vue devient de plus en plus trouble face à la vision du corps de ma fille épris de spasmes, qui visiblement a besoin de moi, mais qui me rejette du plus profond de son âme.

Je me recule lentement, pour me retrouver au pied de la porte, dans le couloir, mais toujours en la regardant s'énerver chaque seconde un peu plus.

- C'est bon... c'est bon... regarde j'suis plus dans ta chambre

Je ferme les yeux un quart de seconde en échappant un sanglot avant qu'elle se précipite vers moi pour me fermer la porte au nez, avec rage.

Alors je pleure un peu plus, jusqu'à ne plus réussir à avaler correctement ma salive.

Je suis fatiguée, autant physiquement que mentalement, et je n'ai plus la force d'aller à l'encontre de qui que ce soit, encore moins de ma fille.

Après un moment d'absence à rester concentrée les yeux vers le sol, je me décide à m'allonger dans ma chambre en attendant qu'elle se calme.

Et quand je sens une main glisser sur mon dos et mon ventre, je comprends que Ken vient de rentrer.
Alors j'ouvre les yeux avant de froncer les sourcils en remarquant que la nuit est tombée.

- J'suis là bébé

Par reflexe, je regarde le réveil qui m'indique qu'il est quatre heures cinquante sept du matin.

Je soupire donc mais ne relève pas, bien trop fatiguée pour ça, alors je me contente de refermer les paupières pour apprécier le baiser qu'il m'offre sur mon épaule avant que je ne m'endorme une seconde fois.