𝖻𝗋𝗎𝗆𝖾 𝖽'𝖾𝗌𝗉𝗈𝗂𝗋 ; 𝐭𝐨𝐦𝐞 𝐮𝐧

dix-neuf

ken ;

Les jours passés près des miens m'ont ressourcé, et c'est tout ce dont j'avais besoin, tout ce que je suis venu chercher ici.
Autour de la table, ma sœur rit avec Amine, Adrien et Hakim jouent aux cartes avec mon père, et ma mère comme à son habitude, est dans la cuisine, en train de débarrasser et faire mille allers retours sous les protestations de chacun d'entre nous, qui lui demandons à chaque fois de s'assoir, en lui assurant qu'on rangera plus tard, mais elle n'en fait qu'à sa tête.

Tout à l'heure elle m'a même jeté de la cuisine lorsque je suis arrivé avec les assiettes en mains.

Ma sœur a sorti les albums de famille, et même si mes gars m'ont vu dans des états douteux, j'ai toujours du mal à regarder les clichés de mon passé devant du monde.

Étant pudique de nature en ce qui concerne mes sentiments, faire face à une époque révolue me rend toujours d'une certaine manière nostalgique.

Une photo qui dépasse d'un album posé à côté de moi m'interpelle, et malgré moi je la saisi puis souris quand je constate qu'il s'agit d'Irène, âgée d'à peine quatre ans, qui pose avec ma grand mère.

Je lève les yeux pour l'observer, elle qui a aujourd'hui vingt ans de plus, et je me fais la réflexion que le temps passe vite, un peu trop, car j'ai pas vu à quel point les années se sont enchaînées en un tourbillon d'événements pour moi.

- Elle était belle hein ?

Je tourne ma tête vers ma mère qui arrive enfin, et qui s'installe à côté de moi.

- Elle l'est toujours

- C'est vrai... mais c'est pas pareil... ici, elle avait encore sa tête de bébé

Je détaille encore un peu ma sœur, et même si objectivement ma mère a raison, j'ai encore beaucoup de mal à enlever l'image de bambin que j'ai d'elle.

- Tu comprendras quand tu auras des enfants, ils ont une beauté pure en eux à cet âge là, c'est juste magnifique

Je me tourne vers elle.

Je sais qu'elle attend bien sagement de devenir grand-mère. En fait je crois que son côté maternelle n'est jamais bien partie.

- Tu crois que j'aurais des enfants ?

- Ça, c'est la volonté de Dieu, mais je te le souhaite de tout cœur, c'est la plus belle chose qui me soit arrivé

- Et si pour moi c'est pas le cas ?

Elle pose une main sur mon épaule, elle semble avoir compris que j'ai besoin qu'elle m'en dise plus.

- Ça donnera un sens à ta vie Ken, ton père n'a jamais été aussi prêt que lorsqu'il t'a vu pour la première fois, et je t'avoue que moi aussi, j'me suis posé les mêmes questions que toi, en me demandant même si c'était pas une légende créé pour que les humains se reproduisent quand j'ai senti à quel point les contractions étaient douloureuses...

Je ris en attrapant sa main, je me rends compte qu'être mère, c'est mettre sa vie en suspend, sacrifier son corps.
« Décider d'avoir un enfant c'est accepter que votre cœur se sépare de votre corps et marche à vos côtés, pour toujours », cette citation m'a toujours fait frissonner, et elle me permet de me rendre compte à quel point ma mère peut avoir mal quand j'ai mal.