𝖻𝗋𝗎𝗆𝖾 𝖽'𝖾𝗌𝗉𝗈𝗂𝗋 ; 𝐭𝐨𝐦𝐞 𝐮𝐧

prologue

ken ;

Assis côté fenêtre du bus, mon casque vissé sur mes oreilles, je laisse mon esprit vagabonder en observant le paysage qui défile à vive allure depuis maintenant plusieurs heures.

Malgré le volume de ma musique qui est à son maximum, j'entends mes amis et leur brouhaha habituel, car quand je me déplace, c'est jamais seul.

Je m'allonge sur ma couchette, appréciant le fait de donner du repos à mon dos qui n'en peut plus. On est déjà à la mi-juillet et demain soir sonne enfin ma dernière séance de dédicace, dans une ville du sud de la France.

Allez savoir, depuis enfant j'écris des poèmes et des récits en tout genre, et ça m'a mené ici, dans ce bus qui a déjà fait tant de kilomètres pour remercier les gens qui soudainement se sont mis à me lire un jour.
Et qui aujourd'hui se sont multipliés.

Pourtant j'ai l'impression que c'était hier.

J'ai l'impression que c'était hier qu'une maison d'édition m'a appelée pour m'informer qu'elle acceptait de me publier.
Je me souviens avoir sauté de joie. D'avoir souris pendant des heures. De ne pas avoir réalisé.

Je le réalise parfois toujours pas, d'ailleurs.

Il est aux alentours de midi lorsque le moteur se coupe, nous laissant dans un parking assez grand.
Je me redresse et observe un peu autour de moi.
Mes gars sont déjà sortis, le bus est d'un calme plat, avant que j'entende :

- Ken, tu viens ? J'ai la dalle, j'espère qu'il y a de bon restau' ici

Je me tourne et souris à Amine quand je m'avance vers lui.

- J'sais pas du tout, j'connais pas cette ville

Il hausse les épaules et tourne les talons, alors je le suis pour qu'on se retrouve à l'extérieur du bus.

Poser mes pieds sur la terre ferme fait émerger un sentiment de liberté en moi, l'air provincial n'a rien à envier à l'atmosphère ultra-polluée de la capitale, que je critique à la moindre occasion mais que j'arriverais jamais à quitter définitivement.
Je rejoins rapidement mes amis pour qu'on puisse enfin prendre la route, en se familiarisant un peu avec la ville qui nous accueille pour deux jours, mais aussi pour trouver de quoi manger.

Une grosse partie de mon entourage fait partie du voyage, et j'apprécie encore plus le fait d'être dans une petite ville, car ça me permet de déambuler avec mes frères d'une autre mère sans trop faire attention.
L'ascension qui m'a propulsée dans les médias m'a obligé à tirer un trait sur ma liberté individuelle. Je pense qu'être écrivain à mon âge, surtout poète à mes heures perdues, a attisé la curiosité de beaucoup.
Ce qui explique l'attitude étrange que les gens ont avec moi, parfois.

Je suis régulièrement invité à des événements caritatifs ou autre, et donc j'ai pu faire la connaissance de plusieurs grands noms bien plus connus que moi, alors plus d'une fois je me suis retrouvé dans des bourbiers à cause des théories consistant à faire des liens entre mes faits et gestes et mes textes, ou bien en m'inventant des liaisons avec des actrices, présentatrices, ou bien mannequins.

Et même si mon ego en est flatté, j'ai envie d'être moi même sans cette étiquette là, pour pouvoir faire ce que j'aime le plus après l'écriture, marcher dans ma ville, sans me cacher.

Comme là.

Je suis un peu en retrait, concentré sur mon téléphone, mais soudain, une petite main assez timide me tapote l'épaule.

Je me retourne alors et me retrouve face à une petite brune aux sourcils froncés.

- Mais je rêve ?!

Interloqué, je m'arrête limite de respirer pour l'analyser. Je me demande si je la connais, puisque elle, elle semble me connaître.
Pendant un court instant, je fais le film de ma vie et des filles qui ont bien pu y être mêler à un moment ou à un autre, mais non, rien. Sa tête ne me revient pas.

Bizarrement c'est elle qui commence à me détailler de haut en bas, je saurais pas décrire son comportement. On dirait qu'elle m'apprivoise. Et je sais pas quoi dire de plus qu'un simple :

- Quoi ?

Je vois ses lèvres s'étirer, elle sourit, Elle sourit grandement même, sans que je ne comprenne pourquoi. Enfin, en réalité je comprends rien du tout depuis déjà pas mal de minutes.

Mais elle, elle continue de me regarder et de sourire.
Et bêtement, ça provoque le mien.
Par mimétisme, sans trop réfléchir.

Je ne le savais pas à ce moment là.
J'étais ignorant.
Tellement novice.

Mais bordel, j'allais enfin connaître la définition du mot « destin ».