huit

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ken ;

Le vent frais de la nuit tombée m'a toujours plu, il me permet de me laisser porter, je peux oublier le temps d'un instant ma vie stressante et éreintante, en marchant le long des rues de ma ville, bercé par les bruits qui la définissent.
Ça fait presque un quart d'heure que je marche, chose qu'avant, je faisais quotidiennement, et j'ai presque le cœur meurtri en me rendant compte que j'ai dû tout changer, jusqu'à des détails de ma vie d'avant.

Marcher est généralement ce qui m'inspire le plus, surtout à Paris, la nuit. J'essaie tant bien que mal de combler ce vide lorsque je suis en déplacement, pour bouger pendant quelques heures, à la recherche d'inspiration.
Pourtant ce soir j'ai fait une entorse à toutes ces choses auxquelles j'ai été forcé de renoncer il y a quelques mois.

En pivotant ma tête vers ma droite, j'aperçois la petite brune qui marche à mes côtés, et je crois que c'est à partir de ce moment là que je comprend que je pourrais payer pour qu'elle ne me quitte jamais.

J'ai l'impression d'être compris, elle ne pose jamais de questions, elle est pas envahissante, elle est juste elle, et ne joue pas un rôle.
J'en ai connu des femmes, des peut-être plus belle que Jade, avec une situation bien moins compliquée, mais elles n'ont jamais réussi à soulever ne serait-ce qu'une seule fois la barrière qu'il y a entre l'homme et l'artiste.

Avec Jade, j'oublie que je suis connu, et qu'il y a à peine quelques semaines, elle me lisait en pensant ne jamais me voir de sa vie.

- T'as froid ?

- Non

Je reprends ma route en regardant cette fois-ci devant moi, sa réponse est seulement pour moi la confirmation qu'elle ne veut pas qu'on s'arrête, car depuis le début, elle est concentrée, dans ses pensées et je ne veux pas la couper, je connais bien trop les bienfaits que l'on peut ressentir lorsqu'on évacue, au fil des pas, ce qui nous tracasse.
Une bonne dizaines de minutes plus tard, on arrive sur mon lieu préféré, et il me semble que c'est là que Jade se reconnecte à la vie réelle, car elle souffle :

- Le Pont de la Concorde...

Je ferme les yeux, accoudé au pont en question.
Je profite de l'instant en ne répondant même pas à la brune, qui elle, m'a rejoint mais en se mettant à l'inverse de moi, dos à la Seine.

- Ça fait trop longtemps que je ne suis pas venu ici

Mon cœur rate un battement quand je la vois prendre de l'élan, pour pouvoir s'assoir sur le pont, ce qui la fait sourire

- Eh, j'compte pas mettre fin à mes jours, calme toi

Je mime un sourire triste alors qu'elle me confie :

- J'ai toujours aimé l'humilité dont tu fais preuve, que ce soit dans tes récits, dans tes interviews et même dans ta façon de soutenir les gens qui t'entourent. Mais en te rencontrant j'pensais trouver quelque chose qui me ferais dire qu'en fait, c'est peut-être qu'un personnage, mais non, j'ai même la folle impression de te connaître depuis toujours. Mais ça me pousse aussi à constater que toi, tu connais rien de moi

Je fais une moue dubitative, ne sachant pas trop où elle veut en venir, puis elle reprend :

- J'ai l'impression...non, j'en suis sûre, qu'on n'est pas parti sur des bases saines toi et moi. Alors je vais essayer d'être honnête avec toi, vu que j'arrive même pas à l'être avec l'homme qui partage ma vie... mais en te rencontrant, je suis devenue menteuse, dissimulatrice et carrément infidèle

Elle ancre ses yeux dans les miens, comme pour me maintenir en silence.

- À partir du moment où je cache, où je dissimule et que je ne dis pas la vérité à mon mari : je trompe. Le problème dans tout ça, c'est que j'arrive pas à comprendre comment en rencontrant un homme aussi bon que toi, je sois devenue si mauvaise

Elle marque une pause avant de continuer, toujours ses yeux plongés dans les miens.

- Ça m'était jamais arrivé avant, et j'veux pas te faire porter le poids de ma culpabilité. J'veux surtout pas que tu crois que c'est dans ma nature. J'ai pas l'impression d'avoir un jour été une menteuse, et j'ai jamais été infidèle. Pour moi, c'est deux choses que je qualifie d'impardonnables, et j'ose même pas imaginer la douleur que je pourrais ressentir si les rôles étaient inversés

Je garde le silence, je suis sonné par ses confessions qui me font mal autant qu'à elle.

- Je sais pas si c'est une sorte de coup de cœur, l'envie de mettre du piment dans ma vie, j'arrive pas à comprendre mon corps et mes pensées en ce moment, savoir si j'suis honnête avec moi même ou si c'est juste mon cerveau qui me joue des tours. Et aussi bien j'te dis tout ça alors que toi, tu veux une amie, rien de plus. C'est totalement ridicule, mais j'ai peur d'être aveuglée par le fait que comme j'ai toujours mis sur un piédestal tes revendications, tes tournures de phrases, ta façon d'imager les situations les plus glauques en doux poème, que je sois comme une petite fille face au père Noël

Je souris en ne sachant pas trop quoi faire.
J'ai l'envie de la taquiner, pour détendre l'atmosphère qui s'est bien trop alourdit.
Mais j'ai conscience, je sais que c'est pas le moment. Que si toutes ces questions sont dans son esprit, c'est qu'elle a été prise au dépourvu.

Elle aussi, n'avait pas prévu ce qui est en train de se passer.

Je me décale donc du garde corps pour me placer devant elle avant de prendre ses mains.

J'ai envie de lui répondre que pour moi c'est pareil, à l'exception que dans ma vie moi, je n'ai personne, sauf que quand elle presse ses mains contre les miennes, je sens sa bague qui est gelée par le froid, et qui me ramène à la réalité. Autant que cette dernière le ramène à lui.

Je déteste cette bague qui est gelée, et qui me glace le sang.

𝖻𝗋𝗎𝗆𝖾 𝖽'𝖾𝗌𝗉𝗈𝗂𝗋 ; 𝐭𝐨𝐦𝐞 𝐮𝐧 Où les histoires vivent. Découvrez maintenant