𝖻𝗋𝗎𝗆𝖾 𝖽'𝖾𝗌𝗉𝗈𝗂𝗋 ; 𝐭𝐨𝐦𝐞 𝐮𝐧

soixante-cinq

ken ;

La semaine qui vient de s'écouler me revient en mémoire. J'ai l'impression que c'est loin, alors que c'est juste là.

Seul dans l'immense maison qu'on a acheté à notre retour en France, je recommence à observer chaque objet que Jade a minutieusement choisi pour décorer notre foyer.
Je souris face à nos photos, puis me décompose quand je vois le dossier de suivi de grossesse posé sur le buffet.
Mes doigts effleurent le papier cartonné qui recouvre toutes les données médicales de ma femme et de Maé.

Je déglutis ensuite et me retourne pour faire face à la cuisine vide, puis je m'avance pour me rendre à l'étage.

Lorsque je passe devant notre chambre, je m'arrête et observe la pièce encore pleine de traces de la présence de Jade. Le lit est encore défait et je sens d'ici son parfum ambré. Sur sa table de chevet j'peux apercevoir ses bijoux éparpillés, une bouteille d'eau et un livre mal refermé.

Pour la première fois depuis son départ, j'entre dans notre chambre et m'effondre sur le lit pour sentir son odeur qui me manque plus que jamais.
Puis je souris face aux souvenirs qui sont liés à cette pièce.

Lorsque tout allait bien.

Je reste de longues et interminables minutes allongé sur le matelas, avant de passer de pièce en pièce, avec à chaque fois la même douleur lancinante dans le cœur.

Elles ne sont pas là.

Quand je me retrouve devant la pièce resté fermé, je soupire longuement avant de me décider à l'ouvrir.

L'odeur du neuf, du bois, et surtout de l'amertume emplit mes narines quand j'avance dans la chambre de Maé.

Mes genoux retrouvent le sol pendant que je demande pardon au plus profond de moi, ayant l'impression d'être coupable de tout ce qu'il nous est arrivé ces derniers temps, à Jade et à moi.

J'suis même plus sûr d'etre un bon mari, d'être un bon père.

D'être un homme tout court.

Le vide prend possession de mon corps pendant un temps que je n'arrive pas à estimer, jusqu'à ce que je me retrouve projeté contre le mur de la pièce pour faire face à Hakim et Mikaël.

- Putain mais pourquoi tu nous réponds pas ?!

Je les regarde tour à tour et Mikaël soupire avant de poser sa main sur l'épaule d'Hakim qui me maintient.

- Mec, lâche le

Hakim dessere son emprise sur moi, qui reste silencieux face à eux.

- Tu me fous la haine Ken, tout le monde s'inquiète et t'as de la chance que mon dernier recours c'était de venir ici avant d'appeler Jade, sinon on l'aurait achevée ta femme en lui disant qu't'étais introuvable

Je baisse la tête avant que Bigo prenne la parole à son tour.

- T'as vu l'état d'la maison là ?

J'hausse les épaules.

- Frère te laisse pas aller, vous allez vous relever

- Nan, elle va me quitter

- Quoi ? Mais qu'est-ce que tu racontes ?

Hakim s'approche et fronce les sourcils.

- Tu lui as fais quoi ?

Je souffle.

- Vas-y...

- Oh, t'as fais quoi ?

- Elle a cramé des messages de l'AVS

Hakim ne réagit pas, mais dans son expression je peux voir son incompréhension tandis que Mikaël intervient :

- L'autre pute là ?!

J'hoche la tête.

- Parce qu'elle t'écrit encore en plus ? Mais frérot pourquoi tu m'as pas écouté ?

- Parce que c'est quand même la meuf qui suit ma fille mec. Et que s'il y avait quoi que ce soit j'étais joignable. Mais vas-y j'ai jamais répondu à un seul de ses messages mise à part quand c'était pour prévenir de mon retard, ou bien en rapport avec la p'tite. J'ai jamais rien tenté, j'ai jamais rien voulu, rien imaginé. Et je peux jurer que si Jade avait vu ses messages dans un autre contexte elle m'aurait crû. Je le sais. Elle a confiance en moi et elle sait que je l'aime bien plus que quiconque sur terre. C'est juste que putain... il fallait que ça arrive quand elle est en pleine remise en question d'elle-même...

Hakim rit nerveusement avant de passer une main sur son visage.

- Mais mec garde ta salive, ton énergie et tes arguments pour Jade, nous on s'en bats les couilles. On a zéro doute sur ta conduite, mais putain va la retrouver

- Elle veut pas m'écouter, elle veut pas me voir. Quand je les ai accompagnées à la gare c'est à peine si on s'est dit au revoir... Les gars j'ai même pas commencé le deuil de mon fils. J'veux retarder le plus possible le jour où elle va rajouter le deuil de notre mariage...

- Putain... mais pense pas au pire.. c'est maintenant qu'il faut vous prouver les choses

- Mais comment ? Gars je meurs pour elle et elle le voit même pas !

- Alors quoi ? Tu te bats même pas...?

- C'est pas ça... mais.. je sais pas comment agir. Elle a besoin d'être seule, et j'ai pas envie de faire quelque chose de déplacé. Mec je l'ai vu tenir notre enfant sans vie. Eh je sais pas si vous vous rendez compte une seule seconde de ce qu'elle a dû vivre, pendant vingt quatre heures elle a souffert le martyr, elle a eu trop mal, rien que d'y penser j'ai envie de crever. C'est horrible, j'ai cette putain d'image du matin au soir dans le crâne. Et je veux pas être l'enculé qui lui demande penser à moi, à nous. Ça, on verra plus tard, je veux juste qu'elle se repose, et si ça inclut le fait qu'elle doit être à l'autre bout du pays et bien j'accepte !

- Mais cette épreuve c'est à deux qu'il faut la surmonter Ken...

Je secoue la tête.

- Ouais j'ai mal, ouais j'suis abattu, mais je ne peux pas dire qu'on a ressenti la même douleur. Elle a porté notre fils pendant huit mois... huit mois les gars...

Hakim et Mikaël baissent les yeux et je soupire tandis que je baisse les miens avant de les ouvrir à nouveau, puis quand mes paupieres se lèvent, je fais face à Mikaël qui me regarde, et me demande :

- Tu l'aimes ?

- Mais c'est évident...

- Alors rejoins là et accompagne là. Dis lui ce que tu penses, ce que tu ressens

Il tourne sa tête vers Hakim, qui clôture :

- Ne vous détruisez pas.