soixante

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jade ;

Je grimace de douleur et pose ma main sur le mur de la chambre avant de souffler.

- Ça se rapproche de plus en plus bébé, faut y aller

Je ferme les yeux en soufflant encore et toujours avant d'hocher la tête.

- Tu veux que j'te porte ?

Je n'arrive pas à lui répondre, je ne peux que serrer les dents.

- J'savais qu'on aurait dû s'installer en bas le temps ça arrive...

La douleur paralyse la plupart de mes membres, je me tourne et mon dos se heurte contre le mur avant que je me laisse glisser le long de ce dernier pour enfin m'assoir à même le sol.

J'ouvre les yeux et perçois le visage de Ken qui est le reflet de son état : fatigué.

Il s'accroupi face à moi et pose ses mains sur chacune de mes joues.

- T'es la femme la plus forte du monde, tu le sais ça ?

Une larme m'échappe.

Une heure plus tard, je me retrouve installée dans une chambre d'hôpital à attendre la naissance de mon fils pour enfin commencer mon deuil.

Et je me met à penser.
À ce que nos vies auraient pu être s'il avait pu vivre.

Est-ce qu'il se serait bien entendu avec Danaë ?
Quel aurait été son caractère ?
À qui aurait-il ressemblé le plus en grandissant ?

Je soupire et quand Ken s'approche de moi, je réussis malgré tout à lui adresser un sourire triste entre deux larmes.

- Il m'a dit qu'il vont venir t'examiner pour la péridurale, d'accord ?

Il caresse mon front en sueur.

- C'est bientôt fini mon ange... je suis désolé...

Je ferme les yeux.

- C'est pas de ta faute

- C'est pas de la tienne non plus

Un sanglot m'échappe alors que Ken embrasse ma main après l'avoir joint à sa bouche.

- Je t'aime, je t'aime, je t'aime Jade

Je pleure deux fois plus en sentant mon cœur se briser à chacun de ses mots.

- Moi aussi, moi aussi je t'aime

J'ouvre les yeux.

- J'ai mal...

Il soupire.

- C'est une dinguerie à quel point on oublie. J'ai pas l'impression que c'était si long pour Danaë...

J'hoche la tête en soufflant.

- Si c'était possible, je prendrais toute ta douleur sur mes épaules...

Je le regarde un moment en détaillant chacun de ses traits. En me demandant si au final, je le mérite.

Ken est un homme bon, à l'écoute, qui me donne de l'amour à n'en plus finir.

Je me sens nulle face à lui, je me sens incapable de lui donner des enfants en bonne santé.

Et savoir qu'après l'accouchement, nous allons devoir se plier à une batterie d'examens pour savoir si nous sommes biologiquement compatible me tord l'âme.

Parce-qu'un enfant mort avant l'accouchement après avoir donné naissance à un enfant atteint d'autisme, ça intrigue. Et les médecins nous ont suggérés de suivre quelques formalités. Au cas où.

Alors que moi je ne me vois plus du tout redevenir mère.

Plus jamais.

Lorsqu'on me pose la péridurale, je réussis à me calmer, mais je ne parviens toujours pas à dormir.

Ça fait désormais trente-six heures que je n'ai pas fermé l'œil.

Ken aussi.

Mon brun est assis à côté de moi, sa main est toujours confinée dans la mienne, sa tête est sur ma cuisse, et il me regarde sans un mot.

Et ce jusqu'à ce qu'on vienne enfin nous chercher pour qu'on m'installe en salle d'accouchement.

Allongée sur ce lit où je vais rencontrer mon enfant qui n'est plus en vie, je me retrouve éprise d'une série de larmes incontrôlable, et quand je tourne ma tête vers Ken, je constate qu'il est dans le même état que moi.

J'ai envie de le consoler. Mais je n'y arrive malheureusement pas.

- Vous êtes prête ?

- Non

L'infirmière grimace.

- Je comprends madame Samaras... mais malheureusement il le faut bien...

Elle s'approche de moi, pose sa main sur ma cuisse, et murmure :

- Je vous laisse deux minutes d'accord ? Après on sera obligé de commencer à pousser...

J'hoche la tête et cherche la main de Ken que je retrouve avec hâte avant d'embrasser chaque parcelle de sa peau en pleurant.

- Je suis tellement tellement mais tellement désolée...

Il fronce les sourcils avant de se pencher, le visage trempé par ses larmes.

- Tais toi, tais toi Jade ne redis plus jamais ça de ta vie, arrête

Je ne répond pas et me laisse dépasser par ma tristesse avant que l'infirmière revienne afin de débuter l'accouchement.

- À trois, il faudra pousser, d'accord ?

J'hoche la tête et elle dicte le décompte avant que je bloque ma respiration afin d'utiliser toute la force que je réussis à reunir.

Et malgré toute la fatigue que je ressens, notre enfant fait son apparition et son départ dans ce monde quelques minutes plus tard.

L'équipe médicale nous laisse enfin seuls, et je ne peux pas décrire ce qu'il se passe en moi lorsque je prends dans mes bras mon fils.
Ma peine n'est même pas descriptible tant elle est intense. Ken s'assoit sur le lit et se penche vers nous, mon cœur se brise une énième fois quand je sens une de ses larmes atterrir sur ma main.

- Com..ment.. ça se fait qu'il...qu'il soit aussi beau...?

Je ne réponds pas et pleure encore plus quand je vois ses doigts effleurer les joues du corps sans vie dans mes bras, que je serre contre moi avant d'embrasser son front.

Ken fait la même chose que moi avant de chuchoter près de son oreille, je n'entends pratiquement pas ce qu'il lui dit mais je ressens tout l'amour qu'il lui porte.

- Maé

Ken fronce les sourcils et me regarde.

On avait pas encore choisi de prénom avant d'apprendre le drame.

Mais là, à cet instant et en l'ayant dans mes bras, je viens d'avoir une sorte de révélation. Il a un visage doux, reposé, il a de beau cheveux et même si son teint ne le met pas en valeur. Je le trouve magnifique.

- Maé, t'aime bien... ?

Il sourit alors que ses larmes coulent encore, puis il hoche la tête avant de m'embrasser longuement, avec toute la tendresse et la tristesse du monde en même temps.

- Ouais, Maé...

Il baisse les yeux et regarde Maé, avec un sourire aussi sincère que peiné sur ses lèvres, tandis que je ferme les yeux et laisse tomber ma tête sur l'oreiller.

Pas tout à fait consciente de ce qu'il vient de nous arriver.

𝖻𝗋𝗎𝗆𝖾 𝖽'𝖾𝗌𝗉𝗈𝗂𝗋 ; 𝐭𝐨𝐦𝐞 𝐮𝐧 Où les histoires vivent. Découvrez maintenant