𝖻𝗋𝗎𝗆𝖾 𝖽'𝖾𝗌𝗉𝗈𝗂𝗋 ; 𝐭𝐨𝐦𝐞 𝐮𝐧

cinquante-neuf

ken ;

Jade relève son t-shirt en s'installant confortablement sur le minuscule lit qui lui a été attribué avant que la sage femme encercle son ventre d'une sorte de ceinture qui permet de vérifier les battements du cœur de notre fils.

Je soupire avant de retenir ma respiration lorsque la femme en blouse blanche fini d'installer l'équipement à ma brune.

Je m'avance ensuite et saisis la main de Jade qui serre la mienne jusqu'à limite me la broyer. Pourtant rien ne peut me faire plus de mal que de la voir dans cet état.

J'apporte sa main à ma bouche et dépose quelques baisers en fixant le petit écran à côté du lit que la sage femme allume en restant devant.

Les secondes passent.
Lentement.
Sans qu'aucun bruit ne brise le silence qui me consume petit à petit.

Je tente de regarder Jade qui semble ne plus faire partie de ce monde.

Elle n'est plus là. Mentalement, ma brune est loin.

Je reporte mon attention sur la sage femme qui se retourne pour nous regarder tour à tour. Et sans même qu'elle ne dise un mot, je comprends.

Et je ressens que Jade aussi, car sa main devient lâche, et retombe directement sur le matelas dans un bruit sourd et douloureux à entendre.

Je n'ai même pas la force de resserrer mes doigts contre sa peau.

- Je... Il n'y a plus d'activité cardiaque...

Rien.

Rien dans ma vie ne m'a fait plus mal que cette annonce et ce regard rempli de pitié.
Le cœur de mon fils s'est arrêté de battre, et comme si mon esprit venait d'assimiler cette information, le mien se met à accélérer la cadence jusqu'à me faire mal. En ayant l'impression qu'il se fissure à chaque battement.

Je sens mon sang bouillir mais paradoxalement une vague de froid s'empare de mon corps, resté immobile à côté du lit.

Le temps semble s'être arrêté, hier tout allait bien, aujourd'hui tout est remis en cause.

- Attendez, ça veut dire quoi ?

Je fronce les sourcils à l'entente de la question de Jade, je la regarde et ma douleur redouble d'intensité en voyant sur son visage qu'elle est dans un déni des plus complets.

Elle se redresse jusqu'à s'assoir sur le lit, en regardant droit dans les yeux la sage femme.

- Si vous voulez on peut faire une échographie pour être vraiment sûr, mais malheureusement s'il n'y a plus d'activité cardiaque, il est impossible qu'il soit toujours en vie...

Jade ne bouge pas.
Moi non plus.
Et je vois bien que la brune devant nous est totalement désarmée.

- Je... je dois appeler le médecin, je... je vous presentes mes sincères condoléances, vraiment

Je n'ai plus aucune notion du temps. Plus aucune sensation, j'ai même pas l'impression d'être vivant, si ce n'est que je ressens encore et toujours cette brûlure au plus profond de mon cœur et de mon âme.

Je contourne le lit pour me retrouve face à Jade qui a le regard perdu, rivé sur le sol.

Maladroitement, ma main se glisse dans ses cheveux, elle relève les yeux vers moi, et mes larmes coulent quand je vois qu'elle est complètement vide.

- Ken, dis moi que c'est un cauchemar. Dis moi que je vais me réveiller à tes côtés, qu'on est en retard pour emmener Danaë, et que dans quelques semaines on aura notre deuxième bébé. Je t'en supplie...

La bile me monte à la gorge, désormais toutes les émotions s'enchaînent et se bousculent.

La tristesse, l'amertume, l'injustice, la douleur, l'incompréhension.

Qu'est-ce qu'on a fait pour mériter ça ?

- Jade... je-

- Ne me répète pas ce qu'elle vient de me dire. Ne le dis pas, s'il te plaît je ne veux pas te l'entendre dire, pas toi

Je ferme les yeux et les ouvres la seconde d'après lorsque le médecin fait son entré. Il a une mine grave et s'arrête devant nous en nous présentant lui aussi ses condoléances.

J'suis à deux doigts de rire nerveusement, comme si j'étais dans un mauvais film. Pourtant la suite de son discours me coupe littéralement les jambes.

- On va devoir faire une échographie, j'en suis désolé mais c'est obligatoire. Il faut qu'on s'assure de votre santé à vous désormais madame. On va faire plusieurs examens et après malheureusement il va falloir déclancher l'expulsion par médicament

- Par...par médicament... ? l'expulsion... ?

Il hoche la tête.

- Oui, vous allez devoir accoucher

J'avale difficilement ma salive tandis qu'il ajoute :

- Vous allez prendre le médicament ce soir, ça risque de prendre plusieurs jours, je préfère vous prévenir. Mais le maximum c'est deux jours, au delà si vous n'avez pas de contractions, vous venez directement et on fera le nécessaire

Jade reste immobile pendant que moi, je me contente d'hocher la tête.

- Vous pouvez nous laisser s'il vous plaît ?

L'homme acquiesce avant de sortir de la pièce, et en mettant de côté ma douleur et ma peine, je me tourne vers ma Jade qui a le visage inondé de larmes.

- Il est mort Ken...

Je soupire en grimaçant quand je me rends à l'évidence moi aussi.

On a perdu notre enfant.

- Allonge-toi bébé...

Machinalement et sans réfléchir, agissant comme si elle était un robot, elle s'allonge et me fait de la place pour que je puisse la rejoindre.

Jade a toujours été très calme. Mais là je sais que c'est juste le temps d'accuser le coup. Elle ne vas pas rester si impassible longtemps et silencieuse indéfiniment.

L'un en face de l'autre, nos yeux ne se quittent pas et je place ma main devant son visage pour que la sienne la rejoigne.
Je la serre le plus fort possible et un sanglot s'échappe de mes lèvres en même temps que mes yeux se posent sur son ventre.

Jade ferme les yeux et ses larmes coulent chaque seconde un peu plus, elle se met à trembler, à gémir, et je lâche sa main pour la prendre dans mes bras et lui chuchoter que je l'aime, que je suis là.

Pendant qu'elle, reste silencieuse en s'accrochant de toutes ses forces à mon sweat.

Quelques minutes plus tard, on assiste à la dernière échographie de notre fils. C'est la scène la plus déchirante que j'ai pu vivre.

Puis on donne une gélule à Jade qui l'avale sans même boire une gorgée d'eau, pendant que le docteur informe qu'elle a le choix de rester ici, ou de revenir à la maison le temps que le médicament fasse son effet.

Finalement on choisit la deuxième option, donc on se retrouve dans la voiture, entourés d'un silence de plomb, jusqu'à arriver chez nous. Et lorsqu'on entre enfin, Jade se précipite à l'étage avant que je l'entende hurler.

Alors je monte les escaliers, pour la retrouver dans la chambre destiné à notre deuxième enfant, les genoux à terre et le front posé à même le sol.

Démunie et anéantie face au berceau qui était pourtant impatient d'accueillir notre fils.