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jade ;

C'est la troisième fois cette semaine que je suis en retard. D'habitude en pressant un peu le pas j'arrive à ce qu'au final ça ne soit pas catastrophique. Mais là, ça l'est.

Je ne vérifie même pas l'heure avant de quitter le plus rapidement possible ma voiture, puis le parking qui est à quelques mètres de l'enseigne pour laquelle je travaille.

J'ai beau me répéter chaque matin que c'est la dernière fois que ça se produit, je me retrouve dans la même situation le lendemain.
Mettre mon réveil plus tôt ne fait qu'augmenter le nombre de fois où je clique sur le bouton qui permet de décaler la sonnerie.
Me coucher moins tard n'a aucun effet là dessus, préparer ma tenue la veille ou bien instaurer une routine aussi.

Rien ne marche.

Pourtant je suis une femme organisée. Je dirais même que j'ai une organisation hors paire, j'adore avoir le contrôle et ne pas me laisser dépasser par quoi que ce soit.

Malgré moi, un soupire s'échappe de mes lèvres une fois arrivée sur mon lieu de travail, avant que je rejoigne enfin mon poste.

Mon travail n'est pas des plus passionnants. Je suis derrière un ordinateur pendant des heures, à gérer des factures et des démarches administratives redondantes, parfois sans intérêts. Mais mon travail a le mérite de remplir mon frigo et de ne pas me suivre jusqu'à mon domicile.

Quand je quitte mon lieu de travail, celui-ci quitte ma tête. Et c'est un luxe.

Tout en marchant en direction de ma voiture, je plisse les yeux et détaille l'homme situé à quelques pas de moi, qui est visiblement concentré sur son téléphone.

Peut-être que j'hallucine, mais j'ai l'impression que cette silhouette m'est familière.

Le temps d'un instant, je réfléchis jusqu'à imaginer l'inimaginable. Soit qu'il s'agisse de mon écrivain préféré, dans ma propre ville.

Je secoue légèrement la tête, balayant comme je peux cette idée de mon esprit, et je continue ma route, tout en observant quand même d'un regard appuyé l'homme qui semble continuer de prendre le même chemin que moi.

Sauf que plus j'avance, plus je m'approche de lui, qui est toujours concentré sur son téléphone et qui donc, marche bien plus lentement que moi.

Et je le reconnais parfaitement.
L'inimaginable est en face de moi.
Il s'agit bien de celui que je lis depuis des années, que j'admire depuis tout autant de temps.

Je ne m'étais jamais demandé quelle serait ma réaction face à cette situation totalement surréaliste, car pour moi, ça ne pouvait jamais arriver.

Sans trop contrôler mes pensées ni mes actes, j'accélère le pas jusqu'à être à la même hauteur que lui, et reconnais tout de suite son profil, son bouc, son nez, sa bouche.
Prise d'un élan de folie, je pose ma main sur son épaule afin qu'il se tourne vers moi, et lorsqu'il ancre ses yeux dans les miens, je sens que mes jambes sont littéralement en train de me lâcher et que mes mains font aussi des siennes en devenant moites, alors que lui, me regarde en fronçant ensuite les sourcils.

- Mais je rêve ?!

Je me perds un peu à le regarder avec insistance, comme si je découvrais chaque trait constituant son visage, avant que sa voix me ramène à la réalité :

- Quoi ?

Automatiquement, je commence à sourire, je mords doucement l'intérieur de ma joue pour me forcer à reprendre le contrôle, puis je lui répond enfin :

- Oh euh, j'suis désolée, pardon. Je m'attendais pas à euh... 'fin...

Son visage se desserre un peu, il aborde désormais une mine plus sereine, ses sourcils se détendent, et ses lèvres s'étirent.

J'm'excuse si je t'ai surpris, mais je voulais être sûre que c'était toi, enfin, vous

Cette fois-ci il rit, et secoue la tête.

- C'est rien, c'est rien. Je suis juste très fatigué, je viens de faire un long trajet, et je savais pas trop si on se connaissait ou pas

Il me répond sur un ton rieur qui se lit tant dans ses yeux que dans sa voix. Il n'a pas l'air si fatigué que ça, du moins il n'a pas les mêmes marques sur le visage que moi lorsque je fais un long trajet.
La façon dont il me parle me plaît, et me confirme l'image que je me suis faite de lui, soit un gars bourré de talents mais qui reste simple, et qui a sûrement que très peu changé depuis qu'il s'est fait un nom dans le milieu de la littérature.

- J'ai juste une question... pourquoi ici ? J'veux dire, j'aurais été moins surprise de te, enfin, de vous croiser dans l'avion, à Paris, dans n'importe quel aéroport, mais ici...?

- Demain après midi on est en ville pour une dédicace, et le soir une soirée plus privée est organisée pour fêter la publication de mon nouveau livre. C'est pour ça que j'suis là en fait, j'suis jamais venu ici avant aujourd'hui. Mais s'il te plaît arrête de me vouvoyer

Je pouffe de rire tandis que lui, hausse les sourcils en souriant d'avantage. Moi, je tourne finalement la tête et en regardant les alentours, je remarque que l'un de ses ami est en train de se joindre à nous, sûrement intrigué par notre soudaine discussion.

- Si je comprends bien, tu as déjà lu l'un de mes livres alors ?

J'hoche vivement la tête.

- Je les ai tous lu. Tes livres, tes poèmes, je te suis dans tes œuvres depuis le début, je crois

Il paraît gêné, mais assez flatté également. Et moi, je souris d'avantage.

- Plus sérieusement, j'veux pas t'embêter plus que ça, et pour tout te dire j'ai pas trop le temps non plus, mais j'suis ravie d'avoir pu te voir et échanger avec toi, j'espère que ma ville pourrie te fera pas fuir et que tu reviendras, que je puisse quand même te voir pour que tu dédicaces la totalité de mes livres. Parce que honnêtement je suis passée à côté de l'annonce de ta venue ici et du cou-

- Attends, tiens, rentre ton numéro, je vais voir ce que je peux faire pour demain soir. C'est complet mais je vais tenter

Je souris encore plus, en passant outre le fait qu'il vient de me couper la parole. Je prends le portable qu'il m'a tendu, sous le regard assez surpris de ses amis qui se sont eux aussi rapprochés. Cependant je n'ignore pas l'opportunité qui s'offre à moi, quitte à y aller seule, ne connaissant pas grand monde pour me suivre dans mon délire.

Même pas mon mari. Pourtant, on a signé pour le meilleur et pour le pire.

- Une ou deux places ?

Je le regarde, incrédule.

- Hein ?

D'un signe de tête, il désigne ma main gauche.

- Ton alliance, tu seras accompagnée ?

- Euh... tu me prends un peu de cours là, je sais pas, c'est déjà très gentil de ta part... je veux pas profiter de ta gentillesse et-

- Ken, l'heure tourne

Son ami se tourne vers moi, et poursuit :

- J'suis désolé, mais on vient tout juste d'arriver d'un long trajet

Je rends le portable à son propriétaire avant de me tourner et m'excuser auprès du petit groupe à côté de nous. J'offre ensuite un dernier sourire et tourne les talons afin de reprendre mon chemin, assez retournée par ce qu'il vient de se passer.

Et lorsque quelques mètres nous séparent, j'entends la voix de l'écrivain s'adresser à mon égard :

- Au plaisir madame !

𝖻𝗋𝗎𝗆𝖾 𝖽'𝖾𝗌𝗉𝗈𝗂𝗋 ; 𝐭𝐨𝐦𝐞 𝐮𝐧 Où les histoires vivent. Découvrez maintenant