𝖻𝗋𝗎𝗆𝖾 𝖽'𝖾𝗌𝗉𝗈𝗂𝗋 ; 𝐭𝐨𝐦𝐞 𝐮𝐧

cinq

jade ;

Maël me parle depuis le début de la matinée, pourtant moi je suis ailleurs, et je n'arrive pas à me concentrer ne serait-ce que sur un seul de ses mots.
Il a pu prendre sa journée, ce qui est plutôt rare à cause de son poste de commercial qui lui prend beaucoup de temps.
Cependant je n'arrive pas à profiter pleinement de sa présence, moi qui avant, aurais sauté sur l'occasion pour nous préparer un bon repas, un marathon de films, qu'on aurait au final même pas regardé, trouvant sûrement mieux à faire que de regarder des gens s'aimer à travers un écran, en voulant nous même être les acteurs de notre propre vie.

Je suis incapable d'expliquer pourquoi, ou plutôt c'est le contraire, je sais mais ne veux pas le reconnaître.
J'ai pas le courage de me rendre compte de ce que je suis en train de vivre depuis plusieurs semaines. Et je me maudis un peu plus chaque jour, en regardant mon premier amour, l'homme que j'ai vu grandir, dans tous les sens du terme, lui et ses yeux verts qui m'ont fait rêver, celui qui m'a tout appris, qui m'a épaulé, m'a fait découvrir des sensations inédites, qui m'a fait voyager avec le peu de moyens que l'ont avait.

Celui à qui j'ai dit oui devant le maire, et à qui aujourd'hui je serais incapable d'affirmer que si la distance n'était pas un obstacle pour moi, je céderais pas à la tentation.

Je ne mérite pas la vie que je mène, et me sens à ma place nulle part.
J'ai rien dit à personne, encore moins à celui qui partage mon quotidien. Et ce dernier point ne fait que confirmer le fait que ce que je fais est mal.
Certains dirons que non, d'autres diront clairement le contraire, et je serais du même avis que ceux de la deuxième partie.
Je nage dans le doute chaque jour, force mes lèvres à s'étirer à chaque instant passé avec mon mari, et reste évasive sur tous les sujets, avec Naïs.

Je ne veux dévoiler cette partie de ma vie à personne.

J'ai enlevé tout ce qui me ramène de prés ou de loin à son univers, enlevé ses livres de ma bibliothèque, essayant d'ignorer ses messages, ou bien encore ses publications sur Instagram. Mais il suffit d'une seule seconde, pour que je reprenne mon cellulaire, compose son numéro, seul obstacle qui me permet d'accéder à ses paroles, à ses mots qu'il sait manier à la perfection, et à son rire enfantin, me ramenant sans cesse à son visage, son regard rieur et son rictus qui le caractérise parfaitement.

J'ai peur d'assumer ce que je suis en train de faire : bafouer ma promesse.

Mais au fond, le vrai problème, c'est que je sais pas de quoi je suis capable. J'ai jamais connu d'autre homme que Maël. En fin de compte je connais seulement les conversations avec lui, les rires, l'amitié, l'amour, la séduction, la sexualité, la vie avec Maël.

Seulement avec lui.

Ma vie est toute tracée : rencontre, mariage, enfants, c'est ça mes plans, et depuis toujours, je me suis forcé à croire que ça, ça correspondait à ma vie de rêve, annulant mes projets pour devenir architecte, ayant pourtant été acceptée dans une grande école à Paris, mais j'ai cru comprendre qu'accepter le fait de quitter ma ville natale, c'était renoncer à une prétendue vie maritale avec Maël.

- Tu m'écoutes ?

- Euh... Non j'suis désolée, mais j'me sens pas bien

Il s'avance et pose sa bouche sur mon front afin de voir si j'ai de la fièvre et ce contact me brûle la peau, comme un avant goût de la sentence à venir.
Une minuscule larme s'échappe, mais je prends sur moi pendant de longues minutes afin de contrôler les sanglots qui menacent de sortir.
Une fois seule dans mon lit, après avoir dit à mon mari que je préfère repartir me coucher, je cède et je lâche finalement un torrent de larmes.

[...]

En me réveillant de ma sieste, l'impression que tout va bien m'accompagne le temps d'une seconde, comme si je n'avais jamais rencontré Ken sur le parking en face de mon lieu de travail, qu'il ne m'avait jamais fait rentrer à cette soirée. Puis en regardant l'heure sur mon téléphone et en voyant un appel manqué de sa part, je comprends très vite que non, ce n'est pas un cauchemar, mais bien la réalité.
Je prends le temps d'émerger, passe de l'eau sur mon visage, puis pars à la recherche de Maël dans tout l'appartement, mais je ne trouve qu'un morceau de papier qui m'informe que finalement, il a reporté sa journée pour une autre fois, et qu'il est reparti au travail.

La culpabilité ne fait que de grimper lorsque je me surprends à ressentir du soulagement en lisant ses mots, qui en fait, m'informent plutôt j'ai quelques heures devant moi pour me préparer à l'affronter.

Lundi prochain, je prends bagage pour quatre jours en direction de la capitale, il s'agit d'un voyage d'affaire que je fais pourtant souvent dans l'année, mais que je redoute beaucoup plus cette fois.
Je ne pourrais jamais savoir s'il s'agit d'illusions, si vraiment mon cœur me joue des tours, donc ce voyage est pour moi une sorte d'ultimatum. Et je comprend que la balance penche pour l'instant vers la tentation lorsque je prends sans réfléchir mon téléphone pour pianoter quelques mots à celui qui hante mes pensées.

Jade :
Coucou, désolée je suis assez occupée ces derniers temps, je prépare un voyage d'affaire vers la capitale pour la semaine prochaine, bisous.

En faisant ça, je lance clairement les hostilités, annonçant à Ken que je débarque dans sa ville dans quelques jours, lui informant que la porte est ouverte à une éventuelle rencontre.