Vendredi. 15h50.
La fin de l'après-midi* pour le fonctionnaire moyen approche à grand pas, synonyme de bienheureuse délivrance. Je compte les minutes qui me séparent d'un week-end forcément formidable car à mille lieues de Trusq l'allumé, de ses perverses illuminations, de sa phobie des tableaux Excel et de ses révélations hallucinantes.
D'ailleurs, il s'agite sur sa chaise, agrippé aux accoudoirs, dandine des épaules sous sa veste noire Astrid T. et braque sur moi son œil luisant. Une nouvelle confidence semble se profiler à l'orée de ses lèvres. Jamais à court d'idées plus farfelues les unes que les autres, on ne s'attend pas à ce que sa bouche va bien pouvoir déclamer :
« Je suis trôôôp trôôôp con-tent.
(Tiens, y'a longtemps que j'l'avais pas entendu !)
- Bien sûr, le week-end débute dans moins d'une heure.
- Et sêêis-tu ce que j'êêime fêêire quand je suis con-tent ?
Te suspendre par les pieds au milieu d'une mêlée de hockeyeurs baraqués dégoulinant de sueur ? Te faire fouetter sur le bureau, pantalon baissé, par Maîtresse K.K. ? Sniffer les culottes, les soutifs et tampons périodiques de Sandrine ? Expérimenter le collier de chien et les pinces à tétons ? Te rouler nu dans les déchets d'Astrid T. ? Tripoter des nichons comme autant de melons dans un bac de supermarché ? Chanter les plus grands succès de Carlos avec une plume dans le cul ? Chasser au bola la blonde russe sauvageonne sur la Place Rouge ?...
- Eh oh, Jéérêêêmy, est-ce que tu m'êêcoutes à la fin lorsque je te cause ?
Je sors de ma rêverie et le dévisage avec au fond du crâne une interrogation : quelle type d'ineptie va-t-il encore inventer ?!
- Sêêis-tu donc ce que j'êêime fêêire quand je suis con-tent ?
(Si tu savais à quel point je m'en fous ! Je préférerais compter un par un et à la loupe les grains de poussière sur mon clavier et les acariens dans la moquette. )
- Quand je suis con-tent, Jéérêêêmy – et en ce moment, je suis trêês con-tent – j'a-dôôô-re dan-sêêr... Jéérêêêmy, tu as l'air éétonnêê ! Oui Jean-Eudes êêime dan-sêêr. Et pas n'importe quelle danse ! J'a-dôôô-re dan-sêêêr le sirtaki. Tu ne conêêêis pas le sirtaki Jéérêêêmy ? »
Déboussolé, je le fixe, les yeux écarquillés, totalement interloqué. Il prend cela pour de l'ignorance de ma part.
Et d'ajouter :
« Pourtant les Grecs, ça te connaît ! », glisse-t-il avec un clin d'œil lourd en sous-entendus.
* La fin de l'après-midi sonne dès 16h30 légales mais nombreux sont celles et ceux qui ont déjà déserté incognito leurs bureaux pour des raisons multiples et variées.
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CHRONIQUES DE BUREAU
HumorEn parallèle de la "SAGA DES SIRÈNES" ancrée dans le monde antique et la mythologie, je t'invite à découvrir une fiction très différente qui s'inscrit dans notre société actuelle. Jérémy (quelle coïncidence que le prénom du héros !), agent administr...